Archive | Tous les articles.

Tout va très vite.

Chantal Gingras

Découvert à Québec. Un livre* bref comme est brève la vie. 265 morceaux de vie en 140 lettres maximum. Une Jean-Louis Fournier québecquoise. Un régal.

*La vie est brève – historiettes, de Chantale Gingras. Éditions L’Instant même, Québec,

Une nouvelle-née.

IMG_1442

Découvert à Québec. Voici un premier roman* qui ressemble furieusement à un fleuve charriant les mots comme l’eau charrierait des troncs d’arbres, des feuilles, des boites de conserve, des cannettes, des chapeaux, des chaussures, des corps, même.
Marlène Mathalie semble avoir jeté tous les mots possibles dans son livre, comme on se jette dans une bataille – celle de l’héroïne, quarante-cinq ans, enceinte d’un homme plus jeune, dont la grossesse réveille l’effrayante beauté de la maternité, renvoie à l’image omniprésente de sa mère (dieu que les mères parfois sont compliquées) et fait se poser ces questions auxquelles l’absence de réponse est justement la réponse. Il semble que ce tumulte qui bouleverse chaque page de ce court roman annonce, non pas l’enfant attendu, un corps qui s’ouvre et délivre, mais bien la naissance du livre lui-même, la joie d’un écrivain qui s’accouche et couche son amour de l’écriture au cœur des pages, comme un baiser au creux du bras grassouillet d’un nouveau-né.
Ma pierre d’affection, si elle définit, selon Le Littré, « une pierre curieuse et plus particulièrement un diamant de couleurs vives et riches », est le nom léger et lourd à la fois que Marlène a donné à son beau premier né.

*Ma pierre d’affection, de Marlène Mathalie. Éditions Société des Écrivains, Québec, Canada.

Ceux qui restent.

Ceux qui restent

Impossible de quitter Québec sans avoir lu un auteur (une auteure comme on dit ici) importante et épatante. Marie Laberge (qui aime à écrire au bord de l’eau, sur « sa berge », comme elle le précise parfois). J’ai dévoré son magnifique et triste Ceux qui restent, le roman d’un disparu, Sylvain Côme, suicidé en avril 2000, envolé quand le printemps éclos, sans raison, sans explication, sans rien d’autre que le silence derrière lui pour adieu à ceux qui restent et qui témoignent tour à tour leur vide, leur sidération, leur amour, leur chagrin, leur incompréhension et même leur désir encore de lui ; écoutez Charlène, derrière le comptoir de son bar, Charlène sa maîtresse, parler de sexe avec lui, d’amour et de faim. Ceux qui restent est un roman d’atmosphère, de poussières et de lumières, une danse de particules de vie quand une vie s’efface ; un roman lancinant illuminé d’une langue tourbillonnante ; un roman d’hommes et de femmes rares comme on en rencontre tant ici, à Québec.

*Ceux qui restent, de Marie Laberge, au Canada aux Editions Québec Atlantique et en France aux Editions Stock.

Ils ne vécurent pas heureux et n’eurent pas d’enfants.

Amélie Nothomb

Il y a un côté Beaujolais Nouveau chez Amélie Nothomb (bien qu’elle préfère, et de loin, les nectars champenois). Chaque rentrée nous offre sa nouvelle cuvée et je confesse y avoir irrégulièrement goûté ces derniers vingt-cinq ans – son premier cru remonte à 1992 et son surprenant Hygiène de l’assassin –, attiré par des tanins plus puissants. La perspective de revoir Amélie au Salon du livre de Québec, et d’y débattre avec elle, m’a donné envie de savourer son dernier livre, Riquet à la houppe, une nouvelle version du conte de ce bien pervers Charles Perrault.
Évidemment, ce n’est pas du côté de l’histoire qu’il faut attendre une surprise, on la connaît depuis l’enfance l’histoire : il est vilain mais intelligent, elle est jolie mais bête, et ils vont s’aimer (la perversion perraultienne), mais dans l’écriture nothombienne qui papillonne comme des enfants dans un jardin, et se délecte de nous faire une bonne farce.
Et surtout, c’est dans l’épilogue que se trouve la vraie malice du propos, lorsqu’Amélie confesse avoir lu La Comédie humaine de Balzac en entier, 147 ouvrages, et y analyse le rapport littérature/histoires d’amour : six pour cent des histoires d’amour balzaciennes se terminent bien. Seulement. Chouette. Car il n’y a rien de plus désespérant parfois que cette phrase : Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.

*Riquet à la houppe, d’Amélie Nothomb. Éditions Albin Michel. En librairie depuis le 16 août 2016.

Tu entres par effraction et c’est une douceur.

