Archive | août, 2016

Les simples prétextes du bonheur.

Nahal Tajadod

Rentrée littéraire 2016. Les simples prétextes du bonheur est un vers emprunté à un poème de Forough Farrokhzad, l’une des premières poétesses iraniennes contemporaine à oser s’exprimer en tant que femme. Et c’est bien un magnifique portrait de femme que nous offre Nahal Tajadod avec son dernier livre* : l’histoire de Cécile Renan, riche et superbe – superbe, qui, selon l’auteur, définit ce qui « atteint l’un des plus haut degré de la perfection ».
Et si son personnage possède tout, absolument tout, il lui manque l’essentiel : ce petit bonheur, justement, qui bouleverse une vie et lui confère sa plus belle saveur – sa superbe raison d’être.
Ce bonheur-là, c’est la quête du livre.
Le point de départ : une épicerie iranienne au cœur de Paris, « à quinze minutes de la maison Chanel » (page 37).
La rencontre de ces deux mondes est une pièce d’orfèvrerie.
Mais comme Nahal Tajadod (née à Téhéran) est très loin de ces marchands de bonheurs à deux balles qu’on trouve à profusion dans les vitrines des librairies, c’est du côté du conte, de la poésie et finalement du fabuleux qu’elle va nous entraîner.
Il y a quelque chose de la bande des Valeureux d’Albert Cohen dans ses personnages : Kamal l’épicier, Arash, le médecin malgré lui, Jahed, la marathonienne qui court (enfin) à 4,3 km/h, et un mystérieux médecin perse qui soigne avec des bonbons au miel et à l’eau de rose ; des humanités magnifiques comme on n’en croise plus que dans les bons livres, ces personnages qui nous manquent singulièrement dans la vraie vie. Il y a des parfums, des épices et des rêves, dans ce roman. On y fait un voyage qui nous change à jamais et nous emporte dans l’immensité de nous-même.
Cette boule au ventre, ce nodule au sternum exactement (page 378), qui compresse la poitrine du personnage de Céline, c’est finalement notre inaptitude au bonheur qui se rappelle à nous.
Le grand talent de ce livre, outre une écriture virevoltante, ronde, riche comme un conte persan, et souvent tellement drôle, est de nous donner furieusement envie de nous rencontrer nous-mêmes. Ce qui est la seule façon de nous reconquérir.

*Les simples prétextes du bonheur, de Nahal Tajadod. Éditions Lattès. En librairie le 24 août 2016.

Parfois, la souffrance est belle.

Nina Bouraoui

Rentrée littéraire 2016. « J’ai souvent pensé que ma capacité à souffrir, écrit Nina Bouraoui (page 244*), était égale à ma capacité à aimer ».
Voici donc un livre – un chant plutôt, un chant magnifique, de souffrance et d’amour, un chant aux paroles délicates, ciselées par la douleur lentement apprivoisée d’être quittée (mais y parvient-on jamais ?), une mélopée aux mots doux, épineux parfois, qui incisent l’immense chagrin de n’être plus aimée.
Un texte où l’immobilité nous oblige à plonger, en confiance, comme dans les profondeurs sombres de l’eau d’un lac.
Beaux Rivages, vous l’aurez deviné, est l’histoire d’une rupture – « un roman de résistance » comme le précise l’auteur –, balisée par les attentats de janvier et de novembre 2015 ; l’histoire d’un amour qui s’achève, et s’échoue sur les effrayants rivages de la folie des hommes, « nous étions tous visés » (page 240) ; le chant du cygne d’une femme qui aime encore celui qui ne l’aime plus, et dont la souffrance même possède l’éclat de l’amour, ses terribles envols, et sa beauté grave. « (…) il est aussi souffrance de ne plus souffrir » (page 207).
Nina Bouraoui entre dans cette nouvelle Rentrée littéraire avec un roman délicat, précis, envoûtant, sur ces si beaux rivages où se fracassent ces cœurs qui, aux aubes, sur le sable humide encore, ressemblent alors aux petits corps morts de ces oiseaux qui devaient voler sans s’arrêter, à l’instar des frégates.

*Beaux Rivages, de Nina Bouraoui. Éditions Lattès. En librairie le 24 août 2016.

C’est la rentrée.

Un tag, au hasard d’une déambulation à Toulon. J’y ai vu un formidable clin d’oeil à cette nouvelle Rentrée Littéraire et à ces femmes qui vont encore nous régaler, de Bouraoui à Tuil en passant par Ovaldé (pour n’en citer que trois).

Tag à Toulon

Thérèse Desqueyroux.

