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Je suis Théo.

Vigan 2.pg

Les loyautés, écrit-elle page 7, ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres – aux morts comme aux vivants –, ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l’écho (…). Dans son nouveau roman, Delphine de Vigan trace ces fameux liens invisibles, ceux qui connectent deux gamins d’une douzaine d’années, la mère de l’un d’eux, leur professeur, le père de l’autre et quelques ombres. Tous ceux qui nous conduisent au cœur même de ceux que nous croyons connaître, au lieu même des trahisons et des perditions.
Je ne veux pas dévoiler le fil de l’histoire, juste vous dire ceci.
Delphine nous offre un roman triste et beau (j’ai toujours pensé que les deux étaient liés, d’une certaine façon), dont la construction et le rythme donnent à l’ensemble un air de scénario de cinéma ; un de ces chagrins qu’on a envie d’embrasser bien que l’on sache déjà qu’il nous échappera, comme du sable ; une de ces douleurs que l’on voudrait faire disparaître (mais comme cela est impossible, c’est soi que l’on cherchera à faire disparaître, comme toujours).
Sa tendresse d’auteur pour les jeunes adolescents, et sans doute de femme, et sans doute de mère – souvenez-vous de No et moi** –, lui permet de faire le portrait inoubliable de l’un d’eux, Théo. Théo qui, à lui seul, recèle toutes nos frayeurs d’enfance, nos immenses espérances aussi.
Tout ce qui fut nous.
Alors oui, je suis Théo.
Et je ne suis plus seul.

*Les Loyautés, de Delphine de Vigan. Éditions Lattès. En librairie le 3 janvier 2018.
**No et moi. Le Livre de poche, depuis le 11 mars 2009.

Sauver l’amour.

Lisa Blavoine 2

Il y a des livres dont on devine immédiatement qu’on va les aimer. On les feuillette, on tombe sur une phrase, un court chapitre, un simple mot, et on se sent tout de suite bien – bien, comme dans une couverture chaude à l’aube d’un hiver.
Éparse*, le premier roman de Lisa Balavoine est de ces livres-là. De ce confort-là. De cet enchantement. C’est un livre que l’on peut prendre au hasard des pages, à l’envie de tel petit chapitre, comme on pioche dans une boite de chocolats (ah, la boite de chocolats dans Forest Gump mais qui n’a rien à voir ici), parce que Lisa Balavoine (qui n’a rien à voir, elle, avec le chanteur homonyme) l’a construit comme un puzzle, un ensemble épars de morceaux ce vie, d’émotions, de colères, de désillusions, de joies et de mille autres touches. Elle rassemble ses souvenirs qui télescopent les nôtres – c’est d’ailleurs extrêmement troublant de découvrir que ce qu’on croyait être nos souvenirs sont au fond ceux d’à peu près tout le monde. De s’apercevoir que nous ne sommes uniques qu’à nos propres yeux.
Et comme dans la vie, ces petits moments se rassemblent pour former le tout d’une vie, le récit d’une histoire d’amour qui, comme toutes les histoires d’amour, commence dans l’allégresse et s’achève dans l’ennui.
Il y a quelque chose de majestueusement mélancolique dans les petits bouts de verre du livre de Lisa, écrits pour la plupart comme des paroles de chanson (ceci dit, elle ne s’appelle pas non plus Balavoine pour rien), composés comme la bande originale de ceux qu’on aime et qu’on veut garder auprès de soi toujours. Vivement son deuxième livre !

*Éparse, de Lisa Balavoine. Éditions Lattès. En librairie le 3 janvier 2018.

ErE – ErEz.

Les mots oubliés

À l’heure où le vocabulaire se rétrécit à coups de cdt, bjr, tjr, 1A2C4, pk et autres raf, ou s’allonge à coups d’inclusivités, chè-e-rs-es lecteur-s-trice-s, joyeux-euse Noël-le et beau-elle an-nnée, il est bien agréable de découvrir un livre passionnant* qui nous fait redécouvrir les mots perdus, qui sont justement la terre d’où nous venons tous. Cet amour. Bonne année.

*Les Mots disparus de Pierre Larousse, introduction de Bernard Cerquiglini. Éditions Larousse, forcément. En librairie depuis le 25 octobre 2017.

Mon ami Noël.

Évidemment, écrire un premier roman qui arrache à Stephen King un seul mot, bravo, à Harlan Coben ce commentaire : Sarah Pinborough va devenir votre nouvelle obsession et qui se retrouve, dès sa sortie, numéro 1 des ventes dans le Sunday Times, ressemble à un conte de Noël – et ça tombe bien, Noël, nous y sommes.
Voici donc Mon amie Adèle*, premier thriller ébouriffant d’une jeune scénariste de la BBC (il y a pire comme école), une nouvelle variation du thème mille fois rebattu du mari, de l’épouse et de la femme (lequel thème avait valu, il y a cinq ans, un immense succès à Gillian Flynn) traité ici avec une idée sensationnelle, une hitchcockerie même, une audace enfin, que l’auteur, dans sa postface, qualifie de « dérangeante ».
Depuis les séries Broadchurch, Happy Valley, The Fall et autres Luther, les anglais ne cessent de réinventer le genre avec génie, aussi, au lieu de glisser sous le sapin un livre d’images sur la peinture du moyen-âge ou sur les tuiles des églises ardéchoises (qui finiront empoussiérés sur une table basse), offrez un livre qui sera difficile à oublier. Joyeux Noël.

