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« La vie des autres ».

Massarotto

Cyril m’a un jour confessé bien aimer les quatrièmes de couverture – là où quelques mots sont censés vous donner envie d’acheter le livre que vous tenez dans les mains. Alors je vais me livrer à cet exercice ultra-difficile pour son épatant nouveau livre*.
Samuel fête ses trente-cinq ans seul. Il cherche qui il pourrait bien appeler pour venir les fêter avec lui. Un numéro de téléphone lui revient. Celui de sa maison d’enfance. Il le compose. On décroche. Un petit garçon de dix ans est au bout du fil. Il s’appelle Samuel. C’est lui.
Voilà, c’est ma quatrième. J’espère qu’elle vous donnera envie de tendre l’oreille et d’écouter leur conversation.
Elle parle de notre enfance à tous, de ces rêves qu’on a parfois oubliés en cours de route et qui ont peut-être dérouté justement, notre vie d’adulte. Mais en bon fabuliste qu’il est, Cyril nous prouve qu’il n’est jamais trop tard. Ouf.

*Quelqu’un à qui parler, de Cyril Massarotto. Éditions XO. En librairie depuis le 9 février 2017.

Bussix en Corse.

Bussi 2

À deux lettres près du premier, Bussi est, en 2016 et selon Le Figaro, le deuxième auteur le plus vendu en France. On ne peut que saluer une telle performance de la part d’un géographe et professeur à l’Université de Rouen, mais surtout d’un vrai chic type – à croire que pour toucher autant de lecteurs, il est plus efficace d’être sympa. Et d’avoir une bonne histoire*. Celle-ci par exemple, bien que, et cela n’engage que moi, je l’ai trouvée un peu longuette (comme aurait dit ma mère), qui est une histoire parfaitement troussée de vengeance corse.
Une jeune fille survivante d’un accident de voiture qui fit trois morts, ses parents et son frère, revient vingt-sept ans plus tard à l’endroit du miracle (miracle d’avoir survécu, je veux dire) et, comme toujours, comme un film qu’on rembobinerait, le passé revient et avec lui son lot de surprises, rebondissements et autres désillusions.
Le Temps est assassin (quel beau titre), au-delà de son côté thriller, son côté « page-turner », est aussi une histoire forte de femmes et de désirs, un drame de la jalousie, qui s’expose au soleil brulant, provoquant et sensuel, avant de disparaître, dans la même seconde, dans la moiteur de l’insondable maquis.
Un parfum acide comme l’aurait été L’Enfer (1964) de H.G. Clouzot s’il lui avait été donné d’achever son film.

* Le Temps est assassin, de Michel Bussi. Éditions Presse de la Cité. Et Pocket, n° 16938.
Ah, et pour ceux que cela intéresse, Michel et moi sommes invités ce mercredi 17 mai dans l’émission « Dans tes rêves », sur France Inter à 12h15.

À la vie, à l’humour.

Amélie AntoineAprès un premier roman digne des meilleurs page-turner dont l’histoire est elle-même un roman (Fidèle au Poste1 fut d’abord édité sur Amazon, y connut un immense succès, puis fut publié par Michel Lafon, puis par Le Livre de Poche – 250.000 lecteurs au total et une adaptation ciné américaine en cours), Amélie Antoine nous offre un second roman risqué (après une incursion dans l’actualité tragique avec Au nom de quoi2, un texte post-Bataclan, comme il y a des livres post-atomiques). Oui. Quand on n’a que l’humour3 est un roman risqué. D’abord par le titre – je me souviens que Jean-Louis Fournier m’avait dit de ne pas faire de jeux de mots dans les titres, « ça ne fait pas très littéraire ». Risqué par le sujet : un homme blessé devient un humoriste adulé, une méga-star, plus star encore que le paltoquet élyséen qui visitait son actrice en scooter ; un humoriste qui sacrifie tout ce qu’il aime à la pieuvre affamée de sa carrière, et un fils, laissé sur le carreau, qui sera amené à renouer les fils du drap de fantôme de son père. Risqué parce que Amélie ose le rire triste et l’émotion joyeuse, parce qu’elle écrit vite, comme on respire, elle sait bien que si l’on arrête de respirer, on tombe. Risqué, parce qu’après l’énorme succès de Fidèle au Poste elle ne veut pas s’enfermer dans la loi des séries, dans les romans polycopiés qui sont la négation même de l’audace et de la création.
Quand on n’a que l’humour est un roman sincèrement aimable, au sens où aimable signifie : « Qui a ou manifeste de la courtoisie, de la politesse, de la gentillesse à l’égard d’autrui ».
En cette période de cynisme nauséabond, ça fait plus que du bien.

