Archive | mars, 2022

Mon cher Jacques,

À toi que je sais être capable de traverser la France au départ de ta lointaine Normandie, dans ta petite Polo, pour t’attabler dans un restaurant dont on t’a vanté son magret de canard en cocotte, tel autre son maquereau sauce vierge, ou encore dans celui-ci un gibier cuit sous croûte de sel, toi qui connais l’Auberge du Père Bise, la Maison Troigros, la carte de Gagnaire au Balzac, toi qui aimes la beauté qui se savoure, se mange et parfois se boit, permets-moi de te suggérer de gouter à ce Chef* de Gautier Battistella. Outre le fait qu’il fut lui-même journaliste gastronomique (goûteur, n’ayons pas peur des mots) au célèbre Guide rouge, le voici qui nous délivre une recette romanesque exquise. Il te raconte la vie et la mort du grand chef Pierre Renoir, ses débuts dans la gargote de sa grand-mère, et puis Clichy, et puis Annecy, au bord du lac, une table trois fois étoilée où tu aurais rêvé échouer. Il te fait pénétrer dans les grandes cuisines, découvrir les brigades, les brimades et les grâces, mais surtout le cœur de ces chefs qui n’est pas seulement à l’ouvrage mais à la tragédie, car à quoi peut-on rêver le jour où l’on a atteint toutes les étoiles ? Dévore ce livre, ami Jacques, il est la magnifique gourmandise d’un Chef des Lettres.

*Chef, de Gautier Battistella, aux éditions Grasset. En librairie (et sans doute dans certains restaurants) depuis le 2 mars 2022.

Où est Gérard ?

Voici une petite nouvelle* du grand Dany Laferrière, écrite avec malice et gourmandise par l’enfant du titre qui cherche à savoir qui est Monsieur Gérard dans cet Haïti de dictature, un homme dont on dit qu’il charme les jeunes filles, à moins que ce ne soient les jeunes filles qui cherchent à le charmer, dont on affirme qu’il a séduit une magnifique femme mariée, qui aurait reçu une gifle phénoménale à laquelle il n’aurait pas répondu. Mais l’enfant a des yeux qui regardent, possède l’immobilité des contemplatifs, les seuls capables de percevoir les choses au-delà des apparences. Comme l’amour fou par exemple. 46 pages inoubliables.

*L’Enfant qui regarde, de Dany Laferrière, de l’Académie française, édité chez Grasset. En librairie depuis le 9 mars 2022.

Julie G.

Voici*ce qu’on appelle un feel good book, peut-être même de la chick lit, ce qui n’est pas fréquent ici, mais voilà. Il s’avère que je connais Julie Gaillard, qu’elle m’a aimablement adressé son livre et que je l’ai lu gourmandement. 
Il narre l’histoire de Marion L. (pour Lecalet) — infirmière enrobée et diabétique, selon elle, au temps du covid — et de sa rencontre avec un flic un jour d’attestation de sortie (souvenez-vous, le fameux ausweis) qui débouche sur un pari un peu fou : faire le striptease dont rêve à l’hôpital son ami mourant puisque les effeuilleuses n’ont pas le droit de travailler (pour cause suscitée). Cette mise à nu sera pour Marion l’occasion de se dépouiller de tout ce qui l’encombre et dont le confinement a montré la place démesurée que cela prenait, et de décider d’une vie plus en phase avec ses envies. En l’occurrence, un Lavomatic. C’est léger, drôle, sans prétention. Et pourtant. 
L’irrésistible Marion L. peut être lu comme l’irrésistible envie de Julie G. d’écrire un livre (le striptease), de le publier (la mécanique de la création de sa laverie) et de la liberté (dépendre enfin de soi), et finalement, c’est cette lecture là que j’ai le plus aimé, qui raconte la naissance d’un auteur, une promesse toujours émouvante.

*L’irrésistible Marion L., de Julie Gaillard. Éditions IGB, coll Contemporain. En librairie depuis le 12 janvier 2022.

Tous les Moulins de mon coeur.