Mon amie Adèle.

*Mon amie Adèle, de Sarah Pinborough. Éditions Préludes. En librairie depuis le 27 septembre 2017. Merci, ou plutôt pas merci à Florence Mas pour cette nuit blanche.

De l’art de donner des baffes.

Thomas Vinau.

Il est des livres qui ont l’art de vous foutre une claque. J’en avais pris une grande à l’époque, avec Les saisons de Maurice Pons. Une autre avec L’Agneau Carnivore d’Augustin Gomez-Arcos. Une troisième, avec pétage de plombages, avec Last Exit to Brooklyn d’Hubert Selby Jr. et notamment la nouvelle intitulée Tralala. Aujourd’hui, c’est Thomas Vinau qui m’explose avec Le Camp des Autres. Un roman à l’écriture d’une incroyable minéralité, où poussent des mots organiques, vivants. Jamais je n’avais ainsi lu la forêt. Jamais je n’avais autant ressenti les feuillages, le vent, le poids de l’eau, les insectes sous les écorces, les becs des rapaces qui fouillent dans les goitres égorgés, les petits os craquants sous les mâchoires des rongeurs (page 31). Jamais je ne m’étais aventuré aussi loin dans la chair des choses. Vinau est un conteur d’une sensualité folle, un écrivain de l’abîme. Dans ce quatrième roman, il raconte l’histoire d’un garçon, Gaspard, qui, avec son chien blessé, a fui dans la forêt, où il va rencontrer un certain Jean-le-Blanc, et avec lui, rejoindre la Caravane à Pépère, une authentique bande de déserteurs, bohémiens, prisonniers évadés, qui terrorisèrent nos campagnes en 1906 avant d’être arrêtée l’an suivant par ce qui allait devenir la Brigade du Tigre. Et c’est alors l’occasion rêvée pour Thomas Vinau de nous peindre ces humanités sublimes, écorchées, felliniennes, avec une langue sublime, écorchée et fellinienne. L’occasion de régler ses comptes à toute cette merde infâme et magnifique qui fait notre réalité. La pauvreté des mots. Le courage de certains et l’ignominie des autres (page 192).
Osez pénétrer dans ce camp des autres parce que même si on s’y salit, on en sort grandi.

*Le Camp des autres, de Thomas Vinau. Éditions Alma. En librairie depuis le 23 août 2017. Merci, merci à Rémy Ehlinger de la Librairie Coiffard à Nantes pour cette fabuleuse découverte.

Sainte Véronique.

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Hier, à Nantes, alors que j’officiais l’après-midi chez Coiffard en tant que libraire d’un jour, une dame m’a demandé : Avez-vous le Goncourt ? Je lui ai répondu que non, non, je ne l’ai pas encore, mais Vuillard lui vient de l’avoir. Elle n’a pas bien compris mon trait d’humour car elle m’a vraiment pris pour un des libraires et à ce titre m’a demandé ce que je pensais de ce livre qu’elle comptait offrir à sa belle-mère très âgée pour Noël. Elle m’a donné l’âge de la belle-mère en question, que la bienséance m’interdit de mentionner ici, et je lui ai répondu que si, entre la dinde et la bûche, elle voulait offrir un petit livre formidable qui racontait comment l’industrie allemande avait aidé à la montée du nazisme, alors c’était parfait. Elle s’est un peu étouffée, mais rien de grave ; m’a chuchoté merci pour votre franchise et m’a alors demandé de lui recommander un livre, toujours pour sa belle-mère. Je lui ai alors parlé de Bakhita*. L’esclave devenue sainte. Je lui ai parlé de l’écriture virtuose de Véronique Olmi. De ses fulgurances. Je lui ai parlé de cette petite fille enlevée, vendue, emmenée hors de son pays, hors de sa langue, hors de son prénom oublié, et qui se construit dans dix langues, dans vingt langues et dont le charabia résultant devient finalement la langue universelle, celle de l’amour. Je lui ai parlé de mon plaisir à lire ce texte envoûtant, litanique. De cette écriture douce comme une caresse sur une plaie brûlante. Je lui ai parlé de ce Goncourt des Lycéens que Véronique a raté à une voix (7 contre 6) face à Alice Zeniter, et du chagrin que je soupçonnais être le sien (j’en sais quelque chose, j’ai connu la même voix d’écart avec David Foenkinos en 2014). Je lui ai parlé de la merveilleuse rencontre à venir, au soir de Noël, entre sa belle-mère et Bakhita.
Alors la dame m’a dévisagé quelques secondes sans rien dire, puis elle a souri et a murmuré : Je vais vous en prendre deux.
J’espère que Rémy Ehlinger, patron de Coiffard, fera de moi le Vendeur de l’Après-Midi.

