Archive | juillet, 2017

Illumine les vivants.

Benedicte Froger-Deslis

Alors bien sûr, quand on voit la couverture, qu’on lit le titre, puis la quatrième, laquelle annonce une histoire de clodos, de clopinardes, on change de cap, on tourne la tête, on baisse les yeux, comme quand on en croise un vrai, et on passe, sans le savoir, et c’est rudement fâcheux, à côté d’une merveille. La Rue est mon royaume* est une merveille. Un livre inattendu, une grande baffe dans le cœur, costardée d’une d’écriture fabuleuse qui n’est pas sans me rappeler celle d’Un Singe en hiver, et tiens, puisque j’en jase, dans le roman de Bénédicte Froger-Deslis, il y a la même folie de vivre que dans l’histoire de Blondin, les mots d’Audiard, ces mêmes chagrins qui tintinabulent dans le cœur, ces mêmes alcools qui font pousser les ailes et cette même tendresse qui fend les mers, toutes les armures. La Rue est mon royaume est l’un des bouquins les plus tisonnants, qu’il m’a été donné de savourer depuis quelques temps, qui me « contente », comme dirait son héroïne. Un babillard bien loin de certaines chochotteries littéraires qu’on croise parfois dans les salons de thé ou du livre – notamment à l’aube d’une Rentrée Littéraire ; ici, tout est puissant, odorant, transperçant ; ici, une putain d’histoire d’amour, comme disait l’autre ; une chute fabuleuse, vertigineuse et virtuose, entre Léa l’écrivain et Hugues le corsaire, une passion comme on en lit si peu, une vertigineuse remontée d’apnée.
La Rue est mon royaume ne sort pas d’une grande maison mais d’un éditeur sis à Pointe-Noire (Congo) et il est avéré que la critique est passée à côté, n’a pas vu ce qu’il y avait sous la couverture et du coup, vous a privé d’un choc, d’un retournement du cœur, d’une belle humanité. Mais il n’est jamais trop tard.

 *La Rue est mon royaume, de Bénédicte Froger-Deslis. Éditions Les Lettres Mouchetées. En librairie depuis septembre 2016. (Le titre « Illumine les vivants » vient de la page 452).

Elle voulait juste écrire un très bon livre.

Sarah Barukh.

Sarah Barukh, que je ne connais pas, a eu la gentillesse de m’adresser son premier roman il y a quelques mois et je viens de le lire (dans un train). Je ne cache pas l’appréhension que j’avais eu à l’idée de lire le x millième livre sur une petite fille juive pendant la Seconde Guerre mondiale – pathos, culpabilité, devoir de mémoire et tout le toutim. Eh bien, pas du tout. Elle voulait juste marcher tout droit* est la formidable et follement romanesque histoire d’Alice, six ans au cœur de la guerre, neuf ans au sortir de celle-ci, lorsqu’elle rencontre enfin sa maman, revenue d’on ne sait où, épuisée, amaigrie, un drôle de tatouage sur l’avant-bras. C’est l’histoire d’une petite fille jetée, comme on jette un enfant dans une piscine en croyant qu’il va se mettre à nager, dans la violence du monde des adultes, leurs gesticulations, dans leurs corps, leurs âmes dévastées par le fracas et l’immonde. L’histoire d’une petite fille qui doit grandir vite pour survivre dans ce curieux après-guerre ; faire rapidement l’apprentissage de ces émotions qui peuvent embellir le monde, malgré tout : la perte, les retrouvailles, les espérances. Sarah Barukh a écrit avec virtuosité une vie en accéléré, comme ces petits films étonnants où l’on voit une fleur pousser, éclore et s’allumer ; un livre touchant sur nos enfances qui s’éloignent si vite mais sans jamais nous laisser démunis si on apprend à les écouter et à les aimer. C’est là toute la réussite de ce livre épatant que je vous conseille ; oui, oui, comme lecture d’été, parce que plein de rebondissements, de tendresse et, in fine, de joie.
Et la joie, en plus du sable et du ciel bleu, il n’y a rien de mieux.

*Elle voulait juste marcher tout droit, de Sarah Barukh. Éditions Albin Michel. En librairie depuis le 1 février 2017. Et un très joli entretien avec Sarah, ici.

Le livre écarlate.

Margaret Atwood.

