Author Archive | Grégoire Delacourt

La nostalgie n’est plus ce qu’elle était.

Courtès 4.Avec La dernière photo* (comme il y avait La dernière séance) et comme dans Sur une majeure partie de la France**, son précédent livre, Franck Courtès nous emmène de nouveau au lieu d’avant. À sa vie d’avant. Car avant d’être un jeune écrivain, Franck était un vieux photographe. Il remonte le fil du temps de cette vie d’avant qui était mieux, où l’on prenait le temps justement, de humer la campagne avant d’en faire une image, le temps de connaître un homme avant de le portraiturer, le temps de prendre la pose, d’aimer ce que l’on faisait, le temps d’attendre que le bac à révélateur ait la dernière image – comme on a le dernier mot.
Franck écrit au passé simple ce passé perdu, avec, comme encre, cette mélancolie qui affleure, intarissable et grave. Les temps ont changé, le numérique est arrivé et avec lui la facilité, la vulgarité et la vitesse, et les hommes ont changé aussi : l’agent de Tom Hanks n’accorde qu’une minute pour faire un portrait de la star et la méchanceté de Joey Starr écœure ; il n’en fallut pas plus au photographe pour jeter ses instruments aux orties, tourner le dos à ce monde qui l’avait enrichi (dans toutes les acceptions) et surtout, avait rendu sa mère fière de lui. Le voici, à la fin du livre mais au début de sa nouvelle vie, dans une maison de campagne, près d’un poêle rougeoyant où il se lève à sept heures pour écrire des images avec des mots cette fois. Des lettres sombres sur du papier clair.
Du noir et blanc en somme, comme au bon vieux temps.

*La dernière photo, de Franck Courtès. Éditions Lattès. En librairie depuis le 11 avril 2018.
** Ed. Lattès, 2016.

Que devient-on après la violence ?

Gilquin 2Il est très difficile, semble-t-il de « survivre » après un premier livre (malheureusement) formidable sur son malheur. Ainsi Régine Salvat qui, après avoir raconté dans un livre étourdissant, la poignante odyssée de son fils 1 qui demandait à Sarkozy le droit de mourir, nous a offert, deux ans plus tard, un discret roman 2 de terroir et depuis, dommage, plus de nouvelles. Margaux Gilquin, elle, après avoir raconté dans Le dernier salaire 3 sa galère de quinqua en fin de droits, un texte urgent et grave, revient avec un roman-récit qui en est, me semble-t-il, la suite poétique, et annonce l’éclosion, certes encore timide, mais l’éclosion d’un écrivain. Dans Apprendre à danser sous la pluie 4, on la retrouve, après le succès de son récit, à la campagne sous les traits de Laura, dans ce temps qui s’étire et succède aux grands fracas, où elle se reconstruit lentement ; dans ce calme justement qui permet enfin d’affronter ses démons, comme la mort d’une sœur jumelle sur la RN7, un jour de juillet 1968 – à croire que c’est toujours l’innocence qui se fait emporter en premier. Margaux-Laura retrouve alors son passé au moment ou elle perdait son futur et découvre que le présent est le seul lieu de vie possible. Malgré quelques maladresses encore, notamment dans le récit de la reconstruction amoureuse (mais les coups qu’on prend n’abîment-ils pas aussi les mots pour le dire ?), Margaux Gilquin célèbre avec son premier roman le triomphe de la plus belle des solidarités : l’amitié. Et ça, ça vaut son pesant de cacahuètes

1. Une histoire à tenir debout, de Régine Salvat. Éditions Lattès, 2011.
2. Bugarach, le mystère de la femme oiseau, éditions TDO, 2013.
3. Le dernier salaire, de Margaux Gilquin, Éditions XO, 2016
4. Apprendre à danser sous la pluie, Éditions Lazare et Capucine, 2018.

Drôle d’endroit pour une rencontre.

Le charme des rencontres en librairie c’est qu’on y croise non seulement des lecteurs mais aussi des auteurs. Ainsi, il y a quelques semaines, alors que je présentais La femme qui ne vieillissait pas à la Librairie Cosmopolite à Angoulême, je fus abordé par un homme charmant qui me confia être lui aussi écrivain, et professeur de français le reste du temps. Nous parlâmes des joies et des affres de notre passion commune puis il m’offrit son second roman.
Je viens de le lire et je voulais absolument vous faire part de cette belle surprise. Une taille au-dessus possède un formidable cousinage avec Little Miss Sunshine ; ici l’histoire de Julia, treize ans et demi, un quintal (sans compter le poids des railleries, des méchancetés et autres cruautés), d’une lucidité sans égale sur elle-même et sur le monde, douée d’une dérision salvatrice et jubilatoire. Un roman généreux et joyeux sur la différence aux heures étonnantes de la mue vers les prémices de l’âge adulte. Julia sera l’héroïne de tout ces gamins en disgrâce qui n’ont pas encore de héros, alors offrez son histoire, comme on offre des encouragements. Ou des petites preuves d’amour.

Audoual

*Une taille au-dessus, de Jean-Michel Audoual. Éditions Koikalit, 2017.

Ne me demandez plus jamais ça.

Marina Lemaire.On m’a bien souvent sollicité pour écrire une préface ou quelques mots pour le bandeau d’un livre et j’ai toujours refusé au titre de qui dit oui une fois dit oui à chaque fois. Et voilà qu’une exception confirme la règle, aussi je prie tous ceux et celles à qui j’ai dit non de bien vouloir me pardonner.
J’ai préfacé (encore que non, il s’agit en fait d’une lettre adressée à la personne qui m’a envoyé ce livre et qui n’est pas Marina Lemaire, l’auteur) Ne me demandez plus d’être patiente*, car il s’agit d’un texte surprenant sur l’odyssée du cancer d’une jeune maman, écrit sous la forme d’un abécédaire bien souvent jubilatoire. Ce qui tend à démontrer, comme chez l’incomparable Jean-Louis Fournier par exemple, que l’humour et la tragédie font parfois très bon ménage. Et comme c’est rare, ça méritait d’être souligné.