Anais 1

La première fois, c’était une femme*. Elle m’a parlé de toi. Elle t’a offerte à moi. Je t’ai recueillie comme une joie. J’ai effeuillé tes mots, je les ai laissé fondre dans la chaleur de ma main. Puis ils se sont envolés comme des papillons d’une bouche. Ils racontaient ta grand-mère. Ils racontaient son amour et sa fuite. Ils racontaient la désolation et la plénitude. Ils étaient le silence et la joie. Ils traçaient les frontières oubliées, la géographie des corps noirs et blancs mêlés, frappés par les encagoulés des États du Sud. Ils peignaient sur des toiles immenses une peinture qui changeait le monde. Ils chantaient le sexe et la jouissance. Ils parlaient de ses amants, tous ces amants, ces eaux assoiffées. Ils accouplaient ta grand-mère, elle avait alors quarante ans, à un garçon de vingt ans qui rentrait du Vietnam, une pierre fracassée par une autre pierre, tombée du ciel d’où pleuvaient les corps. Ton livre* est le livre de mots qui se cognent aux impasses des hommes, au ventre des femmes d’où pleurent des enfants, d’où crie ta mère, et puis ton frère, plus tard abandonné, perdu dans ses immenses vides, et puis toi, un jour. La petite fille qui voulait parler d’elle, ici, à Montréal, d’où je t’écris tandis que la neige s’efface, comme ceux qui nous quittent ; parler d’elle, l’une des premières artistes automatistes, incomprise et universelle. Voici le revers de ma main / comme une liqueur, écrivait-elle. Tu as écrit sa fuite. Quel drôle de titre, Anaïs. La femme qui fuit. Qui s’enfuit. Et qui s’écoule d’elle-même. Comme un sang. Comme un chant. Comme une grâce. Ton livre est magnifique et immortel. Comme Suzanne Meloche, désormais. Suze.

* Merci Florence.
**La Femme qui fuit, de Anaïs Barbeau-Lavalette. Au Canada aux éditions Marchand de Feuilles. En France au Livre de Poche. Prix des Libraires du Québec, Prix France-Québec, grand Prix du livre de Montréal.

Un pas de danse, c’est encore mieux à deux.

Je ne suis pas du genre à faire de la retape, mais là, je me permets d’insister. Lisez le dernier roman* de Pierre Vavasseur. Il a la délicatesse d’un naucore (vous savez, ces insectes à fines pattes qui dansent sur l’eau), la force bouleversante de Tandem (mais si, le film si important de Patrice Leconte, où l’on vit un Rochefort bouleversant et un Jugnot rare).
À Limoges, le week-end dernier, il a fait de son mieux (voir ci-dessous), et, sincèrement, il mérite que vous fassiez ce petit pas de deux avec lui.

Pierre Vavasseur.

*Un pas de danse, de Pierre Vavasseur. Éditons Lattès. En librairie depuis le 15 février 2017.

Faire pétiller la vie.

LF2

Il y a quelque chose d’extrêmement touchant en découvrant le nouveau roman* de Lorraine Fouchet : c’est son impérieux besoin de sauver ses personnages.
Sans doute cela vient-il du fait qu’elle fut longtemps médecin urgentiste au Samu, qu’à ce titre elle vit des vies qui s’écoulaient goutte à goutte par la plaie d’un mauvais coup de couteau, violemment, dans la carcasse broyée d’une automobile ou, moins spectaculairement, dans un souffle qui s’épuisait ; toujours est-il qu’il semble désormais que, devenue écrivain – et quel écrivain ! –, elle ait envie que tout finisse bien pour chacun, qu’elle n’ait plus jamais à dire à bientôt à un patient, qu’elle s’efface, discrètement, aimablement, en nous sachant le plus heureux possible. Le plus vivant possible.
Ainsi donc, c’est dans les livres maintenant qu’elle sauve les gens, qu’elle panse leurs douleurs, efface leurs chagrins.
Les Couleurs de la vie sont une magnifique palette de sentiments où la tendresse le dispute à la joie, où les couleurs se mêlent, se mélangent pour faire apparaître ici une rédemption, là, une retrouvaille, et toujours un immense amour de la vie.
Voici donc l’improbable et joyeuse rencontre entre Kim, 27 ans, groisillonne, et Gilonne (féminin de Gilles) vieille antiboise ; entre elles, Côme, qui n’est pas tout à fait ce qu’il prétend.
Mais je n’en dirais pas plus ; je vous laisse découvrir les épatantes surprises du livre, et elles sont nombreuses.Vous allez voir. Avec Lorraine, la vie commence à l’eau et finit toujours au champagne.

*Les Couleurs de la vie, de Lorraine Fouchet. Éditions Héloïse d’Ormesson. En librairie le 30 mars 2017. À redécouvrir, l’excellent Entre Ciel et Lou, qui vient de paraître au Livre de Poche. Et, s’il vous plaît, lisez J’ai rendez-vous avec toi, l’un des plus beaux livres d’une fille à son père.