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Interview sans langue de bois.
Par Dana Philp.

« On ne voyait que le bonheur ». Que veux-tu dire par ce titre?
C’est une phrase du livre. A un moment, Antoine, l’un des deux personnages principaux, regarde des photos. De jolis souvenirs. Un père qui sourit. Une petite qui pose, amusée. Un beau poisson grillé. On ne voit jamais l’absence. Les douleurs. Les peines. Les mensonges. Le poisson trop cuit. On ne voit que ce qu’on veut voir. Le bonheur. Jamais ce qui est caché derrière. On ne voyait que le bonheur est un présupposé. On sent une imminence, dans ce titre. Un danger.

Sans trop la dévoiler, quelle est l’histoire qui nous attend ?
Quand le livre commence, Antoine a 38 ans. Il apprend que son père est condamné. Mais on ne sait pas à quelle échéance. Et c’est lui, Antoine, qui voit alors sa vie «défiler» devant ses yeux.
Dans son métier d’assureur, son rôle est d’estimer, d’indemniser la vie des autres. Une nuit, alors qu’il est en conflit de loyauté dans son boulot, que sa femme est en train de le quitter, que ses enfants ont cessé de le prendre pour un héros, que son meilleur ami part en vrille et qu’il est à deux doigts du « burn-out », il va décider de s’intéresser à la valeur de sa vie à lui. Et de ceux qu’il aime ; ceux qu’il perd. Et il va parvenir à un résultat surprenant.

Normalement, tes livres sortent plutôt au début de l’année. Cette fois-ci, au coeur de la rentrée littéraire. Pourquoi ?
C’est le choix de l’éditeur. Il y a vu un texte plus « urgent » (selon ses mots), plus « rentrée » justement. On verra si c’était judicieux (rires).

As-tu le sentiment que ton écriture a évolué au travers de tes livres ?
Oui. Avec le temps, je m’y sens mieux. J’ose prendre davantage de risques. Ainsi, On ne voyait que le bonheur s’ouvre sur une très longue phrase qui illustre une définition de la vie et elle ne s’arrête que lorsque la vie s’arrête. Il me semble que « mon écriture » est maintenant au plus près de chaque personnage, de chaque situation. Elle ne se regarde pas, elle donne à voir. J’ai besoin de moins de mots pour aller plus loin. A l’arrivée, ce que me disent les lecteurs, c’est qu’ils sont « bien dans mes livres ».
C’est important, ça.

Un ami m’a expliqué qu’il écrivait pour essayer de donner du sens aux moments qu’il observe dans la vie. Et toi, pourquoi écris-tu ?
Un auteur a dit un jour qu’il écrivait pour « agrandir sa vie ». Je partage assez bien cette définition. J’écris aussi et surtout parce que j’adore ça. Chez moi, l’écriture est très joyeuse. Même si ce que j’écris est parfois douloureux. Écrire, c’est être profondément seul. C’est plonger en soi, accepter l’impudeur. C’est étourdissant. Enfin, j’écris pour rencontrer des personnages que j’aurais aimé être, ou que j’admire, ou qui apportent des solutions. Je m’invente des vies. J’en offre de nouvelles aux lecteurs.

J’ai entendu dire que On ne voyait que le bonheur est ton livre le plus personnel. Dans quel sens ?
Ce livre était là depuis longtemps, je crois. Il attendait un signal pour sortir. Ce signal, ça été l’annonce de la mort à venir de mon père. J’ai alors pris un piano de chagrin sur la gueule. Et j’ai ouvert les vannes. J’ai cherché à comprendre nos liens, nos sangs, nos héritages. Doit-on accepter tout ce qu’on nous donne ? Aime-t-on assez ceux qu’on aime ? C’est en cela qu’il est le plus personnel, il éclaire certaines de mes ombres. J’y explore mon rapport de fils, mais aussi de père. C’est une odyssée violente. J’en suis sorti épuisé. Et orphelin.

Contrairement aux pays anglo-saxons, j’ai le sentiment qu’un livre qui se vend bien en France est toujours
« suspect ». Tout d’un coup, c’est un livre « populaire » et non pas un livre « littéraire ». Est-ce que ça veut dire que les gens sont bêtes ou que la littérature est pour les « happy few » ?
Je me souviens de ce quotidien qui disait, alors qu’il faisait un million d’entrées, qu’Intouchables était un film formidable, tellement généreux. A trois millions, le film était facile. A six, il méprisait les Noirs. A douze, il portait un discours suspect. A vingt, il était totalement poujadiste. Alors oui, il semble qu’en France, quelque chose qui marche (donc qui plaît au plus grand nombre) n’est pas de qualité. Cette idée est véhiculée par quelques personnes dont la particularité est de faire eux-mêmes des films ou des livres qui ne marchent pas très bien. C’est drôle quand même, parce qu’aucune de ces personnes n’a dit que Hopper était de la merde après l’immense succès de l’exposition au Grand Palais. Ou Lagerfeld un nul après ses défilés à succès. Il semble que ces critiques s’adressent surtout aux livres et aux films. A ce qui touche au plus grand nombre finalement. Ce qui est terrible puisque l’art a aussi pour vocation de changer le regard des «masses» sur le monde. Qu’il possède aussi la vertu de rendre heureux. Il faut arrêter de vouloir avoir raison sur tout ; de prédéfinir ce qui est bon ou mauvais. Je peux aimer Dalida le matin, Wagner l’après-midi. Musso un jour de pluie, Kasischke un soir d’orage. L’important est le plaisir qu’ils procurent, à ces moments précis. L’émotion qu’ils donnent.

J’ai aussi le sentiment que la définition même de la littérature en France reste un peu coincée dans le 19ème siècle. Toujours les sujets historiques, lourds, ou mille fois rebattus. Est-ce que j’ai tort ?
Oui et non. Le problème reste la définition de la littérature. Comme personne n’est d’accord, on s’attache à la définir par sujet. La guerre, par exemple, est un sujet littéraire. Depuis longtemps, le Goncourt couronne très souvent la guerre (Les Bienveillantes, Syngue Sabour, L’Art français de la guerre, Au revoir là-haut). L’Histoire, également, est littéraire. J’aime que les livres aient aussi l’ambition de nous faire comprendre leur époque, et la notre est fascinante. C’est pour cela que j’écris sur «aujourd’hui». Je pense que les meilleurs livres sur le 19ème siècle, par exemple, ont été écrits au 19ème.

Un an de plus que tu vis la vie d’un écrivain. Qu’est-ce qui t’enchante le plus ?
D’être encore là. De toujours recevoir des courriers à propos de mes livres. De croiser maintenant des gens en train de les lire. De continuer à penser que j’ai de la chance, que je la dois aux libraires, aux lecteurs, à mes proches. Et de vérifier, chaque matin, lorsque j’enfile mes chaussures que mes chevilles n’ont pas enflé.

Tu lis énormément. A part le tien ;-), as-tu d’autres livres à nous conseiller ?
Oh oui. J’ai d’ailleurs commencé un blog il y a quelques mois pour les présenter, justement. Et surtout y inviter des gens que j’aime bien, pour qu’ils présentent leurs coups de coeur.

Avignon, été 2017.

Dans Le Parisien, cet été-là.
Si vous n’allez pas au théâtre, le théâtre vient à vous.
Passion Culture à Orléans.