Franck est un excellent photographe1. À force d’observer les gens, il s’est mis à les aimer, puis il a eu envie de voir plus loin en eux, de comprendre comment ils fonctionnaient – pourquoi l’amitié, pourquoi l’amour, pourquoi parfois les chagrins. Il aurait pu, en toute logique, continuer à faire d’eux des clichés, mais de « l’intérieur » (radios, IRM, scanner), avec des appareils photographiques bien plus gros que celui qu’il portait en bandoulière, mais il a préféré utiliser les mots pour ça.
Et il est devenu un excellent écrivain2.
J’ai eu la joie de faire avec lui ce qu’on appelle « la tournée » de la rentrée littéraire de 2014, et de constater qu’il est un type aussi délicat, élégant, que ceux qu’il portraiture dans ses livres.
Franck fait mentir l’idée qu’une image vaut mille mots. Chacun de ses mots vaut mille images.
Je lui ai demandé de nous présenter l’un de ses coups de cœur. Le voici.
« Interdire un livre, quelle meilleure publicité ? L’Attrape-cœurs3 de J.D. Salinger a reçu cette distinction, et par ce simple fait devrait éveiller votre curiosité. Il était un mauvais exemple envoyé à la jeunesse, parait-il. Je viens de le relire. C’est amusant, je l’ai lu la première fois quand j’avais l’âge du narrateur, du côté de l’enfance donc, je viens de le relire de l’autre côté, celui des pères, et j’en tire une conclusion, le jeune héros du roman m’a infiniment plus ému aujourd’hui que lorsque j’avais le même âge et le même regard que lui. Cette errance de trois jours d’un garçon exigeant, drôle et tragique dans New York est terriblement angoissante. On se demande à tout moment s’il ne va pas se faire avaler par la cruauté du monde, lui que l’élégance morale empêche de se fondre et de se diluer parmi ses contemporains. On pense à Mort à crédit de Céline, à la beauté des adolescents qui découvrent et dénoncent avec pureté et candeur ce à quoi beaucoup d’adultes se sont habitués: la vanité des faibles, la férocité des brutes. Quelques îlots de beauté trouveront grâce aux yeux du jeune garçon : le sincérité et l’abnégation d’une religieuse, sa petite sœur, un professeur qui lui offrira cette phrase: « L’homme qui manque de maturité veut mourir noblement pour une cause. L’homme qui a atteint la maturité veut vivre humblement pour une cause. » Et bien entendu les canards du lac de Central Park… »
1. La Grande Librairie, Portraits d’Auteurs, de Franck Courtès, Préface de François Busnel. En librairie depuis le 6 octobre 2012.
2. Autorisation de pratiquer la course à pied et autres échappées, (nouvelles, janvier 2013), Toute ressemblance avec le père (roman, août 2014) et Sur une majeure partie de la France (roman, janvier 2016), tous trois publiés chez Lattès.
3. L’Attrape-coeurs, de J.D.Salinger. Éditions Pocket (entre autres).