Méfiez-vous du titre, de la quatrième de couverture, de l’éclatant sourire de Xavier de Moulins au dos du bandeau, Toute la famille ensemble* ne ressemble en rien à une jolie comédie familiale printanière. 
Voici un roman d’une écriture pleine de trouvailles et d’élégance qui nous plonge dans le cœur des mères, des pères, des fils et des filles, des amant(e)s, des rires et des chagrins, sans jamais céder à la facilité. Au contraire. Xavier explore ses cœurs par la face Nord, l’aride, l’implacable, la dangereuse, pour nous livrer ses personnages dans leur magnifique nudité, dans la troublante crudité de leurs tourments, et nous parle d’amour comme rarement en littérature — cet amour qui peut faire mal et qu’on doit aimer malgré tout, car il permet à chacun de prendre le risque de vivre encore. 
Toute la famille ensemble, c’est surtout Tous les amours ensemble ; une plongée à la fois sombre et radieuse dans ce que nous sommes tous et qui fait de chacun de nous un être humain précieux, fragile et tragiquement irremplaçable.

*Toute la famille ensemble, de Xavier de Moulins. Éditions Flammarion. En librairie depuis le 2 mars 2022. (Le titre de cette chronique est à porter au crédit d’Eddy Marnay, parolier des Moulins de mon cœur).

Les caprices d’un astre.

Dans ses romans, comme dans ses films Hitchcock avait son MacGuffin, Antoine Laurain a recours à un objet transactionnel. Il peut être un chapeau (Le Chapeau de Mitterrand), un carnet (La femme au carnet rouge), un manuscrit (Le service des manuscrits), une cassette audio (Rhapsodie française), une bouteille de vin (Millésime 54) et à présent un télescope (dans ce nouveau Les Caprices d’un astre*). Ces objets lui permettent de donner corps à sa fantaisie romanesque mais surtout de se téléporter, si je puis dire, dans l’univers qu’il souhaite conquérir — aujourd’hui la comédie romantique. Oui, une histoire où un homme tombe amoureux d’une femme qu’il a fort peu de chances de conquérir mais dont l’issue fait peu de doutes car le genre repose sur l’impérieuse nécessité d’un happy end. 
Mais là où Laurain est épatant et diablement réjouissant, c’est qu’il redessine les contours de cette comédie amoureuse de façon tout à fait inattendue, en reliant, via le fameux télescope, deux histoires d’amour, plus exactement d’attractions (le double sens du titre prend ici tout son sens) : la chimérique — celle de l’astronome Guillaume Le Gentil de la Galaisière pour Hortense, au dix-huitième siècle, et l’imprévisible — celle de Xavier Lemercier pour Alice Capitaine 250 ans plus tard.
Mais n’en révélons pas davantage, car dans l’amour, c’est le chemin qui compte.
Les Caprices d’un astre pourrait tout à fait être la rencontre jubilatoire du chevalier de Rackham le Rouge d’Hergé et du Jeff Jefferies (James Stewart) de Fenêtre sur cour du vieil Alfred. Il est surtout la démonstration du talent d’Antoine Laurain à se jouer de tout.
La malicieuse audace des grands conteurs.

*Les Caprices d’un astre, de Antoine Laurain. Éditions Flammarion. En librairie (et sur liseuse) depuis le 12 janvier 2022. Tous les livres cités sont publiés chez Flammarion.

À l’adresse du bonheur.

Il est des restaurants où l’on se sent fort bien, où l’on est toujours bien accueilli, où le menu, que l’on connaît et qui est l’une des raisons de notre fidélité, est de qualité et réserve parfois une surprise au dessert et, lorsque vient l’addition — oh pas bien élevée dans ce cas, on parle de 20 euros — on se dit que décidément on a été fort bien traité.
Voici le nouveau roman* de Lorraine Fouchet, fidèle aux précédents, qui nous régale avec sa formule d’une famille toujours un peu déglinguée qui se retrouve sur l’île de Groix (la fameuse Adresse du bonheur) à l’occasion d’une fête, d’un décès, en l’occurrence de l’anniversaire d’une grand-mère et qui, à la faveur de cette réunion, va régler ses problèmes pour nous offrir le dessert du Chef, doux et sucré : celui de la réconciliation. Il y a en anglais une expression, comfort food, inélégamment traduite par « nourriture de confort » mais qui s’adapterait très bien au livre de Lorraine. Un livre qui réconforte. Comme un bon repas entre amis, vous savez, celui où l’on s’est régalé et qui a duré des heures sans que l’on n’ait jamais vu le temps passer.

*À l’adresse du bonheur, de Lorraine Fouchet. Éditions Héloïse d’Ormesson. En librairie le 3 mars 2022.