Archive | février, 2017

Merci.

Numéro 1 sur Amazon

Ce n’est pas trop mon genre de pavoiser (d’autant que je n’ai jamais été habitué à recevoir des médailles), mais de temps en temps ce genre de nouvelles est agréable. J’en profite surtout pour vous remercier de tout coeur, parce que ce genre de miracles, c’est chacun de vous qui le rend possible. Merci. Vraiment.

 

« Aimer et prendre l’air ».

Sophie Simon 1.

Après l’épatant Gary tout seul* il y a trois ans, Sophie Simon revient avec Aimer et prendre l’air** (quel joli titre).
L’histoire de deux couples en villégiature dans le Connecticut, le temps d’un été. On boit beaucoup, on mange beaucoup, on parle beaucoup, on s’engueule beaucoup et on s’aime beaucoup et assez mal. Aimer et prendre l’air lorgne vers ces immenses films des années 50, où Burton et Taylor regardaient leur couple se dissoudre dans le Bourbon la nuit et se régénérer à l’aube, dans les brûlures du même alcool. L’époque où Tennessee Williams était le plus grand écrivain du monde. Où les femmes avaient toutes un vieux psychanalyste et épousaient leur papa.
Le roman de Sophie est une pièce de théâtre classique, un scénario de huis-clos terrible, sans autre danger (mais quel danger !) que la passion qui s’étiole, que l’amour qui ment, que les réveils pâteux, déprimants des vies qui sont déjà passées, si vite – sans que l’un ait connu la gloire hollywoodienne, l’autre, les frissons d’un récital de piano pour lequel il était pourtant doué ; sans que les femmes aient connu la paix.
Il y a quelque chose d’aimablement rance chez ces riches « dont nous faisons partie, je te le rappelle (…). Nous avons droit à ce qu’il y a de plus beau sur terre. Et on laisse aux autres de pauvres ragotons » (page 195/196) ; oui, quelque chose de jubilatoire à les voir fondre au soleil, comme la cire d’une bougie ; à voir leurs rêves de couples leur péter à la gueule. Sophie Simon n’a pas son pareil pour dégoupiller, et balancer sa grenade dans le mensonge du bonheur, et ne laisser derrière elle que les osselets cendrés d’une rédemption à trouver.

*Gary tout seul, de Sophie Simon. Éditions Lattès. En librairie depuis le 9 avril 2014.
**Aimer et prendre l’air, Lattès. En librairie le 22 février 2017.

 

Toutes les couleurs du feu.

Guy Boley

Stupéfiant, adj : Qui cause une surprise considérable. Considérable, adj : Qui est très grand par le nombre, l’intensité, la valeur. Très important par sa valeur, son mérite, son crédit.
Je me suis plongé un instant dans mon bon vieux Larousse à cause de ce commentaire sur la quatrième de couverture de Fils du Feu* : « Dans une langue stupéfiante de justesse et de beauté, Guy Boley signe un premier roman merveilleusement puissant (…) ». Ah, l’ivresse des adjectifs.
Fils de Feu raconte une histoire qui se situe sans doute à Besançon, « Victor Hugo était chez nous, en notre ville » (page 104), dans une forge où le père du narrateur, fils du feu, et Jacky, son « premier grand amour » (page 20) battent le fer et façonnent le monde. Mais le monde change, les usines tordent les grillages, fabriquent des barrières à la chaîne, les mains d’or des forgerons se boursouflent d’ennui et le petit frère du narrateur meurt. Alors, la vie prend feu, le chagrin, comme une lave dévore et rend fou. Le père disparaît des jours entiers, la mère continue à dresser le couvert du petit mort, à changer les draps du lit où il ne dort plus, à lui parler, lui inventer une vie comme Isabelle Monnin l’avait en son temps fait avec Eugène**, dans son bouleversant premier roman.
La grâce du livre de Boley tient dans sa langue poétique, ses mots effleurés, comme des flammèches de couleur qui lècheraient nos peaux, nos yeux – le narrateur devient peintre et peint sa vie ; alors les phrases deviennent dessin, les contours flous, poreux, laissent d’autres horizons apparaître et c’est une enfance belle et fracassée qui surgit, une enfance précieuse, quelque chose d’un temps ancien, qui aurait survécu, qui serait libre, et qui apporterait enfin la paix.

*Fils du Feu, de Guy Boley. Éditions Grasset. En librairie depuis le 24 août 2016. Prix Georges Brassens 2016.
**Les Vies extraordinaires d’Eugène, d’Isabelle Monnin. Éditions Lattès, 2010. Éditions Pocket, 2013.

Un pas de deux.

