Glacial.

À entendre les survivants de massacres, ceux du Bataclan* par exemple, à ces fureurs, ils associent des odeurs de chairs, de poudre, à des cris, des épouvantes, du silence enfin. Il semble y avoir eu une sorte de combustion des sensations, un chaos épouvantablement charnel qui précède toujours à la plus grande désolation. Dans ce Massacre**-ci, rien de tel. Voici un roman glaçant sur le monde de l’entreprise où les massacres sont aseptisés, blancs laqués, avec quelques reflets bleus acier – la couleur des yeux des tueurs. Anne Hansen, dont c’est ici le premier roman, nous entraîne au cœur d’une Entreprise située au cœur d’une Ville où viennent d’avoir eu lieu des massacres terroristes (on pense au Paris du 13 novembre 2015) tandis que d’autres massacres silencieux ceux-là ont lieu au cœur de l’Entreprise. Licenciements. Manipulations. Harcèlements. Le tout avec une précision chirurgicale terrifiante. Il n’y a que trois ou quatre noms de personnages dans le livre. Les autres sont indéfinis. Sans visage. Sans odeur. Le texte est glacial. Une vitre de cinq centimètres d’épaisseur à travers laquelle on assiste à la déliquescence d’un homme dans l’indifférence gelée de ses collègues. Un texte terrifiant sur un monde qui l’est tout autant et se drape de bons sentiments au travers de comités pour le bien-être des employés, de l’écologie responsable, etc. Je ne sais pas qui est Anne Hansen, si elle vient elle-même de ce monde-là, si, comme moi, elle en a été virée en quatre minutes, de façon dégueulasse, mais, lorsque comme elle on écrit, page 69 : « La place qu’on s’est faite ne met en aucun cas à l’abri de la chute, tant il est difficile de plaire encore quand on a beaucoup plu », je sais qu’elle a tout compris.

* Dans 13 novembre, fluctuat nec mergitur, documentaire sur Netflix.
** Massacre, de Anne Hansen. Éditions du Rocher. En librairie depuis le 5 septembre 2018.