Archive | octobre, 2018

L’écrivain écrit par un écrivain.

Rentrée littéraire 2018. Un écrivain*, c’est le premier roman d’une écrivaine qui écrit sur un écrivain spécialisé dans les essais et qui écrit un roman, L’Imposture du Sphinx, qui traite d’un écrivain qui ressemble furieusement croit-on à l’écrivain qui l’écrit, à tel point qu’on se demande dans le roman si l’un n’est pas l’autre, et voilà que le roman gagne le Prix Goncourt et que l’écrivain dans la vie se met à vraiment ressembler à l’écrivain du livre qui, pour en sortir, se met à écrire la suite des aventures de cet écrivain, dans un second roman, Le Sursaut d’Icare, qui, lui, remporte le Prix Renaudot, dérogatoire au règlement du concours mais qu’importe le texte pourvu qu’on ait les mots, et voilà l’écrivain écrit comme on le dit de l’arroseur arrosé qui, enlisé dans ce double encombrant, écrit la fin de la trilogie dont la pirouette finale le sauve de tout ce bazar. Ouf. C’est dans ce tourbillon abyssal qu’est la jubilation de ce premier roman d’une consultante juridique au Ministère de la Santé (ce qui apparemment laisse le temps d’écrire), et qui a du croiser, observer pas mal d’écrivain dans sa vie pour les croquer avec autant d’acuité.

Laure Arcelin

*Un écrivain, de Laure Arcelin. Éditions Robert Laffont. En librairie depuis le 13 septembre 2018.

Pour Arthur.

Bramly

Cher Arthur,
Tu m’as demandé ce que j’avais pensé du dernier roman de Serge Bramly, alors voici.
C’est un beau livre, à contre-courant de l’urgence de l’époque. Il possède un charme passé, troublant, comme un film de Louis Malle, un jazz de Miles Davis, un noir et blanc, parfois. Il y écrit son histoire – sa rupture, pour être précis – avec sa maîtresse (du jeudi après-midi), Rivka, dont le vrai prénom est celui du titre. C’est donc pour elle, pour Sensi, et à sa demande, qu’il se raconte.
Comme chez Emmanuel Carrère, l’écriture est ici intimement mêlée aux choses de l’amour et du sexe et Serge écrit cette rupture entre la sortie, « mitigée » dit-il, d’un roman et la préparation d’un autre, sur les romains, celui-là.
Pour Sensi est un récit qui tient pour moi du pêle-mêle, du collage, des notes, et c’est dans cette généreuse imprécision que se situe le véritable enchantement du livre, au-delà de son écriture toujours impeccable (souviens-toi d’Orchidée fixe**) et de son érudition surprenante.
En conclusion, oui mon cher Arthur, tu peux vraiment le lire les yeux ouverts.

* Pour Sensi. De Serge Bramly. Aux éditions Lattès. En librairie depuis le 29 août 2018.
** Orchidée fixe. Du même auteur. Egalement chez Lattès (2012).

Les enfants sont éternels.

Thomas SandozPuisque c’est la saison des Prix Littéraires en voici un beau (qui date de 2011). Il s’agit du prestigieux Prix Schiller, le plus ancien prix suisse, décerné à un roman helvète – désormais connu sous le nom de Prix Suisse de Littérature. Bref, un grand Prix dans un petit pays.
J’ai rencontré par hasard son auteur, Thomas Sandoz, au Livre sur les Quais, à Morges en septembre dernier. Esseulé, il est venu s’asseoir à notre table qui faisait face à l’immensité du Léman. J’ai aussitôt adoré son air doux et perdu, et voulu savoir de quels mots il était fait. De sa dizaine de livres, c’est celui-ci* qu’il m’a conseillé et que je me suis empressé de lire.
Même en terre tient de Jacques Prévert et du Jacques Lanzmann du Petit jardin ; l’histoire merveilleuse et poignante d’un employé de cimetière en charge de l’allée E, celle où sont enterrés les enfants ; le portrait d’un authentique doux dont la poésie et la part intacte d’enfance vont protéger ses petits hôtes du » pays des hommes couchés » de l’urbanisation qui menace. Un bijou tout en dentelle.

*Même en terre, de Thomas Sandoz. Éditions Grasset. En librairie depuis le 4 avril 2012. (Précédemment édité en Suisse aux Éditions Autre Part, tirage limité à 600 exemplaires – collector, donc). Prix Schiller 2011.

 

 

Les pieds nickelés.

Rentrée littéraire 2018. D’un pitch, comme on dit maintenant, qui tiendrait sur le papier d’un fortune cookie – Sartre se moque de Giacometti qui vient de se faire écraser le pied par une américaine au volant d’une américaine et ce dernier veut lui péter la gueuleJérôme Attal parvient à nous offrir un roman* absolument jubilatoire. Mais attention.
Sous l’euphorie de ce garçon « courtois, gentleman, poétique et gentil » (dixit Lorraine Fouchet), Jérôme nous offre une épatante réflexion sur la création, doublée d’une magnifique déambulation autour du désir des femmes (on est encore loin de Weinstein et de la censure), triplée d’un visite cruelle de ce Paris de 1937 qui ne voit pas la guerre venir et continue, de Montmartre à Montparnasse, à sabrer le champagne, et quadruplée des extraordinaires et tendres portrait de deux authentiques pieds nickelés : Sartre et Giacometti, le premier dans son arrogance boudeuse et tellement enfantine, le second dans sa (provisoire) démesure miniature (et lecteur de la bd de Louis Forton). Quatre livres pour le prix d’un, quel bonheur !
Mais plus encore que tout cela, car le gentleman a du talent, ce qui rafle vraiment la mise dans toute cette jubilation, ce sont les dialogues. Il y avait longtemps que je n’en avais lu d’aussi bien troussés, drôles, irrévérents, bouleversants parfois.
Vite, une pièce de théâtre, cher Jérôme, et toi, Florian Zeller, prends garde à toi !

*37, étoiles filantes, de Jérôme Attal. Éditions Robert Laffont. En librairie depuis le 16 août 2018. Prix Livres en Vignes 2018. Prix de la Rentrée 2018. Première sélection du Prix Giono 2018.