Sainte Véronique.

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Hier, à Nantes, alors que j’officiais l’après-midi chez Coiffard en tant que libraire d’un jour, une dame m’a demandé : Avez-vous le Goncourt ? Je lui ai répondu que non, non, je ne l’ai pas encore, mais Vuillard lui vient de l’avoir. Elle n’a pas bien compris mon trait d’humour car elle m’a vraiment pris pour un des libraires et à ce titre m’a demandé ce que je pensais de ce livre qu’elle comptait offrir à sa belle-mère très âgée pour Noël. Elle m’a donné l’âge de la belle-mère en question, que la bienséance m’interdit de mentionner ici, et je lui ai répondu que si, entre la dinde et la bûche, elle voulait offrir un petit livre formidable qui racontait comment l’industrie allemande avait aidé à la montée du nazisme, alors c’était parfait. Elle s’est un peu étouffée, mais rien de grave ; m’a chuchoté merci pour votre franchise et m’a alors demandé de lui recommander un livre, toujours pour sa belle-mère. Je lui ai alors parlé de Bakhita*. L’esclave devenue sainte. Je lui ai parlé de l’écriture virtuose de Véronique Olmi. De ses fulgurances. Je lui ai parlé de cette petite fille enlevée, vendue, emmenée hors de son pays, hors de sa langue, hors de son prénom oublié, et qui se construit dans dix langues, dans vingt langues et dont le charabia résultant devient finalement la langue universelle, celle de l’amour. Je lui ai parlé de mon plaisir à lire ce texte envoûtant, litanique. De cette écriture douce comme une caresse sur une plaie brûlante. Je lui ai parlé de ce Goncourt des Lycéens que Véronique a raté à une voix (7 contre 6) face à Alice Zeniter, et du chagrin que je soupçonnais être le sien (j’en sais quelque chose, j’ai connu la même voix d’écart avec David Foenkinos en 2014). Je lui ai parlé de la merveilleuse rencontre à venir, au soir de Noël, entre sa belle-mère et Bakhita.
Alors la dame m’a dévisagé quelques secondes sans rien dire, puis elle a souri et a murmuré : Je vais vous en prendre deux.
J’espère que Rémy Ehlinger, patron de Coiffard, fera de moi le Vendeur de l’Après-Midi.

 *Bakhita, de Véronique Olmi. Éditions Albin Michel. En librairie depuis le 23 août 2017. Prix Fnac 2017.