J’ai croisé Évelyne Dress dans nos vies antérieures. Elle était comédienne, s’apprêtait à réaliser un joyeux long-métrage, Pas d’amour sans amour (1993 – avec une impressionnante flopée d’acteurs) et possédait déjà cette énergie incroyable, cette curiosité sans fin, cette envie de bouger les murs pour agrandir le monde. Je l’ai retrouvée au Salon du Livre de Limoges, en écrivaine* cette fois, telle qu’en elle-même, énergique, drôle, disponible, faisant le bonheur de ses très nombreuses lectrices. Alors je n’ai pu m’empêcher de l’inviter nous présenter l’un des livres les plus importants pour elle. Le voici.
Mademoiselle de la Ferté**, de Pierre Benoit (1886 – 1962) a été mon premier choc littéraire.
Papa m’avait acheté le livre en solde à La Mure, un bourg situé à soixante kilomètres de Grenoble et à trente de Petichet, un hameau où nous passions nos vacances d’été. Notre maison, un corps de ferme, avait abrité mes grands-parents pendant la dernière guerre et pour eux, Petichet était un petit bout de la Terre Promise. Pour moi, aussi.
J’avais à peine dix ans et j’étais amoureuse de Jacques, dix-sept ans, fils unique d’un médecin de Grenoble. Comme nous, il passait ses vacances d’été à Petichet. Suivi de Joram, son épagneul roux, chaque matin, il empruntait le chemin qui menait à la ferme voisine de la nôtre. Tapie dans l’ombre d’un tilleul, je le guettais. Sa silhouette, longue, souple, qui ondulait, faisait battre mon cœur. Quel ne fut pas mon trouble, lorsque lisant le roman de Pierre Benoit, je découvris que Mademoiselle de La Ferté avait elle aussi son Jacques ! Jacques de Saint-Selve ! Et qu’elle le suivait de loin lorsqu’il sillonnait la campagne avec Pyrame, son épagneul roux ! Tout y était : le prénom, la campagne, l’épagneul, la mésalliance entre les deux maisons, car je n’étais que la fille d’un tailleur sur mesure ! Impatiente de savoir si à un siècle d’intervalle – Mademoiselle de la Ferté étant née en 1860 – le destin me réserverait le même sort, je dévorai le roman.
Aujourd’hui, je repense à ce beau texte avec nostalgie.
L’histoire : Mademoiselle de la Ferté est amoureuse de Jacques de Saint-Selve et réciproquement. Contrariés par l’éventualité d’une union, les parents de ce dernier l’envoient redorer leur fortune à Haïti. Jacques promet de revenir au bout d’un an pour épouser Anne, mais il se marie avec Galswinthe, une jeune et jolie Créole anglaise. À partir de là, Anne se résigne à vivre en célibataire sur son domaine de la Croust. Lors de son voyage de retour en France, Jacques succombe à une insolation. Devenue veuve, la gentille Galswinthe vient s’installer à La Pelouse, la demeure familiale de Jacques, proche de La Croust. Anne et Galswinthe se rencontrent et les deux femmes nouent, alors, une amitié mystérieuse. Bien qu’elle lui ait dérobé son amour, Anne se dévoue corps et âme à Galswinthe qui a contracté une maladie pulmonaire. Anne a-t-elle pardonné à Galswinthe de lui avoir pris Jacques ? Ou bien met-elle en place une féroce vengeance ?
Pierre Benoit dessine le portrait de ces deux rivales.
Extrait : « Anne voulut se rendre compte. Elle prit entre ses mains la mince jambe, à peine déformée, la serra avec plus de force qu’il n’eût convenu, peut-être. En même temps, elle regardait Galswinthe. La jeune femme pâlit un peu, mais sans cesser de sourire.
– Vous souffrez ? demanda Anne
– Je souffre, il est vrai, dit Galswinthe. Mais il me semble que vous me faites du bien. »
Mon avis : Je recommande ce roman bucolique et diabolique, machiavélique même, à qui aime les vraies histoires. Pierre Benoit y explore des sentiments indémodables, tels l’amour, la haine, la jalousie, la vengeance.
* Le Rendez-vous de Rangoon, Les Tournesols de Jérusalem et, le nouveau Les chemins de Garwolin, Prix du roman Aumale 2016. Évelyne Dress, éditions Glyphe. http://evelyne-dress.com
**Mademoiselle de la Ferté, de Pierre Benoit (1923). Éditions Albin Michel (ré-édition 2012) avec une préface d’Eric-Emmanuel Schmitt.