Après le Nord, le Sud. Uzès. Sa confiserie Causse, ses filatures de soie, son usine de poterie Pichon, sa brasserie Brunel et surtout sa librairie de la place aux Herbes où nous serons, mon frère et moi ce soir-là pour parler de la vie, de la mort, de la fraternité, de l’absence et des retrouvailles — de la rigolade, en somme. 18h30. Librairie de la place aux Herbes, 7 place aux Herbes (tiens, tiens), 30700 Uzès.
Bien que ce soir le Nooooord, comme le mâchouillait Galabru dans « Bienvenue chez les Ch’tis », il fera 33 degrés, m’biloute, ce mercredi, et plus chaud encore dans le restaurant où nous nous retrouverons sous l’égide de l’irremplaçable Lucie Pétone pour un dîner littéraire exceptionnel. Du coup, j’ai réservé ma place.
Jean-Paul Kauffmann se souvient*. Non pas de son enlèvement au Liban le 22 mai 1985, mais de l’accident du 2 janvier 1949, dans son petit bourg de Corps-Nuds (Ille-et-Vilaine) — un gamin bourré qui s’en revient d’un match de football avec vingt-cinq personnes à l’arrière de son Dodge 60, fonce, rate un virage sévère, le camion explose le parapet, s’enfonce dans l’eau boueuse, les arceaux qui retiennent la bâche décapitent bon nombre des footballeurs ; dix-huit morts. C’est à partir de ce fait divers pour lequel le conducteur pochtronné prendra à peine un an de prison et 1200 francs de l’époque, que Kauffmann revisite son enfance. « (…) vingt jours après la fin du confinement, j’ai commencé ce livre sur les années 50 » (page 141). Se déroule alors une sorte de pêle-mêle, de courts chapitres sur l’église de son village, le clocher de l’église, la boulangerie familiale, les professeurs du pensionnat, le curé du village, les bondieuseries, le maire, puis la mairesse, puis les livres lus, puis, parfois, un souvenir de captivité au Liban, puis sur une toile de Poussin, sur la nostalgie qui imprègne, inonde tout, bien qu’il s’en défende (« Je n’aime pas la nostalgie, cette mélancolie complaisante »), comme ce chapitre consacré au buvard d’écolier et aux tâches d’encre, au désir immobile d’une certaine Berruyère, aux cinq sens et à son amitié profonde pour le bordeaux ; L’Accident est un retour désordonné sur les lieux de l’enfance, comme on revient dans un pays détruit où l’on n’a plus vraiment sa place.
*L’Accident, de Jean-Paul Kauffmann, aux éditions Équateurs. En librairie depuis le 19 février 2025. Prix Marcel-Pagnol 2025.
Les années 60. Le Nord de la France. La campagne. Des odeurs de printemps et de purin. La ferme. Le temps qui s’étire et baille et tourne parfois à l’orage ou aux brûlures du soleil. Des poules, des vaches et du lait. Des corps forcis, fatigués déjà. Et dans cette pastorale, deux enfants, deux frères, François, 4 ans, Francis, 7 ans, et un jour une automobile écrase le petit. Pas de cris, pas de hurlements ; une fatalité grise, juste un petit corps sur un petit lit, puis sur un petit lit d’hôpital, puis dans une petite boite, et voilà le cœur du petit survivant qui grandit, grandit, pour y accueillir le souvenir de son petit frère, faire place à cette vie dans les champs qu’ils se promettaient, y ranger les mots des grands qu’on comprendra un jour, comme mort et comme mot — juste une lettre d’écart —, comme disparu, comme chagrin. Et c’est le Francis de soixante ans qui écrit aujourd’hui cette tragédie lointaine, le silence des arbres encore, le parfum oublié des tilleuls, lui, le survivant, l’écrivain, Francis Grembert qui, à son tour, bèche le plus beau des jardins du souvenir à son petit frère.
Paris est une fête. Sous les pavés la plage. Des pages avant la plage. Il n’est pas interdit de lire. La lecture nuit furieusement à l’ignorance. Paris sera toujours Paris. Ce dimanche, le quartier Saint-Germain bruisse de mille mots. 10h-19h. Place Saint-Germain-des-Près. Le programme chic ici.
Superhôte, c’est la note maximale qu’un loueur d’Airbnb peut espérer obtenir, mais c’est aussi le titre de ce nouveau roman* d’Amélie qui nous entraine dans une location de courte durée au Touquet en suivant la vie d’une femme de l’ombre : la femme de ménage. Ramasseuse de merde. Nettoyeuse de vomi. Aspiratrice de poussières et autres mochetés. Rangeuse de tout. Flingueuse d’araignées, mites et tiques. Femme qu’on siffle au dernier moment pour rendre à l’appartement tout son lustre et qui voit défiler toutes sortes de gus, jusqu’au jour où l’un d’entre eux, par ricochet, déclenche l’irréparable. Superhôte est formidablement jouissif, démarre sur les chapeaux de roues, style alerte, esprit, humour, cynisme, et soudain bascule dans le drame, l’émotion, la noirceur, l’immense bêtise des hommes. Et ça, ça vaut bien une supernote.
*Superhôte, d’Amélie Cordonnier, aux éditions Flammarion. En librairie depuis le 26 mars 2025.