Author Archive | Grégoire Delacourt

Les cordonniers sont les plus mal chaussés.

C’est difficile de parler son propre livre* comme je le fais des livres des autres, avec recul et joie, aussi, je vous propose cette fois de lire l’article de Marie-Lucile Kubacki, paru dans le magazine « La Vie » du 21 février – et son avis m’était précieux. Alors merci.
*Mon Père, aux éditions JC Lattès. En librairie depuis le 20 février 2019.

Les deux filles de Sempé.

Petits moments de solitude*, de Nadège Fougeras et Johanna de Beaumont, c’est du Sempé qui ne dessinerait qu’avec des mots. Voici soixante anecdotes, comme soixante dessins du Maître, qui croquent la solitude de soixante grands fauves d’aujourd’hui – entendez un commercial de café lyophilisé, un directeur de clientèle soit un commercial, une amie, une invitée à un mariage, une belle-fille, une blogueuse, un graphiste, etc – à qui il est arrivé ce grand moment embarrassant, cette réplique, cette situation qui crée un vrai malaise. Chacun d’eux y va de son souvenir. Il y en a des drôles, des tragicomiques, des inattendues, une vulgaire et ce qui revient le plus souvent, et qui est aussi l’une des plus vieille blague du monde, comme quoi, on ne change pas tant que ça : c’est être entendu par la personne dont on se moque. Picorer, comme le recommandent les auteurs, dans ce petit livre jaune amusant permet de pimenter ces journées grises qui se ressemblent tant en ce moment et de les ensoleiller.

*Petits moments de solitude, de Nadège Fougeras et Johanna de Beaumont. Éditions Le Toucan. En librairie depuis le 30 janvier 2019. (Bravo à Nadège qui fut l’une des mes épatante élèves d’un atelier d’écriture du Figaro Littéraire).

Deux ans de tôle.

Voici un livre dont on récemment beaucoup parlé et qui tombe pile au moment où Bruxelles refuse la fusion Alstom-Siemens. Car il s’agit, dans Le Piège américain*, des forfanteries d’Alstom et de l’histoire vraie de l’un de ses cadres, emprisonné à sa descente d’avion – comme un certain DSK qui le fut pour des raisons autrement sordides et dont les hommes ne semblent toujours pas guéris. À sa descente d’avion donc, Frédéric Pierucci est arrêté et emprisonné et le récit démarre comme un Grisham grand cru. Rythme. Rebondissements. Et surtout ce poison qui se diffuse au travers des mots qui feraient office de patchs : l’injustice à l’état pur, et on pense aussitôt à toutes ces histoires de faux-coupable (dont le formidable Le faux coupable, justement, du grand Alfred). Et passent les pages et la tension ne retombe pas (bravo aux auteurs) et deux choses pointent le bout de leur nez. Un, l’immense saloperie d’Alstom et de son P-D.G Patric Kron qui préfère sacrifier ses gars et la boite plutôt que de risquer la tôle pour corruption avant d’être remercié avec des millions d’euros dans les fouilles, ben voyons. Et deux, le doute raisonnable quant à l’innocence virginale de l’auteur, car si je sais bien qu’il existe des erreurs judiciaires, on n’enferme quand même pas un honnête cadre français deux ans dans une prison américaine. À l’arrivée, un bouquin comme un thriller qui ne fait pas honneur aux grosses entreprises ni à leurs boss. (L’affaire Ghosn, et je respecte la présomption d’innocence, pue quand même des pieds, elle aussi).

*Le piège américain, L’otage de la plus grande entreprise de déstabilisation économique témoigne, de Frédéric Pierucci et Matthieu Aron. Éditons Lattès. En librairie depuis le 16 janvier 2019.

Glissez le meilleur anti-âge du monde dans votre poche.

La femme qui ne vieillissait pas, enfin au Livre de Poche, ou comment découvrir que l’estime de soi, la joie de vivre et au fond l’amour, sont les meilleurs anti-âge possibles. Et dix fois moins cher qu’un anti-âge.

Trévidic akbar (2) !

On en parlait déjà ici, le 16 avril 2018, et on se réjouissait à l’idée des prochains tomes de Comptes à Rebours, la trilogie en bande dessinée de Marc Trévidic sur le terrorisme au travers d’une enquête du juge Antoine Duquesne. Voici enfin le tome 2*, « Le piège de verre », mené tambour battant, plus rapide encore que le précédent, avec une imagination terrifiante dans l’art de perpétrer un attentat (mais où Marc va-t-il chercher ça ?), une mise en page ultra-moderne, digne d’une série netflixienne et, au milieu du verre brisé, des chairs arrachées, ce juge qui se débat dans une kafkaïenne administration française. Vite, le troisième tome, Marc. Et pas dans un an, s’il te plaît.

*Compte à rebours, Le piège de verre, (tome 2), de Marc Trévidic et Matz, dessins de Guiseppe Liotti. Éditons Rue de Sèvres. En librairie depuis le 23 janvier 2019.

Un grand livre à voir

Certains scénarios sont parfois dignes de grands romans et certains grands romans* font de grands scénarios. Ainsi Vulgar Favors: Andrew Cunanan, Gianni Versace, and the Largest Failed Manhunt in U. S. History, le livre de Orth Maureen, qui inspira la saison 2 d’ « American Crime Story » et qui raconte l’assassinat du fameux Versace par Andrew Cunanan, tueur compulsif. Les neuf épisodes sont comme les neuf chapitres d’une tragédie antique, qui remonte à la source du mal (le père, toujours) et tente de nous faire ressentir la douleur de l’assassin. Bien sûr que le crime de Versace est horrible, et inutile, et vain, tout comme le fut celui de John Lennon devant le Dakota Building à New York, mais le génie du film n’est pas tant de portraiturer le couturier que d’autopsier la mécanique douloureuse de l’esprit de son meurtrier, remarquablement interprété par Darren Criss (qui obtenu deux prix importants pour ce rôle), de nous le rendre à la fois attachant et terrifiant (encore que, renseignements pris, il l’ait été bien plus encore en vrai). Bref, cette série hors pair, est à regarder comme on lit un livre car elle possède le don de laisser l’imagination travailler encore, au-delà des images, ce qui n’est pas souvent le cas au cinéma.
Si vous n’avez pas encore craqué pour Netflix, c’est le moment.

* Vulgar Favors: Andrew Cunanan, Gianni Versace, and the Largest Failed Manhunt in U. S. History, de Orth Maureen, publié à New York par Delacorte (et non pas Delacourt), en 1999.


Écoutons le silence.

Quel bonheur dans le bruit furieux du monde de trouver des pages de silence, comme des îles.
La Terre se tait* est un magnifique recueil de poèmes de l’immense Anise Koltz, découverte à Luxembourg alors que je m’y rendais avec l’ami Stéphane Giardina pour y délivrer notre lecture musicale. La pureté et la simplicité de ses courts poèmes m’en rappellent certains de Jean Follain – et celles et ceux qui ont lu La première chose qu’on regarde savent à quel point Follain est important pour moi. J’ai donc plongé en apnée dans ces mots beaux comme Il pleut sur la pluie/Il neige sur la neige ou, Sous les paupières des garçons/commencent à se déshabiller/les princesses des mille et une nuits. Je sais que la poésie n’a pas toujours bonne presse, mais quand le monde parle aussi joliment, on fait silence autour de lui. Et on écoute.

*La Terre se tait, d’Anise Koltz. Collection Graphiti, éditions PHI, co-édité par L’Orange Bleue Éditeur. En librairie depuis octobre 1999.