Archive | novembre, 2014

Invité #16. André Bonet.

Si je n’avais pas pour habitude de titrer le nom de l’invité dans cette rubrique, j’aurais aimé écrire Saint André.
André, ou « le premier appelé », fut, d’une certaine manière, l’apôtre de la réconciliation. C’est lui qui présenta son frère Simon à Jésus. Lui qui amena le gamin qui portait cinq pains et deux poissons. Lui, dont le baiser avec Pierre est devenu le symbole de la marche vers l’unité des Églises d’Orient et d’Occident. Ce n’est donc sans doute pas pour rien qu’André a écrit deux livres sur Sainte Rita* (qui possédait cette grâce d’aimer) et créé, dans le cadre du Centre Méditerranée de Littérature qu’il préside, le fabuleux Prix Méditerranée qui honore ces livres qui réconcilient justement les hommes et les histoires. André est un passeur étonnant, généreux, enthousiaste, et d’une rare tolérance qui donne à nouveau envie de croire en nous.
Je lui ai demandé de nous présenter l’un de ses coups de cœur. Le voici.

Invité #16. André Bonet

« Vertiges et mirages du pouvoir. Là où la terre est rouge* suit les traces d’Icare, un jeune provincial, asocial, oisif, pas altruiste pour un sou qui par un hasard du destin, va faire la rencontre d’un général africain. Ce second père l’introduit dans les quartiers africains de Paris, bouillonnant de misères et de combines, puis, une fois nommé Ministre, l’embarque dans ses valises jusqu’à sa lointaine République du Tshipopo (ou serait-ce la Centrafrique, un pays dans lequel l’auteur a travaillé ?). Là-bas, le jeune homme se vautrera dans la totalité des bassesses humaines- les femmes, l’argent, le pouvoir- il s’en enivrera, au point de ne plus prêter attention aux dérives de ce régime dictatorial dont il deviendra le complice. Comme souvent, l’amour parviendra-t-il à le sauver ? Rien n’est moins sûr…
Un roman passionnant et terrifiant, porté par une description fidèle des arcanes d’un pouvoir africain. Un récit en forme de tragédie grecque, sur la vanité des Hommes et leurs faiblesses. Un merveilleux livre qui a obtenu le prix Folire 2014, parrainé cette année par Alexandre Jardin et décerné par des patients de l’établissement de santé mentale de Thuir.
Le second roman de Thomas Dietrich est annoncé pour l’année prochaine. Il s’intitulera Enfants de Toumaï. Toujours en Afrique, mais cette fois, avec pour cœur  une histoire d’amour, une belle, une vraie ».

*Sainte Rita, ou la grâce d’aimer, d’André Bonet, éditions du Rocher, et Prier 15 jours avec Sainte Rita, toujours d’André Bonet, aux éditions Nouvelle Cité.
**Là où la terre est rouge, de Thomas Dietrich, éditions Albin Michel. Prix Folire 2014.

On the road.

Outre une sélection sur la liste du Prix Goncourt cette année, quelques jours en province dans le cadre du Goncourt des Lycéens, nous partageons, Joy Sorman* et moi, une très grande tendresse pour ce Canada** de Richard Ford. Notamment, pour l’une des plus belles scènes de filature en voiture jamais écrites ; décrite par un enfant, Dell Parsons, dont la route chaotique va le mener à la cruauté de la vie d’homme et surtout, bien au-delà. A lui-même.

On the road

 

*La peau de l’ours, éditions Gallimard.
*Canada, de Richard Ford, éditions Points. Prix Femina Étranger 2013.

Après Mick, Pierre.

Vavasseur

L’immense Pierre Vavasseur (journaliste à la plume velue, écrivain doué et poète pudique lorsqu’il ne chante pas) nous revient enfin avec sa guitare, ses grolles graves et des chansons douces comme les chantait ma maman ; apaisantes, même, à côté desquelles dit-il, Carla Bruni, c’est les Shaka Ponk. Ne pas y aller c’est se priver d’un peu de la beauté du monde.
Deux dates, donc : Le jeudi 4 décembre à 20h15 au Café de la Mairie*, 51 rue de Bretagne, 75003 Paris. Et le vendredi 12 décembre à 19h30 au Théâtre de l’Alliance Française**, 101 boulevard de Raspail, 75006 Paris.

* Au premier étage, dans une salle à l’acoustique entièrement rénovée. Le patron apprécierait une conso.
** En ouverture de la soirée « Mots en Musique ». Présentation par Jérôme Clément. Entrée libre. Cocktail après. Très chic, quoi.

La femme à monsieur Jules.

La femme à monsieur Jules

Une libraire (celle qui a un chien qui me regarde comme si j’étais une saucisse) m’a un jour conseillé ce livre*. Qui ne donne pas forcément envie au premier abord. Imaginez, un couple de vieux. Après une vie ensemble, elle a obtenu du monsieur du titre qu’elle ait droit à quelques instants seule dans leur lit, chaque matin, pendant que le Jules en question prépare le petit déjeuner. Mais voilà. Ce matin là, quand elle s’extirpe de sa confortable solitude méritée, le julot s’est rendormi sur le canapé (bon, après avoir préparé le petit déjeuner, il est vrai). Mais ce qui trouble la femme à monsieur Jules, c’est que ses lunettes sont par terre. Alors elle devine. Elle comprend. Elle sait. Elle va alors enfin pouvoir lui dire, à Jules, tout ce qu’elle a sur la patate depuis tant d’années. Le bon comme le mauvais. Tout. Même les enfants qui disparaissent avec l’eau des toilettes, comme des chatons. C’est beau, c’est féroce, c’est désespéré, c’est profondément humain.

