Archive | février, 2015

Soudain un inconnu vous offre un disque.

Un jour, alors que vous êtes dans une sorte de supermarché culturel, un type s’approche de la table derrière laquelle vous installé, et sur laquelle sont posés quelques exemplaires de vos livres. Il vous dit qu’il adore votre travail et qu’il aimerait vous faire un cadeau. Alors il vous donne un disque. Son disque*. Vous le remerciez bien sûr (c’est moins grossissant que des chocolats) et, plus tard, en rentrant sur Paris, bloqué dans les embouteillages, vous écoutez le disque. Et là, paf. Vous avez les tripes qui remuent. Vous pensez aux mélodies d’Ólafur Arnalds. A certains trucs grâcieux d’Alexandre Desplat. Et vous n’avez qu’une envie. Faire savoir qu’un putain de compositeur est né.

La_desillusion_de_lea

*La désillusion de Léa, Stéphane Giardina, Lalouine éditions.

Invité #18. Paul Vacca.

En 0,38 seconde, Google donne 448.000 résultats pour Paul Vacca. Il est sur Twitter, sur Facebook, mais n’a pas (encore) sa notice Wikipedia. Dommage. On y aurait appris que, outre être un scénariste efficace (La Torpille, Du côté de chez Marcel), un brillant essayiste (Hyper, ton univers impitoyable –Ed. Alternatives, et La Société du Hold-Up –Ed. Mille et une nuits), un romancier délicat (La Petite cloche au son grêle, et Nueva Königsberg –Ed. Philippe Rey), Paul est type élégant (on le trouve souvent sous un chapeau), et discret (il se cache derrière de grosses lunettes) ; qu’il aime la vie, tous les bons livres (et moi tous les siens).
En attendant son prochain roman au titre jouissif : Comment Thomas Leclerc, 10 ans 3 mois et 4 jours est devenu Tom L’Éclair et a sauvé le monde le 2 avril chez Belfond, je lui ai demandé de nous présenter l’un de ses coups de cœur. Le voici.

Paul Vacca

Légende de la photo: Flore et Prix de Flore.

Un kaléidoscope de sentiments.
Comment le naufrage annoncé d’un amour peut-il être si palpitant ? Comment une histoire* si sombre peut-elle donner naissance à un récit si lumineux ? Tour à tour tranche de vie ultra contemporaine (avec des SMS, des messages électroniques, des copies de lettres, de petits mots…), « roman-photo » dans la veine de Sophie Calle, traité scientifique ironique (avec des tableaux et des schémas qui pastichent les help books), traité moral au style ciselé qui rappelle celui des moralistes du XVIIe ou flash-backs romanesques au parfum des films italiens ou de Claude Sautet, ce roman est un kaléidoscope de sentiments : drôle, très drôle parfois, léger et vif, mais aussi doucement mélancolique, sombre et poignant. L’amour y est vécu comme un Art de la guerre. Mais un Art de la guerre perdue d’avance. Car il faut laisser les belles histoires d’amour aux gens sans imagination. Pour autant, ce roman dispersé – éclaté comme une exposition à cœur ouvert – possède une parfaite unité. Par la grâce du style de Monica Sabolo, la voix de la narratrice oscille en permanence entre la distance ironique et l’intime à fleur de peau créant un espace romanesque inédit. Alors, le naufrage d’un amour se transforme sous nos yeux en une magnifique rédemption artistique.
Et une fois le livre refermé, on reste suspendu au charme de ce roman, comme cette libellule sur la main de la petite Monica qui clôt l’ouvrage.

*Tout cela n’a rien à voir avec moi, de Monica Sabolo, aux Editions Lattès. Ce roman a reçu le Prix de Flore 2013. À noter, le livre est sorti chez Pocket ce mois-ci dans une édition particulièrement soignée.

Marc & Levy.

