Quarante-quatre coups de couteau, entre autres.

Des États-Unis, où la littérature policière nous a offert des portrait inoubliables d’assassins, de serial killers et autres mad dogs, Ivan Jablonka nous rappelle, comme un Truman Capote en son temps, que la réalité est parfois absolument terrifiante.
Rentrée littéraire 2016. On se souvient tous de Laëtitia Perrais, dix-huit ans, kidnappée par Tony Meilhon, trente-deux ans, dans la nuit du 18 au 19 janvier 2011, à 50 mètres de chez elle, lardée de quarante-quatre coups de couteau, étranglée, démembrée, disséminée dans les décors glauques du coin, et dont on mettra douze jour à retrouver l’ensemble des morceaux – le buste en dernier. Meilhon prendra perpétuité (ce qui veut dire vingt-deux ans incompressible) et Sarkozy s’en prendra aux Juges avec son hystérie defunesienne habituelle. Fin.
Laëtitia ou la fin des hommes* est un livre troublant sur les filles et les femmes. Sur les violences dont elles sont victimes, dans le silence, l’indifférence ; dans ce quart-monde triste et irréel qui, mine de rien, pousse toujours plus, à quelques kilomètres de nos belles villes françaises, de nos centres richement piétonnisés, comme du chiendent, comme une boue.
Un livre triste et irréel lui aussi, parce que l’improbable conjugaison au présent qui tente de dire l’indicible, d’apercevoir l’invisible, possède une langueur désespérante. Ivan Jablonka, en sociologue, en historien, en véritable écrivain quoi, tente de reconstituer. De montrer. De nommer. Et cette tentative est terrible puisque seuls Laëtitia (jusqu’à un certain point) et Meilhon connaissent la vérité.
Il l’aurait forcée à lui pratiquer une fellation. Elle l’aurait interrompue. Elle l’aurait menacée de porter plainte pour viol. Il l’aurait poursuivie avec sa 106 volée, elle sur son scooter. Il l’aurait renversée, à cinquante mètres de chez elle, de la vie. Elle aurait été encore vivante lorsqu’il l’aurait mis dans son coffre. Il l’aurait étranglé, poignardée, découpée alors qu’elle était allongée sur le ventre.
Mettez tout cela au présent, vous verrez ce que je veux dire.
Laëtitia ou la fin des hommes est un livre important. Un récit glacial sur la fabrique d’un crime. Un reportage saisissant sur ces adolescentes baladées de familles d’accueil en tripotages sexuels mais qui continuent à croire à la bonté des hommes.
Je me souviens, petit, avoir vu le film Barabbas, avec Anthony Quinn, et même si je savais qu’à la fin la foule demanderait à ce qu’on crucifie Jésus, je ne pouvais m’empêcher de rêver que ce soit le nom de Barabbas qu’elle crie.
En lisant le livre de Jablonka, j’ai eu le même rêve.
Mais il n’y a rien à faire. Laëtitia est morte. Il y a des livres qui ne sauvent pas leurs héros. Ce sont les plus durs.

*Laëtitia ou la fin des hommes, de Ivan Jablonka. Éditions du Seuil. Prix littéraire « Le Monde ». Prix Médicis 2016. En librairie depuis le 25 août et en Kindle sur lequel je l’ai lu, à New York.

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