*Une journée avec monsieur Jules, de Diane Broeckhoven, enfin en 10/18 (Merci Carine Fannius).

La plupart des alpinistes meurent dans leur lit.

C’est écrit, page 164 ; et c’est une phrase qui, si elle peut résumer une vie, résume ce livre* formidable. Je ne connaissais pas Paul Veyne (pas de veine, dirait-il), sans doute parce que je ne me suis pas (encore) intéressé à son travail d’historien de Rome, spécialiste de Foucault, admirateur de René Char, « ce colosse colérique et conquérant ».
Paul Veyne est un alpiniste de la vie. Un aventurier de son époque. Un très chic professeur du Collège de France (dont la seule grande obligation est d’y faire 16 heures de cours –on dit conférence d’ailleurs… par an). Il a 84 ans. Son livre de souvenirs a la plume légère d’un jeune homme et l’élégance de celle d’un homme, puisqu’elle n’est jamais revancharde. J’y ai découvert une personne qui aimait sa vie. Je l’ai refermé en quittant un père à qui son fils manquera toujours, un homme qui aimait deux femmes qui l’aimaient, un ami que je regrette de ne pas (encore) connaître.

Veyne

* Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas, de Paul Veyne, aux éditions Albin Michel. Prix Femina de l’essai 2014.

Invitée #15. Karine Fléjo.

Karine Fléjo est la première personne à m’avoir appris ce qu’était une blogueuse (j’avais d’abord cru à une blague), parce qu’on m’avait fait découvrir sur son blog, ce qu’elle avait écrit sur mon premier texte, L’Écrivain de la famille. Nous étions en 2011. Et comme c’était l’une des premières critiques que je lisais, je me suis empressé de la remercier –d’autant que la critique était bienveillante. Peu de temps après, lorsque j’ai obtenu le « Prix Carrefour du Premier Roman », on m’a demandé quelles étaient les personnes que je souhaitais inviter à la fête, je n’ai alors proposé qu’un seul* nom. Le sien. Depuis, nous nous sommes revus quelques fois. Elle m’a fait le cadeau de me faire lire ses très bons textes à elle (elle fera bientôt un livre, j’en suis sûr -que je bloguerai ici, et, en attendant, elle s’est mise au dessin : c’est à dire un trait qui, au lieu de former une lettre, forme ce que le mot dit. C’est tout en délicatesse. Et ça lui ressemble.
Je lui ai demandé de nous présenter l’un de ses coups de cœur. Le voici.

Invitée #15. Karine Fléjo

« Novembre 1954. Dans neuf jours et neuf nuits, le camp d’Ellis Island, lieu de passage principal des immigrants qui arrivent aux Etats-Unis, va fermer ses portes. Pour John Mitchell, son directeur, dernier occupant des lieux, c’est l’heure du bilan. Et de se remémorer les drames qui ont jalonné ses quarante-cinq années de service, du décès de sa femme tant aimée à son amour interdit avec Nella, une immigrante sarde. Entre devoir et compassion, raison et sentiments, responsabilité et culpabilité, il fait défiler sur l’écran de ses pensées les milliers d’hommes, de femmes et d’enfants en quête d’un avenir meilleur à avoir tenté leur chance en ces lieux. Et d’être animé par l’urgence de coucher ses souvenirs sur le papier, d’alléger quelque peu le fardeau de la culpabilité par l’aveu. Avec une écriture sobre, ciselée, aussi vibrante que belle, Gaëlle Josse dresse le portrait d’un homme viscéralement attachant, qui toute sa vie aura essayé d’être un employé irréprochable, mais sera avant tout et surtout resté un humain. Un roman magnifique ».

Le dernier gardien d’Ellis Island, de Gaëlle Josse**, aux Editions Notab/lia. En librairie depuis avril.
* Ceci dit, nous ne fûmes pas que deux. Entre les organisateurs, les éditeurs, les jurés, les invités des autres, les gourmands, les affamés, les pique-assiettes, les journalistes, nous fûmes ce soir là près de deux cents, chez Harcourt.
**Pour la petite histoire, j’ai eu l’honneur de présider en 2012 le dixième Prix du Marais organisé par la très dynamique Médiathèque de Lomme (59) et la joie de remettre ce Prix (doté, net d’impôt) à Gaëlle pour ses formidables Heures Silencieuses, parues aux éditions Autrement.

 

Bien avant l’heure.

Siodmark

Écrit en 1942, publié par Gallimard en 1949, ce roman noir dont Gaston Gallimard disait aux détracteurs du genre que, s’il les éditait, « c’est parce qu’il faut bien que je paye mes poètes », est une merveille d’anticipation, bien avant 1984 ou, plus récemment, la série Real Humans. Voici l’histoire du cerveau d’un nabab (corps explosé dans le crash de son avion) qui prend doucement possession de la chair, des viscères, des yeux, des mains d’un autre. Il l’envahit. Le manipule. Le soumet. Un petit cousin du Démon de Selby Jr. Sans le savoir, Siodmak – qui était surtout scénariste de films d’horreur, signait un texte glaçant sur la manipulation ; à considérer sérieusement, à l’heure où ni Google, ni Facebook, ni personne d’ailleurs, ne nous possède, ne nous utilise, ne nous vend, ni ne nous ment.

Le cerveau du nabab, de Curt Siodmak, éditions Gallimard, Série Noire. (Il reste quelques occasions sur fnac.com).