Archive | août, 2022

Des espérances.

Vingt ans après l’avoir écrit (et sans doute plusieurs fois réécrit), Léonora Miano nous fait découvrir son premier roman* qui, comme bien souvent avec les premiers romans, s’inspire de sa propre vie, en l’occurrence cette période où, à 23 ans, jeune maman sans domicile ni titre de séjour, elle se retrouve en centre d’hébergement d’urgence à Paris. 
Et oui, il y a dans ces pages toutes les choses magnifiques et sordides que l’on peut attendre d’un tel récit, toutes les émotions, toutes les colères qui valent leur pesant d’humanité.
Mais là où le livre a un singulier écho avec le monde d’aujourd’hui (décidément bien immobile dans son rapport à l’autre), c’est qu’à l’heure où Mr. Macron s’en va par ses chemins mémoriels de l’Afrique, faisant mille grandes déclarations à son habitude, il tient là, dans ses pages, un authentique témoignage de nos ratages français. Page 78, Léonora écrit à propos de la France : Je déteste qu’ils nous aient menti. Qu’ils se soient présentés à nous comme s’ils étaient meilleurs. Je déteste qu’ils nous donnent des leçons. Dans ce pays, tout le monde n’est pas raffiné. Tout le monde n’est pas lettré. Tout le monde ne parle pas le français. Tout le monde n’est pas libre et égal. (…). Je déteste que nous ayons été faibles. Que nous nous soyons laissé subjuguer au point de ne plus croire en nous. Ils ne sont pas assez grands pour qu’on leur ait fait cadeau d’un morceau de notre âme. Ils ne savent même pas ce qu’ils nous ont pris. 
Mais je reste convaincu, comme Léonora, que nous sommes tous faits de ces poussières d’étoiles (Stardust) qui permettront à chacun, un jour, de briller de sa propre lumière

*Stardust, de Léonora Miano, aux éditions Grasset. En librairie le 31 août 2022.

Mon frère est mort.

Il reste quelques souvenirs, quelques pages dans mes livres, et lorsqu’on est dans un livre, on ne meurt plus, n’est-ce pas ?

Ici, dans L’Enfant réparé — qu’il n’aura pas eu le temps d’être.

¡ Bienvenidos !

Et voilà que le directeur commercial de chez Grasset, un esprit admirable, une personne rare, m’emmène dans la réserve, s’empare de ce roman* et me le tend en disant : Lis-ça, c’est formidable. Renseignements pris, il s‘agit du premier roman d’une jeune actrice, scénariste et réalisatrice qui, comme souvent avec les premiers livres, revient sur ses origines. Basques, en l’occurrence. D’où le titre. 
Cette évocation poétique d’une citoyenneté de l’endroit où l’on est, est le cœur même du livre puis que Marie Larrea (comme la réal, la réalisatrice, écrit-elle de son nom) se découvre fille adoptée de deux parents eux-mêmes abandonnés.
D’où et de qui sommes-nous ? 
C’est alors qu’elle décide de remonter le torrent de son histoire, comme les saumons, mais si eux y vont pour se reproduire, Larrea y va pour ne surtout pas reproduire l’incertitude et la démission, mais apprendre à y être une fille et une mère — deux soi à jamais simples. 
Mais la vraie, la grande, la magnifique nouveauté est du côté de l’écriture. Un style d’une vivacité enivrante, des mots virtuoses, probablement élevés à toutes les passions d’Espagne. Un ton qui annonce triomphalement la naissance d’un magnifique écrivain. Bienvenue !

*Les gens de Bilbao naissent où ils veulent, de Maria Larrea. Éditions Grasset. Rentrée littéraire. En librairie le 17 août 2022. (Merci Jean-Marc !).

« Les mots pour le dire » (encore).

Au prétexte d’un escapade sur la Seine pour les 70 ans de sa mère — destination la Tour Eiffel qu’elle n’a jamais vue —, Mabrouck Rachedi réunit dans le huis clos d’une péniche sa (très nombreuse) famille pour un bref voyage sur l’eau et fort lointain dans la mémoire. 
Chaque passage de pont parisien est l’occasion de dériver dans l’histoire familiale, d’ausculter les rêves de ces hommes et femmes d’Algérie qui rêvaient de la France, qui y sont venus, en sont parfois revenus car l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs et le cœur de certains pas toujours immense. C’est un voyage violent et doux à la fois, plein de poésie surtout, auquel il nous est proposé d’embarquer, de nous asseoir confortablement et d’écouter, comme au coin d’un feu, de la bouche d’un formidable conteur Tous ces mots qu’on ne s’est pas dits.

* Tous les mots qu’on ne s’est pas dits, de Mabrouck Rachedi. Éditions Grasset. En librairie depuis le 26 janvier 2022.

Un voyage dans le temps pour 20 centimes.

Voici un étonnant petit voyage* sur les traces du premier timbre français, avant cela c’était le destinataire qui payait sa lettre : le Vingt centimes noir — dont le nom évoque ces ambiances mystérieuses à la Maurice Leblanc ou Gaston Leroux. Mais point de mystère ici. Au contraire.
Avec la mélancolie rock qui le caractérise, Jean-Michel Weil nous invite au voyage dudit timbre depuis 1849, date de sa naissance, à aujourd’hui où il tombe enfin entre la mains d’un philatéliste qui l’espérait désespérément. En quelques chapitres écrits à l’économie comme au dos d’une carte postale, Weil nous remémore 173 ans d’histoire, la grande comme la minuscule, et nous rappelle à quel point on ne tient finalement pas beaucoup plus de place qu’un pauvre timbre sur Terre. À moins, bien sûr, que l’on fasse de notre vie une magnifique lettre.

*Le voyage du vingt centimes noir, de Jean-Michel Weil. Éditions Édilivre. En librairie depuis le 28 mars 2022.