  1. Fidèle au poste (2015). Retrouvez mon billet ici.
  2. Au nom de quoi (2016). D’abord publié sous le pseudonyme de Dorian Meune, puis sous son nom, chez Amazon Publishing.
  3. Quand on n’a que l’humour, Amélie Antoine. Éditions Michel Lafon. En librairie depuis le 7 mai 2017 – avec une autre couverture que celle de mon exemplaire qui, du coup, devient collector :

Amélie Antoine 2

De la terre, comme l’eau, les mots jaillissent.

MK

Voici un roman* qui a la densité d’un recueil de poésie, le format d’un bréviaire, la légèreté de quelques soupirs ; voici une poignée de terre humide encore, quelques brins d’herbe que le soleil chauffe à peine ; voici un scooter qui fonce dans les tunnels d’arbres, emportant un écrivain, le conduisant, alors qu’un cerf menace de surgir, dans cette maison centenaire où il va émietter les mots comme on touille une couleur sur une palette ; voici un texte taillé à la poésie, comme les doigts crevassent la glaise, un texte qui germe comme des grains ; voici une magnifique improbabilité, celle d’écrire et celle de vivre, celle de retenir et celle de laisser aller ; voici un livre à la finesse d’une dentelle bretonne, qui couvre et dévoile à la fois la grâce d’écrire et sa volubilité ; voici des mots que le vent emporte, ne laissant que l’immense et magnifique vide des choses à venir.
*Terre d’encre, de Marine Kergadallan. Éditions Diabase. En librairie le 3 mai 2017. Profitez-en pour (re)découvrir son très beau premier roman, Le Ciel de Célestine.

Des silences, des hommes, et une femme.

J’ai rencontré Carine Marret à Lire à Limoges, il y a peu de temps. Lors du dîner du vendredi soir. C’est toujours étonnant de se retrouver attablé avec des auteurs qu’on ne connaît pas*. On se sent souvent un peu impressionné – enfin, moi, en tout cas. Bref, une fois les présentations faites, Carine m’apprit qu’outre avoir écrit un livre sur Romain Gary, elle venait y présenter son dernier livre au titre très beau**, le cinquième opus de Tempus Fugit (du nom des deux charmantes rattes du commissaire dont elle écrit les enquêtes depuis 2011). Je m’intéressai à son travail et très gentiment, elle me proposa de m’adresser son livre. Je le reçus quelques jours plus tard et le lus pratiquement d’une traite. Quelle joie. Enfin un polar, qui est, comme le rappelle le CNRTL, un texte « relatif à la police ; qui est le fait de la police ou de certains membres de la police », comme les écrivait si bien Simenon – lequel hante avec bonheur le livre de Carine. Mais revenons au texte. Quelle joie, écrivai-je ; enfin un polar sans triangulation, sans GIGN, sans RAID, sans Kalachnikov, sans hystérie, sans rebondissements improbables, juste une enquête humaine sur des hommes faibles, gangrénés par le pouvoir, l’ambition ; sur l’immense petitesse des hommes, sur fond de tragédies actuelles (attentats, Syrie, politique balbutiante de nos chers dirigeants) racontée avec expertise, sans cynisme, comme le faisait si bien Giroud dans Le bon plaisir. Carine nous offre un vrai divertissement qui lorgne davantage vers l’humanité d’un Simenon que la folie d’un Grangé, une enquête ouatée, servie, et c’est là où j’ai été le plus séduit, par une écriture très belle, ciselée comme une dague vénitienne. Voire un pistolet de jarretière. Vivement l’opus 6.

