Author Archive | Grégoire Delacourt

Ecce Eco.

On connaît, bien sûr, l’immense Umberto Eco pour son Nom de la Rose, son Pendule de Foucault et ses formidables essais sur la langue, le langage et autres petites tragédies humaines ; le voici avec un roman* qui dépare légèrement de son œuvre, un peu comme déparait légèrement Le Parfum d’Adam, dans l’œuvre de Ruffin. Numéro Zéro se situe entre la fiction du journaliste et le pamphlet du romancier. Avec une finesse et un humour rares, Eco nous invite dans une salle de rédaction où il tord le cou à l’idée d’un journalisme sincère, au service de la connaissance du plus grand nombre, pour nous faire plonger dans les trucs, astuces et autres petites fourberies de ceux censés nous éclairer. Mais surtout, il raille les « complotistes » en développant la possibilité d’un complot, non seulement crédible, mais extrêmement bien documenté, sur Mussolini – lequel n’a cessé d’empoisonner la vie politique italienne, même (et surtout) après, sa supposée mort en 1945. Eco nous offre un roman rapide, précis et jubilatoire, ce qui, en ces périodes d’actualités journalistiques affligeantes, est bien précieux.

Umberto Eco

*Numéro Zéro, Umberto Eco. Éditions Grasset. En librairie depuis le 13 avril 2015.
PS. Ce bijou, page 152: « Les yeux des gens s’humidifient et tout le monde est satisfait. Il existe un mot allemand, Schadenfreude, la jouissance de l’infortune d’autrui. C’est ce sentiment qu’un journal doit respecter et alimenter ».

Trois Monnin sinon rien.

Isabelle MonninIsabelle MonninIsabelle Monnin

Rentrée littéraire 2015. Après trois romans* où la mort était assez présente, « celle d’un nourrisson de six jours, d’une sœur morte trop tôt ou d’un vieillard disparu trop tard » (page 282), Isabelle Monnin s’attaque avec bonheur à la vie**. Celles de ces gens dont elle achète un jour sur Internet les photos à un brocanteur du Nord : 250 tirages papier ou Polaroid ; des photos comme on en trouve dans tous les albums des petites gens, de ceux « dont on ne parle jamais » et dont la vie est vécue par tant de gens ; un lot qui viendrait, selon le vendeur, du Doubs ou de Franche-Comté.
Les visages, les images, les instantanés captés, ce qu’ils disent, ce qu’ils cachent, s’insinuent, poussent, et deviennent, malgré elle, son histoire, « (…) toute vie vaut la peine d’être racontée. Chaque vie est un témoignage de toutes les autres » (toujours page 282**). Devant ce matériau réel (les photos), Isabelle décide d’écrire le roman des images. Puis de mener l’enquête, de retrouver les gens dans l’enveloppe, de confronter sa fiction à leur réalité ; puis, comme dans les joyeuses retrouvailles, de finir en chansons. Et c’est là qu’Alex Beaupain intervient, qui, à son tour, raconte les rencontres (réelles et fictives) en 12 superbes chansons où il fait chanter des chanteurs (fiction) et quelques personnes de l’enveloppe (réel). Il semble d’ailleurs que le rapport réel/fiction soit au coeur de la rentrée littéraire de Lattès. Bref. Isabelle Monnin nous fait trois très délicats cadeaux avec ce livre : un roman très poétique, une enquête très humaine et un très bon CD (avec une bouleversante reprise des Mots Bleus).

*Les Vies extraordinaires d’Eugène, Second Tour ou les bons sentiments et Daffodil Silver, tous parus chez JC Lattès.
** Les gens dans l’enveloppe, avec Alex Beaupain. Editions JC Lattès. Sortie prévue le 2 septembre 2015.
***Non, je n’ai pas lu que cette page là.

Surréaliste.

Entre dadaïsme et Oulipo, la traduction en français du mode d’emploi du ventilateur chinois HJ-180 de marque Hongjian, relève du bonheur absolu, et confirme l’expression C’est du chinois. Même en français. (Ligne 4 par exemple : « Comme plastique que la principale matière plastique… »).

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Je marche donc je pense.

Axel Kahn.

