Invité #39. Dominique Monnoyeur.

Au salon du livre de Villeneuve-sur-Lot que j’ai eu la joie de présider il y a quelques mois, je m’attendais à rencontrer un directeur des affaires culturelles comme on en imagine chez Marcel Aymé ou Claude Chabrol – petit fonctionnaire rabougri, artiste frustré, les doigts jaunis, le velours râpé, pérorant sur la misère culturelle en province –, eh bien pas du tout. Dominique est l’un des hommes les plus passionnants et les plus passionnés qui soit de littérature. Il parle des livres comme si sa vie en dépendait. Il portraitise les auteurs comme s’il était leur intime. Il donne envie des mots et des envies de mots. Il les fait s’envoler jusqu’au cœur des autres. Et comme je suis convaincu qu’on ne peut aimer les livres que si on aime le monde, je crois que Dominique est un immense amoureux de la vie. Magnifique rencontre, merci la vie, comme disait Blier fils.
Je lui ai demandé  de nous présenter l’un de ses coups de cœurs. Le voici.

« Un journal tenu à compter du lendemain de la mort de la mère du philosophe. Une heure de lecture en intimité avec Barthes. Un texte post-mortem dont l’édition ne sera validée qu’après la disparition de son auteur. Une apnée dans le deuil, le chagrin, la mort intime de la mère et celle, universelle, de nos parents. Le mystère de la littérature et de ses maîtres qui tient dans la rencontre de l’unique avec le tumulte du monde. Un jour-le-jour ciselé, une épure d’économie de mots qui nous bouleverse d’autant. Comme ce « 15 septembre 1979 : il y a des matinées si tristes… » ou encore ce « 11 janvier 1979 : …douleur de ne jamais plus poser mes lèvres sur ses joues fraîches et ridées ». On suit ainsi la fin du fils dans la mort de la mère proustienne, omnipotente. D’aucun y verront entre les premières lignes l’aveu public d’une homosexualité jamais révélée du vivant de la matrone : « 26 octobre 1977 : Première nuit de noces. Mais première nuit de deuil ?« . Et quelques pincées de provocation inces-tueuses tant qu’on y est. Quelle importance ?
En vérité, il faut suivre ce dédale de perdition comme on se noie avec les chœurs du Lamento d’Arianna ou de la mort de Didon. Se laisser emporter dans cet écho moderne d’un Lacrimosa dont on se souvient des vers fondateurs : « Le cœur broyé comme la cendre, prends soin de mes derniers moments ». Et se taire à l’éloquence de Barthes : « Je ne veux rien d’autre qu’habiter mon chagrin. » C’est quand le nôtre nous saisit que nous mesurons l’importance de la littérature. »

*Journal de deuil, de Roland Barthes. Éditions du Seuil/Imec, coll « Fictions & Cie », 2009. Puis ré-éditié chez Points en 2012.