Thérèse Desqueyroux

Un été à la plage (7). Thérèse Desqueyroux (prononcer Dèssequillerousse, avertissent les Gascons pour faire moins parisien1) était dans une caisse de livres, à l’entrée du boulangerie du Sud. Un mot disait : les livres doivent se partager, servez-vous ; et c’est celui-ci que j’ai choisi2. Il ne me semblait pas encore avoir lu un texte de Mauriac et, dès les premières pages, dès son prologue en fait, sa lettre à Thérèse, ses regrets : « (…) sur ce trottoir où je t’abandonne, j’ai l’espérance que tu n’es pas seule », j’ai su que je rencontrais une incroyable héroïne et que le hasard me faisait croiser un merveilleux auteur.
Au-delà du fascinant portrait de criminelle, de ce non-lieu basé sur un faux-témoignage, de « ces cœurs enfouis et tout mêlés à un corps de boue », de cette « séquestration entre deux libérations3 », de la punition que lui infligera son mari, la grâce absolue du livre vient de la tendresse inouïe, de la passion chrétienne que voue Mauriac à Thérèse.
Elle est ici tour à tour une sainte, une impie, une mère malgré elle, une épouse qui hait la maternité, elle est toutes les fabuleuses contradictions d’une femme qui avance, inexorablement vers la rencontre d’elle-même, vers sa chair, vers sa liberté, au risque de se perdre et d’en payer le prix le plus élevé.
Le mépris.
Terminer ce cycle de romans de plage 2016 en compagnie d’une femme aussi époustouflante que Thérèse Desqueyroux est, croyez-moi, mille fois plus inoubliable et jubilatoire que celle d’une jolie femme magnifiquement bronzée qui lit Voici ou se vautre dans Facebook.
La prochaine fois, je vous parle des livres de la rentrée et, entre autres, ceux-ci.

1. Note de Jean Touzot dans l’édition de Poche de 1989.
2. Thérèse Desqueyroux, de François Mauriac – Prix Nobel de littérature en 1952, quand même. Éditons Grasset, collection Cahiers Rouges, puis Le Livre de Poche (1989).
3. Cité par Michel Raimond.

Cet été, votez John (pas Donald).

John Grisham

Un été à la plage (6). Vous connaissez ce sentiment que procure parfois un livre. Vous le commencez et, dès la première page, vous savez que ça va être bien. Vous êtes content de sentir le poids des pages dans les mains, de savoir qu’il y en a près de 450. Vous lisez et, très vite, tout s’estompe autour de vous. Vous êtes dedans. Pourtant, il faut en sortir de temps en temps, pour déjeuner, pour regarder si le petit est toujours près de vous sur la plage, pour remettre de la crème, mais vous n’avez qu’une hâte : c’est d’y retourner. Alors, quand les dernières pages arrivent, vous ralentissez la lecture, vos yeux détachent les mots, syllabes après syllabes, une petite boule gigote dans vos entrailles, et c’est fini. C’était trop court. Vous auriez continué encore, 450 autres pages, et tant pis si le petit avait disparu ou que vous vous soyez pris un coup de soleil.
C’est là tout le talent de John Grisham : nous plonger dans ses histoires et nous faire oublier le monde – et franchement, en ce moment, entre le camion à Nice et le gamin à la hache en Bavière, entre la tête de bouledogue de Valls et les gesticulations defunesiennes de Sarkozy, on en a furieusement besoin.
Dans « L’Insoumis1 », Grisham nous invite à suivre un avocat (rien de bien nouveau avec lui), mais cette fois, c’est un avocat désabusé, un brin cynique, champion des causes perdues qu’il perd parfois, un homme qui ne croit plus à la Justice, à l’esprit des Lois, à l’incorruptibilité de la police, un homme réaliste en somme, qui se méfie du genre humain – et c’est justement dans cette noirceur nouvelle que Grisham est épatant ; dans cette capacité qu’il a de nous renvoyer à nous-mêmes, dans nos cordes tressées de naïveté et de nos croyances benoîtes en un certain équilibre des choses.
Il nous bouscule, nous invite à une forme d’insoumission – à chacun de trouver la sienne.
Et il a bien raison ; d’autant qu’il le fait avec un sacré talent, une écriture jubilatoire, le tout, au travers d’un roman vraiment formidable, loin du sérieux un poil bcbg de ses débuts, notamment « La Firme » et « L’Affaire Pélican ».
En résumé, le temps (et les rides) lui réussissent plutôt bien, à Grisham.

1.L’Insoumis, de John Grisham. Éditions Jean-Claude Lattès. En librairie depuis le 30 mars 2016. Et sur toutes les bonnes plages.

« C’est parti, mon kiki ».

La Rentrée littéraire, c’est parti.
Ouvrent, mercredi, le bal des 560 livres, la surdouée Céline Minard (Le Grand Jeu, éditions Rivages) et Antonio Muños Molina (Comme l’ombre qui s’en va, éditions Le Seuil), entre autres, jeudi, Catherine Cusset (Celui qu’on adorait*, éditions Gallimard), etc. Je me souviens avec joie et émotion de ma première rentrée littéraire, il y a deux ans, avec On ne voyait que le bonheur. De la première liste du Goncourt. De la finale du Goncourt des Lycéens, à côté de David Foenkinos. Un bonheur.

Rentrée littéraire

*Merci Léo. Ah, et un excellent site recense ici tous les titres de cette rentrée.

Brexin.

Sort aujourd’hui en Angleterre la version poche de « La Première chose qu’on regarde », avec, entre autres, une interview exclusive à la fin du livre; ajoutons à cela que les Anglais on acheté les droits du texte et tourneront le film aux États-Unis, et tout est réuni pour une excellente journée. Excellente journée à tous, donc !

la Première chose qu'on regarde