Marc & Levy

On pourra dire ce qu’on veut de lui, il l’aura dit avant nous.
Page 163, par exemple.
Elle*, Mia (l’héroïne) se rend dans une librairie pour acheter les romans de Paul Barton (le héros), double badin de lui. Dialogue :
– Tenez, le voilà, c’est le seul titre que j’ai de lui.
– Vous pourriez commander les autres ?
– Oui, bien sûr. Mais j’ai aussi d’autres écrivains à vous proposer si vous aimez lire.
– Pourquoi ? Cet auteur n’est pas pour les gens qui aiment lire ?
– Si, mais disons qu’il y a plus littéraire.
– Vous avez déjà lu un de ses romans ?
– Hélas, je ne peux pas tout lire, dit le libraire.
Dans Elle & Lui, Marc se moque de Levy et fait s’y croiser, de façon cocasse, ses textes légers avec un drôle de Médicis étranger. Levy n’est pas dupe de Marc, et assume joyeusement sont statut d’écrivain libre qui a bien compris que pour faire plaisir à ses lecteurs, il fallait d’abord se faire plaisir à soi.

*Elle & Lui, Marc Levy. Editions Robert Laffont/Versilio. En librairie depuis le 5 février 2015.
PS. Ultime et épatante autodérision, ce commentaire de Paul Barton à propos d’Elle & Lui, en quatrième de couverture : « Magique. Jubilatoire. Un vrai bonheur ».

Entrée dans la vie.

millois

Sortie de boite* est un roman très court. 67 pages. 60 exactement, si l’on décompte les pages de garde. Mais lorsqu’on l’a lu, on s’aperçoit que c’est une véritable prouesse d’être parvenu à mettre autant de choses dans ce très court roman, autant d’émotions, autant de colères, de tentations, d’ivresses et d’apaisements (ou de frustrations ?) à la fin ; autant dire que Jean-Christophe Millois (au demeurant admirable libraire**) ne donne pas dans le gras, les adverbes ronflants ou les descriptions verbeuses. Il raconte à l’os la fin de l’adolescence dans toute sa violence, celle qui consiste à faire le deuil d’une part de soi pour entrer dans la vie des hommes. Ça se lit vite, mais ça dure longtemps.

*Sortie de boite, Jean-Christophe Millois, éditions Lattès, collection « Plein Feu ». En librairie le 11 février 2015.
**Librairie de Paris, Place de Clichy, 75017 Paris.

Un vrai pas dans l’oeuvre de Mathieu Belezi.

Belezi

Page 107*, commence la plus terrifiante invasion de sauterelles que j’ai jamais lue – même celles qui dévorèrent ce qui avait survécu à la grêle, dans les Sept Plaies d’Égypte (Exode, 7-12) –, sont de la rigolade à côté. Cette déferlante est la violente métaphore de la vie d’Emma Picard, partie s’installer avec ses quatre fils en Algérie, dans les années 1860, contre la promesse d’une terre de vingt hectares, d’une ferme, et surtout d’un formidable espoir, le tout bien emballé par un petit fonctionnaire encravaté. Cette nuée d’orthoptères résume la désolation de cette famille (et de tant d’autres colons abusés), de tout ce qui est sans cesse à recommencer, sans cesse détruit ; de l’immense ingratitude de la vie, de l’absence ; de l’abandon surtout de Dieu. Emma Picard est une femme dont les bras sont trop faibles pour la tragédie (au sens le plus noble) qu’elle doit porter, et dont l’immense courage ne fait pas tomber la pluie ou remplir les puits, ni la foi ressusciter les enfants que broie la terre algérienne. Une femme inoubliable, en somme.

*Un faux pas dans la vie d’Emma Picard, de Mathieu Belize, éditions Flammarion. En librairie.

Un travail monstre.

Un travail monstre

C’est un western. Un documentaire. Une enquête. Une fresque.  Un chant d’amour, un opéra de sang. Un coup de feu, mille coups de feu. (Et quelques magnifiques pages sur Ornella Muti). Un texte, comme un roman –mais qui serait vrai, et dont l’héroïne serait l’Italie ; « ce terrible et magnifique pays ». Que n’y a-t-il pas le même sur la France où la corruption, la mafia et le racket portent d’autres noms.

*Les Nouveaux monstres 1978-2014, Simonetta Greggio. Éditions Stock. En librairie depuis le 20 août 2014.