*Ne me demandez plus d’être patiente, de Marina Lemaire. Éditions Le bord de l’eau, avril 2018.

Le mal, arme du bien ?

 

Nico Tackian 2

J’avais découvert l’univers sombre et pourpre de Nico Tackian avec Toxique et il me tardait bien sûr de découvrir Fantazmë où l’on retrouve le personnage de Tomar Khan qui appartient à cette race de flics « borderline », comme un Matt Scudder (Lawrence Block) ou un capitaine Coste (Olivier Norek, avec lequel Nico Tackian partage quelques obsessions). Ici, et sur fond de misère humaine migratoire, il s’agit d’une histoire de vengeances kurdes, de pègres albanaises, de tous ces ingrédients qui font qu’une histoire avance à cent à l’heure et donne envie de la dévorer tout aussi vite. Mais la vraie surprise vient du personnage dont le surnom donne son titre au livre, Fantazmë – « spectre » en albanais –, et qui pose la seule question essentielle de tout ce qui touche de près ou de loin à l’idée du bien et du mal : le mal peut-il être l’arme du bien ? Nicko Takian y apporte une étonnante réponse.
*Toxique. Le livre de poche, janvier 2018.
**Fantazmë, de Nico Tackian. Éditions Calmann Levy. En librairie depuis le 3 janvier 2018. (Merci à Anne Bouissy du Livre de Poche et à Christelle Pestana de chez Calamnn Levy).

Est-ce ainsi que les hommes meurent ?

Mathieu Menegaux 3

Ses deux premiers romans* étaient pour moi de magnifiques héritiers de ces textes et films noirs des années 50, certes remis au goût du jour, mais qui possèdent assidûment cette particularité de croire au bien et au mal en tant qu’ils sont les deux seuls éléments sérieux capables de définir un personnage. Ainsi fabrique-t-on les héros.
Rebelotte avec Est-ce ainsi que les hommes jugent ?** qui aurait pu porter le titre d’un film d’Hitchcock, Le faux coupable, ou de Fritz Lang, Chasse à l’homme : l’histoire de Gustavo Santini, accusé de tentative d’enlèvement sur une petite fille de treize ans et d’homicide sur la personne du père de la petite fille.
Mathieu Menegaux, avec la rouerie d’un grand scénariste, nous entraîne dans cette broyeuse policière qui débarque toujours à l’aube, à l’heure des réveils, des petits déjeuners en famille, juste avant l’école, avant le boulot. Il nous jette malicieusement dans cet enfer, là où tout ce qu’on dit peut être retenu contre nous, et nous y maintient en apnée jusqu’à l’inculpation de Gustavo. Ou non.
Mais c’est après que les choses deviennent vraiment terrifiantes.
Quand la meute décide de fabriquer un criminel, quand elle s’affranchit de la justice des hommes pour imposer celle de la rumeur.
Et qu’elle devient à son tour criminelle.

*Je me suis tue (2015) et Un fils parfait (2017), chez Grasset.
**Est-ce ainsi que les hommes jugent ?, de Mathieu Menegaux. Éditions Grasset. En librairie depuis le 2 mai 2018.
(Le titre de cette chronique est emprunté à Gérard Manset).

 

Pour une fois que je n’ai pas à chercher un titre.

Valérie Gans

Sans titre, c’est le titre qu’on trouve parfois en bas à droite d’un tableau parce que, s’il a été inspiré par le sujet, les couleurs, la technique, le peintre ne l’a pas forcément été pour les mots. Contrairement à Valérie Gans qui nous en régale dans son nouveau livre qui a justement pour titre Sans titre*, puisque son histoire se déroule dans le milieu de l’art, des marchands d’art et des artistes, des génies et des margoulins.
Mais au delà de cet épatant décor, ce que Valérie (dé)peint à merveille, c’est l’âme humaine, ses tourments, sa capacité à se défaire de son humanité justement. Sans titre est une fresque joyeuse, un réel entertainment comme Douglas Kennedy, notamment dans Les désarrois de Ned Allen, le manie si bien, sur nos bassesses et nos grandeurs, sur notre art de survivre, même au détriment des autres, même au détriment parfois de l’amour. Cruel et jubilatoire !

*Sans titre, de Valérie Gans. Éditions Jean-Claude Lattès. En librairie depuis le 4 avril 2018.

Revol-ution.

Revol 2

Le 12 avril 1961, la Russie envoyait le premier homme dans l’espace. Youri Gagarine. Il fit la première révolution autour de la terre à bord du Vostok. Le vol dura 1 heure 48.
Il fallait le talent et l’audace d’Anne-Marie Revol pour nous raconter cette révolution*, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort (à 34 ans) d’un héros de 1 m 58 qui changea à jamais l’histoire de l’espace et rendit toute sa fierté à une grande nation, alors en pleine guerre froide.
Avec dix chapitres formidablement bien troussés, comme dix points de vues, dix poings, chacun porté, dans une année différente, par un personnage différent, Anne-Marie fait une autre révolution autour de cet homme hors du commun : celle de convoquer la poésie de la littérature auprès de l’exactitude de l’histoire pour nous faire nous approcher au plus intime de la fabrique d’un héros.
Embarquez à bord de L’Étoile russe, c’est un voyage vertigineux.

*L’Étoile russe, de Anne-Marie Revol. Éditions Lattès. En librairie depuis le 14 mars 2018.