J’ai toujours été impressionné par les personnes qui créent du langage. Dominique Cozette en fait partie. Un jour, presque par hasard (c’est toujours presque par hasard qu’on fait avancer le monde) elle a inventé la campagne Omo avec les singes, mais surtout le langage desdits singes. Souvenez-vous. Omo Micro, touti rikiki maousse costo. Crapoto basta fuit ! (…). Et la marque, en perdition, revint en tête des ventes. J’ai eu la chance de travailler et de rire pendant quatre ans avec Dominique dans une agence de pub. Mais derrière la formidable rédactrice, quel bonheur d’avoir découvert (elle ne crâne pas) un très bel écrivain*, une parolière épatante, une artiste émouvante et une blogueuse hors pair. Je lui ai demandé de nous présenter l’un de ses derniers coups de cœur. Le voici.
UNE SACRÉE DARONNNE ! La daronne** est le titre du tout dernier livre d’Hannelore Cayre, avocate pénaliste de profession mais aussi écrivaine, donc, et réalisatrice de son premier bouquin Commis d’office. C’est une nana cash, drôle, cinglante, qui écrit dru et ce polar est formidable. Parce que ça pourrait n’être que le roman de sa vie, et ça serait déjà formidable. Faut voir ce qu’elle a vécu avec un père dans les « affaires » internationales, du blé qui coulait à flot, une maison quand même pourrie mais avec un esclave qui ramassait les robes que sa mère laissait tomber par terre, des vacances dans les palaces où monsieur était traité comme le roi du monde. Jusqu’à ce qu’il meure. Un moment, le rêve recommence en la personne d’un époux formidable, richissime aussi, mais qui meurt vite. Et là voilà minable avec tout l’argent claqué par une mère sans amour ni vergogne qui finit sa triste vie dans un mouroir qui, comme tous les mouroirs, coûte la peau du clito. Son clito qui ne sert plus à rien sauf à un flic gentil, amoureux mais bourrin.
Pour gagner sa vie, comme arabe bilingue, elle traduit les milliers d’heures d’écoute des dealers et trafiquants haut de gamme et les arrange parfois à son goût. Puis, au pied du mur pour débourser plus qu’elle n’a, elle saute le pas. Grâce aux contacts qu’elle traduit, elle s’introduit dans un juteux trafic qui va lui rapporter une montagne de cannabis. Du bon. Et elle devient la daronne. Elle se lie avec une Chinoise qui a aussi des trucs planqués dans une grande cave blindée…
Le livre n’est pas épais mais extrêmement dense. Comme dans un montage cut-cut, elle ne s’attarde pas sur les détails, elle fonce, elle pare au plus pressé, elle débobine, entube, recèle, surborne. C’est très acerbe, très cynique, on en apprend de belles, notamment que le ministère n’a pas les moyens de salarier les traducteurs donc qu’ils sont payés au black, et c’est vrai. Des choses comme ça.
*Pour la nuit ou pour la vie ? (Les hommes au banc d’essai), Belfond, 1988. Mal de mère, Balland, 1991. Ma femme, Grasset 1993. Rewind, Calmann-Levy, 1998. Quand je ne serais jamais grande, Calmann-Levy, 1999. Couchées, Pauvert, 2000.
**La daronne, d’Hannelore Cayre. Éditions Métallié. Prix du Polar Le Point Européen 2017. En librairie depuis le 9 mars 2017.