* Ceci dit, en plus de Carine, il y avait le facétieux Pierre Vavasseur, l’élégant Édouard Moradpour, la joyeuse Jézabel Akriche, le pince sans-rire Arnaud Friedmann, le très érudit et très drôle Laurent Demoulin et moi.
*Des silences et des hommes, de Carine Marret. Éditions du Cerf. En librairie depuis février 2017. (Photo ci-dessus, Yann Cramer).

Rouge amer.

Anne-Sophie Stephanini.J’aime bien Anne-Sophie Stefanini. Il y a en elle quelque chose des beautés de Raphaël. Une pâleur. Une grâce. Une fragilité forte. Elle est une belle éditrice. Et un bel écrivain. Son nouveau roman, Nos Années rouges lui ressemble. J’y ai déambulé dans ses pages, dans ces ruelles tracées par les lignes de ses mots posés, comme Catherine, son personnage, baguenaudait et se perdait dans les rues d’Alger – des tentacules. J’y ai, dans l’écriture, retrouvé l’élégance désinvolte de celle d’un Drieu La Rochelle, celui du Feu Follet, j’y ai reconnu cette langueur, cette nonchalance, malgré le mal qui rôde, tous les démons – j’y ai entendu une gnossienne de Satie, comme dans le film envoutant qu’en a tiré Louis Malle. J’y ai rencontré des amants perdus dans son livre, des rêveurs d’une Algérie nouvelle, et même une étudiante qui rêvait d’Italie, écrira une lettre fabuleuse à Catherine, sa prof, et trébuchera sur d’autres rêves, et je n’oublierai aucun d’eux. J’y ai, dans les cafés, beaucoup fumé, beaucoup bu, jusqu’à redessiner les lisières des hommes. Je me suis cogné aux fantômes que je suppose d’Anne-Sophie : une mère qui part, un père qu’on ne peut pas décevoir, et j’ai retrouvé, pour un instant, la joie et la frayeur d’être un fils.
Nos Années rouges est un beau livre sur une laideur de l’histoire, sur la naissance d’une utopie, mais surtout, sur l’éclosion d’une femme qui, au fond, s’est promis la chose la plus difficile qui soit. La fidélité à elle-même.

*Nos Années rouges, de Anne-Sophie Stéfanini. Éditions Gallimard. En librairie depuis le 9 mars 2017.

Chabadababoum.

Marjorie Philibert.

Voici un premier roman joyeux et triste à la fois.
Joyeux dans l’écriture pétillante, débordante, envahissante parfois (il est vrai que lorsqu’on écrit un premier roman on y met le maximum de mots parce qu’on a peur d’en faire deux d’un coup : le premier et le dernier). Et triste dans le propos (bien qu’on n’y parle essentiellement que de cul – et c’est peut-être pour ça, d’ailleurs).
Victoire et Nicolas se rencontrent le 12 juillet 1998 (les fans de foot apprécieront – 3-0 contre le Brésil ça avait quand même de la gueule), paumés l’un et l’autre dans la médiocrité de leur jeune vie. On va les suivre un bon quart de siècle, à la manière d’un film de Lelouch, on croisera Mitterrand, les bulles Internet, la canicule mortelle, les restos chinois à deux balles et un peu d’humanitaire bon teint ; les mots, comme la caméra du célèbre cinéaste, emberlificoteront les amoureux dans un quotidien si quotidien qu’il en deviendra ennuyeux, même l’arrivée d’un chat (en place d’un enfant) au nom râpeux de Ptolémée n’y changera rien. Les amoureux plongent dans d’autres bras ; lui dans ceux confortables, timides et doux, d’une sud-coréenne, elle, dans ceux de tous les mâles du monde rencontrés au hasard des hôtels de luxe qu’elle chronique pour une revue. L’amour est triste, le désir sans faim, le couple sans avenir : à 36 ans, Marjorie Philibert nous fait son petit Belle du Seigneur désenchanté – sans l’exotisme céphalonien. Un Lelouch tourbillonnant et mélancolique, mais qu’il est quand même agréable de voir pour comprendre une certaine jeunesse française.

*Presque ensemble, de Marjorie Philibert. Éditions Lattès. En librairie depuis le 4 janvier 2017.