Des 549 romans de janvier et février, voici sans doute l’un des plus beaux.

BertholonL’histoire de Clémence*, quinze ans, rousse, yeux vairons, qui croise le couteau et la cruelle avidité d’un prédateur. L’histoire de Clémence, quinze ans après, qui porte toujours aussi mal son prénom ; Clémence qui habite un corps qui ne (re)sent plus rien depuis la mauvaise rencontre, un corps inutile donc, et qui passe ses journées à peindre les corps sans vie en latex des real dolls, ces poupées grandeur nature, troublantes, qui enchantent les timides, les complexés, et les veufs inconsolables. L’histoire admirablement bien écrite d’une reconstruction qui passe par l’une des choses les plus difficiles au monde : l’amitié de soi. Celle là qui ouvre un jour à celle des autres. Puis d’un seul autre. On l’appelle alors l’Amour.
Oui, avec un grand A. Comme Admirable.

*Les corps inutiles, de Delphine Bertholon, éditions JC Lattès. En librairie le mercredi 4 février 2015.

Invitée #17. Aurélie Devoisin.

Librairie Cheminant, Vannes, le 27 novembre dernier. Aurélie Devoisin déboule dans cet ancien cinéma transformé en librairie ; elle a les joues rouges, les mains gelées d’avoir traversé la ville en vélo, à fond, de peur de me rater. Je suis en dédicace et, lorsqu’elle arrive, l’heure de mon train est proche. Mais nous prenons le temps de papoter. Elle est nouvelle dans cette ville. Elle vient de Lyon (on y mange bien), elle a vécu à Bessenay (pays du bigarreau), elle fait de la cuisine (forcément), et rêve d’ouvrir un café littéraire (on ira la supporter). Nous parlons alors des livres qu’elle aime, et je l’invite à présenter l’un de ses coups de cœur sur ce blog. Elle croit à une plaisanterie de ma part. Et deux mois après, la revoici (qui rime avec merci).

Devoisin

« Inspiré d’un drame ayant eu lieu à Shreveport en Louisiane en août 2010 ce roman de Judith Perrignon* m’a beaucoup touché, dans un premier temps par toutes ces voix qui prennent la parole et à partir desquelles s’élève une mélodie d’amour, mais me révolte aussi, par la violence de l’inégalité et la tristesse d’un héritage de l’esclavage ou de la ségrégation, malheureusement, toujours présentes.
« Piscines et squares ouverts aux deux races ». Nous sommes en 1949 aux Etats Unis. Cet écriteau, malgré l’aspect positif qu’il sous entend, n’a malheureusement, pas révolutionné les façons de penser du jour au lendemain. Les mélanges ne se faisaient pas, des émeutes ont lieu, les tensions perdureront et l’homme noir qui jusqu’ici ne pouvait pas accéder aux piscines ne peut toujours pas approcher l’eau sereinement.
Parce que bien avant ces années là, on pensait déjà : « L’esclave qui nage est devenu l’esclave qui s’enfuit ! Et donc passible de mort », la « peur s’est transmise de génération en génération ».
Et nous arrivons en 2010 bien loin de l’esclavage et de la ségrégation, mais la peur des uns n’a pas permis la découverte de la natation pour les autres. Judith Perrignon, nous raconte une famille, des liens indestructibles d’amour et de fraternité. Mais elle nous raconte aussi comment ces liens et l’héritage du passé ont emporté six adolescents « sous les yeux de leurs proches », le 2 août 2010 au fond des eaux de la Red River. « Chacun voulait sauver l’autre. Aucun ne savait nager. » Au travers de cet événement médiatisé à la radio, Judith Perrignon ouvre le débat : « Pourquoi les noirs ne savent pas nager ? » et donne la parole à l’un des sauveteurs qui étaient sur les lieux, nous livrant  la dure réalité de son travail. Un livre émouvant d’une triste et puissante violence. Un livre qui ouvre les yeux et éveille les esprits. »

*Les faibles et les forts, Judith Perrignon, éditions Le Livre de poche. En librairie.