Pierre VavasseurVavasseur

Deux journalistes à l’ancienne, (pages culture d’un quotidien qui efface jour après jour les quatre dernières lettres du mot culture pour ne garder que les trois qui font vendre) prennent un jour la route à la recherche d’un certain Corneille Vagabond, auteur mystérieux d’une biographie de mille pages sur le poète René Char. Ils ont pour prénoms Basile et Élias.
Alors bien sûr, ça sent le road movie, ce lieu littéraire, ces lisières tellement cinématographiques, où les rencontres sont comme les balises d’une vie. Ses bouées parfois. Ou ses naufrages.
Pierre Vavasseur, journaliste au Parisien, poète, chanteur, guitariste, ami des vins fins, des femmes et de L’homme qui aimait les femmes, et qui, chaque été, parcourt la France en compagnie d’un photographe, de festival en festival, à bord d’un camping car, connaît les promesses de la route, la solitude des hôtels fossilisés, les regrets des femmes qui regardent les camping cars passer sans jamais avoir osé tenter un abordage, osé avoir crié au chauffeur Emmène-moi, emporte-moi.
Pierre Vavasseur, auteur déjà de quatre très beaux romans, sait bien que le road movie est une géographie de la mémoire, un chemin de croix, une couronne d’épines, ce fameux « escalier » dont Clémenceau disait qu’il était le meilleur moment.
Un pas de danse*, c’est le dernier chemin à sens unique d’un homme qui, sous prétexte de débusquer un auteur, confesse son immense désir des femmes, la perte de la première, noyée, broyée dans un sang mauvais, la quête d’elle, éternelle et vaine, à travers mille autres.
Et là où Pierre Vavasseur réussit son livre, sans jamais être mufle avec celles qu’il convoite tant, c’est qu’il avoue, entre les mots, que le désir n’est pas l’amour et qu’à l’amour, d’ailleurs, il est inapte. Je veux dire Basile, son personnage, capable d’avaler le feu du désir, comme un sabre, et de le laisser le consumer.
Le cœur saigne, même lorsqu’il ne souffre pas.
Deux cœurs brisés, donc. Près de celui d’Élias est logée une balle perdue, recueillie lors d’un reportage au Liban. Dans celui de Basile, pousse une fleur, un ovale tendre, une bouche rose, des cheveux roux, (page 129), le sang mauvais, elle aussi, une fleur d’amour, une rareté. Et le journaliste fatigué va la cueillir doucement pour être recueilli à son tour.
In fine, que nos deux pieds nickelés poètes retrouvent ce Corneille Vagabond, qu’est-ce qu’on en a à foutre ?
Ils se sont trouvés – eux. Retrouvés. L’un dans la vie. L’autre dans la mort.
C’est la grâce des roads movies parfaitement réussis.

*Un pas de danse, de Pierre Vavasseur. Éditions Lattès. En librairie le 15 février 2017.

La grammaire des tempêtes.

Pierre-Dahonney

Premier roman. Déjà le nom de l’auteur est un voyage. Une langue. Néhémy Pierre-Dahomey. Son héroïne a le nom d’un orage, d’une guerre, d’une terre. Belliqueuse Louissant. Le père de ses enfants porte celui d’un révolutionnaire, d’un désastre, de mille alcools. Sobner Saint-Juste.
La première immense beauté de Rapatriés*, c’est la langue. Elle claque, elle cogne, elle envoûte. Les mots sont des philtres et des poisons, des aiguilles vaudous et des baumes sorciers. Avec cette langue, fille de la poésie et du vent, Néhémy ose tout. Une mère qui jette son enfant à la mer parce que le bateau qui devait les emporter aux Amériques fait demi-tour. Qui donne ses deux dernières filles à l’adoption parce que Haïti est damné, que les tornades emportent tout, les récoltes comme l’espoir, et vous laissent sans force.
Sans force.
C’est d’ailleurs le sentiment que j’ai eu à l’issue de cette tempête, de cette découverte. J’étais sans force. Happé par le tourbillon des mots. Leur sorcellerie. Leur grâce à nous faire passer de la lumière à la nuit, et à la mort, comme une dernière danse de vie.
*Rapatriés, de Néhémy Pierre-Dahomey. Éditions du Seuil. En librairie depuis le 5 janvier 2017.

 

Une très longue balade en forêt.

Jérôme Chantreau

Premier roman. Voici un livre étonnant. Étonnant parce que, quatre fois, cinq fois, au début, j’ai eu envie de le refermer, laisser les pages s’envoler comme les feuilles mortes d’un chêne à l’automne. Et puis, tel un marcheur en forêt qui s’impatiente de ne rien voir d’autre que toujours la même chose, j’ai continué un peu, espérant un arbre différent, une lueur, une souche comme une lave. Je me suis enfoncé dans cette forêt de Mayenne que décrit si bien Jérôme Chantreau dans son roman*, et un doux ensorcellement a fini par m’atteindre, et c’est vers la fin du livre, comme une aube après une nuit curieuse, que j’ai été tout à fait envoûté par la métamorphose du personnage d’Albert, ce quadra qui retourne dans la maison familiale perdue au milieu de cette étonnante forêt, pour y organiser les funérailles de sa mère.
D’un retour aux sources, Chantreau nous offre un surprenant retour au primitif, à notre nature première, et, une fois passé les quatre mille premières pages, je me suis mis à penser au merveilleux Into the Wild – Voyage au bout de la solitude** – de John Krakauer, et à me dire que cela valait bien de patienter ; je me suis rappelé que certains romans ont besoin d’une longue mise en train pour parvenir à destination.
Et lorsqu’on on y est, comme c’est le cas ici, alors, on savoure vraiment tout le chemin parcouru.

*Avant que naisse la forêt, de Jérôme Chantreau. Éditions Les Escales. En librairie depuis le 25 août 2016.
**Into the Wild, de John Krakauer. Éditions Presse de la Cité. En librairie depuis le 3 octobre 2008. Et en DVD mis en scène par un Sean Penn vraiment inspiré.