Invitée #36. Sophie de Baere.

Il semblerait que Nice soit propice aux belles rencontres. Après Mireille Calmel en 2013 et Laurence Tardieu cette année, c’est l’an dernier que j’ai rencontré Sophie de Baere. Elle était assise à côté de moi et présentait son premier roman, La Dérobée, une sorte de diamant noir, pas entièrement poli, et c’est justement dans ces zones rêches qu’il était pour moi le plus beau. Pour la remercier de ce bijou, je l’ai invitée à rejoindre une belle Maison pour son second texte dont je peux d’ores et déjà vous annoncer, pour en avoir lu une version, qu’il sera « détonnant » (sortie début 2020). En attendant sa nouvelle pépite, je lui ai demandé de partager l’un de ses coups de cœur. Le voici.

Comment était-ce possible ? N’avais-je vraiment jamais rien lu de Gaëlle Josse ?  Aurélie, mon excellente libraire de Cagnes-sur-Mer, n’en croyait pas ses oreilles. Qu’à cela ne tienne, certaine que sa découverte allait me ravir, elle me confia Une longue impatience*. Et … ce fut bien plus qu’un ravissement. Je me trouvai happée.
Il faut toujours écouter sa libraire.
Un village breton des années 50.  Comme souvent, Etienne cogne son beau-fils mais ce soir-là, c’est la fois de trop. L’adolescent fugue et Anne, sa mère, se met à sa recherche. L’espoir cède vite la place au ressentiment envers l’époux puis à la froide et inextinguible solitude.
Au fil des pages, les mots à la fois légers et ciselés de Gaëlle Josse emportent. Ils disent l’attente, en décrivent les reliefs. Pour finalement n’en laisser que le noyau brut.
Mais ce livre n’est pas que cela. Il m’a fait traverser, tour à tour, les meurtrissures de l’enfance, l’horreur de la guerre, la misère, la culpabilité. Il m’a imprégnée de cette volonté de rester digne, du désir de survie et, par-dessus tout, de cet amour maternel que le silence d’un fils fait résonner d’une indicible douleur.
Un style élégant, raffiné. Un ton dénué de pathos et pourtant une émotion qui se prolonge bien au-delà des 191 pages tournées avec avidité. Subtil mélange de puissance et d’infinie délicatesse, ce livre est un très, très beau portrait de femme. Il fait partie de ces rares textes qui portent le singulier et l’universel à leurs paroxysmes.
Longtemps après sa lecture, je suis restée avec Anne. Juste à côté de ses errements. Au plus proche de ses secrètes écorchures. Ce roman a accompagné mes derniers mois, les a colorés de ses embruns et de sa poésie dentelée. Il a enchanté mon âme de lectrice et mis à vif mes entrailles de mère.  
Je vais bientôt retourner à Cagnes-sur-Mer. Il faut que je fasse des provisions. Je suis déjà en retard de six Josse.
« Car toujours les mères courent, courent et s’inquiètent, de tout (…)
Elles s’inquiètent dans leur cœur pendant qu’elles accomplissent tout ce que le quotidien réclame, exige, et ne cède jamais. Elles se hâtent et se démultiplient présentes à tout, à tous, tandis qu’une voix intérieure qu’elles tentent de tenir à distance, de museler, leur souffle que jamais elles ne cesseront de se tourmenter pour l’enfant un jour sorti de leur flanc. »
« Je sais pourtant que c’est ce qu’on appelle la vie, dévorer ceux qui sont plus faibles que nous, s’en nourrir pour se donner de la force, c’est ainsi depuis la nuit des temps »
Merci, cher Grégoire, de m’avoir invitée à écrire quelques-unes de mes modestes impressions sur ce grand roman.

*Une longue impatience, de Gaëlle Josse. Éditions Notabilia. En librairie depuis le 4 janvier 2018. Prix du Public du Salon du livre de Genève 2018.