Archive | novembre, 2025

À table !

Au menu de ce formidable premier roman, un huis clos, deux couples. Le mari de l’un organise un dîner, orchestré bien sûr de A à Z par sa femme, afin de convaincre l’épouse de l’autre de lui confier un contrat pour son cabinet d’avocats. 
Jusqu’ici rien que de très normal dans le petit monde de l’entre-soi. 
Un simple dîner* se déroule le temps de ce dîner, un soir de canicule à Paris, et Cécile Tlili nous passe des plats de toute beauté, tous parfaitement à point. La jalousie. La concupiscence. La lâcheté des hommes. L’embrigadement des femmes. La trahison. Les renoncements. La couardise. Le mensonge. L’adultère. Le fantasme. La maternité. L’abandon. Et quelle gourmandise de voir, page après page, bouchée après bouchée, ces quatre convives se fissurer, et dans leurs failles découvrir chez l’une de la lumière, chez l’autre de l’ombre, au troisième une espérance, au dernier, les ronces.
Rien ne reste sur l’estomac à l’issue de ce livre épatant ; reste dans les papilles l’immense joie de l’affranchissement des femmes.

*Un simple dîner, de Cécile Tlili, aux éditions du Livre de Poche. En librairie depuis le 20 août 2025.

Loup y es-tu ?

On dira ce qu’on voudra de la gentillesse, que c’est ringard, bourgeois, obsolète, en tout cas elle anime de fort jolis romans comme celui-ci — D’une beauté sauvage*, le nouveau Christian Signol. 
Sur un plateau du Limousin, entre neige et printemps, matins brouillardeux et nuits d’encre, des éleveurs font face aux loups. Les premiers défendent leurs troupeaux qui assurent leur survie, les seconds attaquent les troupeaux qui assurent leur survie. Mais voilà, il faut retrouver un équilibre naturel, se défaire des passions convenues, des peurs anciennes pour permettre à chacun d’avoir sa place et, ici, la gentillesse de Signol fait merveille.
Et voici qu’à cause du contexte tourmenté et de mon effarement devant le tragique spectacle de nos politiciens, je ne peux pas ne pas soupçonner dans cette fable signolesque un coup de griffe à notre société mutilée, coupée en deux, incapable de considérer l’autre autrement qu’en ennemi. Des loups ou des hommes, il n’y a pas à choisir. Il y a à commencer par s’écouter. Se respecter, même si, pour certains, c’est bien difficile.

*D’une beauté sauvage, de Christian Signol, aux éditions Albin Michel. En librairie depuis le 17 septembre 2025.

Cinquante nuances de rose.

Un an après son très beau Les silences de Buenos Aires, revoici l’ami Frank avec un nouveau roman* à la couverture bleue mais qui aurait pu être rose et noire tant il s’aventure cette fois dans une délicate histoire d’amour et de violence — à croire que chez les romanciers, l’un ne va jamais vraiment sans l’autre.
Antoine vit seul depuis trois ans, depuis le départ noir de son amoureuse. Sybille vit seule depuis quelques mois, depuis qu’elle a quitté la noirceur de son mari. Et voilà que ces deux esseulés se retrouvent voisins, dans un bel immeuble face à un fleuve aux teintes parmes à l’aube, mauves le soir et Mountbatten la nuit ; un fleuve qui charrie les chagrins et les joies, les boues et les espérances — et c’est là la grande force de cette histoire : parvenir à se défaire de ses noirceurs et de celles des autres pour tendre vers ce rose aux multiples nuances. Car chez Frank, l’amour ne peut pas ne pas être une forme de pardon, et le pardon le cœur même de l’humain. Le cœur même du monde. 
Au bout du fleuve, un délicat roman rose à l’eau de noir.

*Ma voisine face au fleuve, de Frank Andriat, aux éditions du Pluriel. En librairie le 5 novembre 2025.