Archive | décembre, 2017

ErE – ErEz.

Les mots oubliés

À l’heure où le vocabulaire se rétrécit à coups de cdt, bjr, tjr, 1A2C4, pk et autres raf, ou s’allonge à coups d’inclusivités, chè-e-rs-es lecteur-s-trice-s, joyeux-euse Noël-le et beau-elle an-nnée, il est bien agréable de découvrir un livre passionnant* qui nous fait redécouvrir les mots perdus, qui sont justement la terre d’où nous venons tous. Cet amour. Bonne année.

*Les Mots disparus de Pierre Larousse, introduction de Bernard Cerquiglini. Éditions Larousse, forcément. En librairie depuis le 25 octobre 2017.

Mon ami Noël.

Évidemment, écrire un premier roman qui arrache à Stephen King un seul mot, bravo, à Harlan Coben ce commentaire : Sarah Pinborough va devenir votre nouvelle obsession et qui se retrouve, dès sa sortie, numéro 1 des ventes dans le Sunday Times, ressemble à un conte de Noël – et ça tombe bien, Noël, nous y sommes.
Voici donc Mon amie Adèle*, premier thriller ébouriffant d’une jeune scénariste de la BBC (il y a pire comme école), une nouvelle variation du thème mille fois rebattu du mari, de l’épouse et de la femme (lequel thème avait valu, il y a cinq ans, un immense succès à Gillian Flynn) traité ici avec une idée sensationnelle, une hitchcockerie même, une audace enfin, que l’auteur, dans sa postface, qualifie de « dérangeante ».
Depuis les séries Broadchurch, Happy Valley, The Fall et autres Luther, les anglais ne cessent de réinventer le genre avec génie, aussi, au lieu de glisser sous le sapin un livre d’images sur la peinture du moyen-âge ou sur les tuiles des églises ardéchoises (qui finiront empoussiérés sur une table basse), offrez un livre qui sera difficile à oublier. Joyeux Noël.

Mon amie Adèle.

*Mon amie Adèle, de Sarah Pinborough. Éditions Préludes. En librairie depuis le 27 septembre 2017. Merci, ou plutôt pas merci à Florence Mas pour cette nuit blanche.

De l’art de donner des baffes.

Thomas Vinau.

Il est des livres qui ont l’art de vous foutre une claque. J’en avais pris une grande à l’époque, avec Les saisons de Maurice Pons. Une autre avec L’Agneau Carnivore d’Augustin Gomez-Arcos. Une troisième, avec pétage de plombages, avec Last Exit to Brooklyn d’Hubert Selby Jr. et notamment la nouvelle intitulée Tralala. Aujourd’hui, c’est Thomas Vinau qui m’explose avec Le Camp des Autres. Un roman à l’écriture d’une incroyable minéralité, où poussent des mots organiques, vivants. Jamais je n’avais ainsi lu la forêt. Jamais je n’avais autant ressenti les feuillages, le vent, le poids de l’eau, les insectes sous les écorces, les becs des rapaces qui fouillent dans les goitres égorgés, les petits os craquants sous les mâchoires des rongeurs (page 31). Jamais je ne m’étais aventuré aussi loin dans la chair des choses. Vinau est un conteur d’une sensualité folle, un écrivain de l’abîme. Dans ce quatrième roman, il raconte l’histoire d’un garçon, Gaspard, qui, avec son chien blessé, a fui dans la forêt, où il va rencontrer un certain Jean-le-Blanc, et avec lui, rejoindre la Caravane à Pépère, une authentique bande de déserteurs, bohémiens, prisonniers évadés, qui terrorisèrent nos campagnes en 1906 avant d’être arrêtée l’an suivant par ce qui allait devenir la Brigade du Tigre. Et c’est alors l’occasion rêvée pour Thomas Vinau de nous peindre ces humanités sublimes, écorchées, felliniennes, avec une langue sublime, écorchée et fellinienne. L’occasion de régler ses comptes à toute cette merde infâme et magnifique qui fait notre réalité. La pauvreté des mots. Le courage de certains et l’ignominie des autres (page 192).
Osez pénétrer dans ce camp des autres parce que même si on s’y salit, on en sort grandi.

*Le Camp des autres, de Thomas Vinau. Éditions Alma. En librairie depuis le 23 août 2017. Merci, merci à Rémy Ehlinger de la Librairie Coiffard à Nantes pour cette fabuleuse découverte.