Ce qu’il y a d’assez épatant avec certains livres d’anticipation, c’est que tôt ou tard, ils deviennent dépassés. Prenons 1984. Un futur glaçant dont on se moquait en pensant que c’était impossible, ridicule même. Et voilà. 1984, nous y sommes. Big Brother s’appelle Facebook, Apple, Twitter, Google. Nous sommes sans cesse surveillés, espionnées, traquées. Même le centre commercial « Les Quatre Temps » à La Défense y va de son espionnite. Mais nous restons heureux, hypnotisés, fascinés que nous sommes de pouvoir échanger gratuitement nos photos de bouffe en tous lieux, écouter de la musique gratuite où l’on veut, voir gratuitement des films où que l’on soit –méfiance. Tim Cook, président d’Apple, a dit un jour : Quand c’est gratuit c’est que c’est vous le produit. Et il nous le démontre chaque jour, ah, ah. Pour l’anecdote, je me rappelle avoir moi-même écrit un film important pour Apple en 1989, qui dénonçait la toute puissance du pouvoir de la pensée et je crois, malheureusement, qu’Apple est devenu ce qu’il combattait alors.
Voici donc le retour d’un grand texte dystopique d’anticipation, La Servante écarlate*, paru pour la première fois en 1985, qui met en scène un monde (américain) où des fanatiques religieux ont pris le pouvoir, et dans lequel les femmes sont à nouveau infra-humaines (sauf celles de la caste supérieure**, bien sûr). L’histoire est racontée par Defred, une de ces servantes, destinées à la reproduction, mais surtout par celle qu’elle était avant, au temps des souvenirs heureux, au temps de la liberté, des livres et de l’amour. Depuis l’élection de Trump, ce livre est devenu un manifeste dans la main des femmes, et Emma Watson en cache même des exemplaires dans tout Paris. Enfin, vient de sortir une série télé*** avec l’excellente Elisabeth Moss (absolument parfaite dans Mad Men) qui montre à quel point la liberté des femmes est encore bien fragile. On ne pourra pas dire cette fois que nous n’étions pas prévenus.

*La Servante écarlate, de Margaret Atwood. Édition Pavillons Poche / Robert Laffont en librairie depuis le 8 juin 2017. (Le titre de cet article est un clin d’oeil à la formidable La Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne, où une femme est condamnée à porter la lettre A de l’adultère, pour avoir aimé).
** Ce qui fait écrire à Atwood dans sa postface, page 519 : « On a souvent qualifié La Servante écarlate de «dystropie féministe» mais ce terme n’est pas strictement approprié. Dans une dystropie féministe pure et simple, tous les hommes auraient des droits bien plus importants que les femmes. »
***http://culturebox.francetvinfo.fr/series-tv/la-servante-ecarlate-une-serie-derangeante-qui-arrive-en-france-258559

Ah, l’éternel débat.

Delacomptée.

Lettre de consolation à un ami écrivain, de Jean-Michel Delacomptée. Éditions Robert Laffont. En librairie depuis le 15 septembre 2016.
PS. L’analyse de Delacomptée à propos de Christine Angot (seize pages quand même, de 103 à 119 ) est assez cocasse en ce jour où nous apprenons qu’elle va remplacer Burgraff au côté de Moix dans la prochaine saison de On n’est pas couché.

(Une parenthèse).

Pronzini1.

Une petite pause après tant de bons romans (chroniqués ici) et de moins bons (poubelle), avec un polar découvert au hasard d’une balade dans Paris, chez un bouquiniste côté Pigalle (livre très propre et sans rides malgré ses vingt-cinq ans d’âge, tranche intacte, absence de moisissure en bas à droite des pages) et surtout un pitch, un spoiler comme on dit maintenant (cf photo ci-dessus) épatant. Un brin stephenkinguien.
Deux heures d’évasion avec un roman de genre, un policier, un vrai, à la manière des années 50 (bien qu’écrit en 1988), comme les adorait Marcel Duhamel (créateur inspiré de la Série Noire) : un héros fait d’un bloc (détective/père alcoolo et violent/rapport délicat, prudent, aux femmes), un méchant fait d’un trait (féminin/complexe/traumatisé) et un suspens comme une autoroute (dont Rédemption serait le nom de la dernière sortie). Bref, une parenthèse avec un bon polar noir. Velu. Odorant. (Un truc de mec, quoi).

*Le Carcan, de Bill Pronzini, éditions Gallimard, collection Série Noire (n°2181).

Eine gute Nachricht.

Aujourd’hui, L’Écrivain de la famille sort en Allemagne. Comme c’est le jour de la Saint Thomas, il faut le voir pour le croire, alors voilà.

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