 *Bakhita, de Véronique Olmi. Éditions Albin Michel. En librairie depuis le 23 août 2017. Prix Fnac 2017.

Brown, Dan Brown.

Dan Brown.

Ce type est incroyable. Après avoir écrit un bouquin qui laissait entendre (et c’était loin d’être idiot) que Jésus était un homme comme les autres (bon, avec quelques tours dans son sac tout même, la multiplication des pains, l’eau changée en vin, etc), qu’à ce titre il avait aimé charnellement (et pas seulement avec son âme) et eu une descendance, laquelle descendance, sous les traits d’une jeune fille, allait, deux mille ans plus tard, de par son existence et sa survivance, ébranler les dogmes de la religion catholique, lequel bouquin d’ailleurs, reste, depuis sa parution en 2004, l’un des romans les plus vendus de tous les temps, (je reprends ma respiration), écrit d’autres livres depuis tout aussi incroyables (cf : Difficile à croire ou Extraordinaire), le voici qui revient avec un nouvel opus de la série Robert Langdon, du nom de ce professeur en symbologie, sorte de Indiana Jones intello et moins fun, Origine*, qui s’offre purement et simplement de répondre à deux petites questions innocentes : D’où venons-nous ? et Où allons-nous ? Et nous voilà entraînés dans une cavalcade de 559 pages où les méchants qui ne veulent pas que les réponses soient connues de peur de perdre leur pouvoir sur la conscience (ou l’inconscience) des gens, se mettent à courser les gentils qui rêvent d’un monde où la science (et le progrès, une sorte d’aliénation finalement) l’emporte, le tout sur fond de crise de royauté en Espagne (pays où se situe cette cavalcade), de crise identitaire même de ce pays (assez comique quand on voit ce qui s’y passe aujourd’hui, enfin, comique, le mot est un peu fort) et où, comme dans toute aventure digne de ce nom, la fin rassemble tout le monde, écarte quelques vrais méchants mais surtout ouvre sur un monde qui finalement plait ou peut plaire à tous, aux scientifiques comme aux religieux, et c’est au fond ce qu’on attendait d’un livre qui propose quelques heures d’évasion à l’ancienne, un suspens formidablement bien troussé, un héros nonchalant, une jolie fille, un prince, un IA épatant et quelques trouvailles quantiques et une théorie sur l’entropie assez bluffante. Étourdissant et épuisant, vous l’aurez compris.

*Origine, de Dan Brown. Traduction de Dominique Defert et Carole Delporte. Éditions Lattès. En librairie depuis le 4 octobre 2017.

Un peu de brutes dans un monde de tendres.

 

Mireille Calmel 17

Je me souviens, dans les années 70, de quelques programmes de télévision, dont l’épatant (j’avais 10 ans) Samedi est à vous, de Bernard Golay, et, le même soir, le show (on disait les variétés) de Maritie et Gilbert Carpentier. Et puis le dimanche, le Graal. Deux films. Le premier vers 14 heures sur la première chaîne de l’ORTF. Le second vers 17 heures sur la deuxième chaîne. On y jouait souvent un western d’un côté et un film de cape et d’épée de l’autre. Eh bien, en lisant le nouveau livre de Mireille Calmel, j’ai eu l’impression d’avoir à nouveau dix ans. De me retrouver devant la Pizon Bros en noir et blanc (que mon père avait loué chez Locatel, convaincu que cette invention ne « prendrait pas »). De voir un de ces films de cape et d’épée qui vous fait bondir sur votre fauteuil. Rebondir à cause des rebondissements. Une histoire, non pas d’hommes comme alors, mais de femmes, Les Lionnes de Venise, qui se battent pour récupérer ce qu’on leur a volé, en l’occurrence une gravure dans laquelle tout le monde s’accorde à penser qu’elle contient « le secret du pouvoir absolu » ; mais qu’importe, les femmes se battent comme des hommes, les dagues fusent, les combats redoublent, les trahisons se dévoilent, les traîtres, les salaud-ope-s, tout est là, intact, comme au plus fort de mes dix ans, Les Trois Mousquetaires, Les Ferrets de la Reine, Fanfan la Tulipe, ah Gérard Philipe, ah, Jean Marais, et ah, j’en passe. À ces deux heures de film, pardon, à ces trois cent trente-neuf pages de livre (et ce n’est que le premier tome), Mireille ajoute ce que les réalisateurs, ou les producteurs, ou les scénaristes, ou les acteurs, n’osaient alors pas : du cul. Mais pas du cul d’aujourd’hui, avec menottes et fouets gentils, non, du cul de l’époque, du désir sauvage, de la culbute, du dépucelage rugueux – et au moment où la « morale », celle qui a une odeur, semble revenir au galop, cette liberté de ton fait du bien. Merci Mireille.

*Les Lionnes de Venise (tome 1), de Mireille Calmel. Éditions XO. En librairie depuis le 18 mai 2017. En terme de liberté de ton, on relira avec jubilation La Marquise de Sade, toujours de Mireille, paru en 2014 chez XO.