De même que Forest Gump parcourut 30.000 km (soit quatre allers- retours entre l’Atlantique et le Pacifique) en un peu plus de trois ans, (soit en moyenne 26 km/jour), Axel Kahn marcha 2057 km en 76 jours (soit en moyenne 27,02 km/jour).
Et comme Forest, Axel pense en marchant*.
Cette fois-ci**, il traverse la France en diagonale, de la pointe du Raz à Menton et, outre Norman, une mascotte en peluche, il nous emmène avec lui et nous fait découvrir une France oubliée ; nous présente, avec malice et tendresse, des gens qu’on ne compte plus, livrés à eux-mêmes, des survivants magnifiques ; cette France qui est malheureusement le terreau du Front National parce qu’aucun de nos politicards trop occupé à se faire réélire, à conserver ses scandaleux avantages dignes d’une royauté africaine, n’y a jamais mis les pieds et n’y soupçonne même pas les tragédies, les misères, tout comme le goût du vrai fromage de chèvre ou la façon dont les loups rendent les gros patous, génétiquement doux, soudain méchants –un peu comme les hommes, d’ailleurs. Kahn aime la beauté, il le dit à chaque page, et à chaque page démontre ce qu’écrivait George Sand : Chaque chose a son heure pour être belle.
Après la lecture de ce livre, je ne peux m’empêcher de repenser et donc de vous recommander un magnifique film de marcheur : The Way, d’Emilio Estevez (sortie France 2013).

The Way

*Il avait d’ailleurs publié en 2014 un ouvrage intitulé Pensées en chemin. Le Livre de Poche, 2015. **Entre deux mers, voyage au bout se soi, Axel Kahn. Éditions Stock. En librairie depuis le 23 janvier 2015.

Drôle de titre.

Lavoine

Lulu, l’homme qui ment*, est le papa de Marc Lavoine, l’homme qui chante, qui joue, et qui maintenant écrit. Dans le livre, Lulu ne ment pas. Il raconte à Marc, qui nous les raconte, ses histoires de cul – le radada comme il l’appelle -, ses pochetroneries, ses communisteries et ses rêveries. Lulu nous balade du Nord de la France à Wissous (dans l’Essonne). Lulu est beau, de cette même beauté dont héritera Marc et qui le fera souffrir apprend-t-on page 181. Lulu dit tout, sans détour ; même ses immenses envies de pisser, « Faut qu’je lansquine Marco, j’ai mal » (page 168). Lulu a épousé Michou, et Michou aime Lulu plus que tout. Jusqu’au jour où elle découvre le pot aux roses. Et Marc aime Lulu et Michou, sans discernement. Non. L’homme qui ment du titre doit être l’auteur, menteur à lui-même, comme tous les indécrottables romantiques, qui aimerait croire, alors que ses parents font désormais cimetière à part, que chacun d’eux était la seule histoire d’amour de l’autre.

*L’Homme qui ment, Marc Lavoine, éditions Fayard. En librairie depuis le 14 janvier 2015.

Noir, c’est noir.

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De retour en France après sept semaines en Amérique. La densité d’un livre, enfin. Ce moment particulier où son poids bascule d’une main à l’autre parce qu’on vient de passer la moitié. Une histoire tellement française soudain.
Pauline a onze ans quand elle a ses règles. Treize lorsqu’elle découvre les plaisirs du corps, la gourmandise des hommes, la prétention des imbéciles, les râles sincères et les cris truqués. Elle en a seize lorsqu’elle réussit le bac, veut devenir médecin. Mais c’est la guerre. Son père la confie au docteur Domnick, un Boche qui sauve aussi des français. Elle devient infirmière. Elle découvre les corps déchiquetés, les plaies purulentes, les douleurs sans nom – plus tard, un Juge lui reprochera de ne pas s’évanouir devant un cadavre. Elle devient l’amante du médecin. Un an après, à la Libération, elle est tondue, rasée, peinturlurée, violée, dépossédée ; son corps devient une page de colère, une feuille de souffrances. Plus tard, Pauline rencontre Félix. Un puceau tendre. Elle l’aime et elle lui apprend l’amour. Elle lui apprend sa tonte. Son déshonneur. Alors Félix se sauve. Il se fiance à une bonne catholique. Pauline a vingt-et-un ans. Elle l’aime toujours plus que tout. Plus que la vie sans lui. Ce jour-là, elle va voir Félix dans sa chambre, rue de la Croix-Nivert. Mais les mots du fiancé sont cruels, blessants, ils vrillent le cœur, tisonnent l’esprit. C’est soudain eux qu’elle veut tuer. Ces mots-là. Alors elle tire. Et Félix s’effondre.
Après le bouleversant En vieillissant les hommes pleurent*, Jean-Luc Seigle fait toute sa lumière sur Pauline Dubuisson**, (Brigitte Bardot à l’écran, dans La Vérité de Clouzot), trois fois condamnée à mort, avec une passion, une violence, et curieusement une tendresse incroyables. Le tout avec une plume comme un scalpel qui dessinerait une peine magnifique.

*Editions Flammarion, 2012. Grand Prix RTL/Lire.
** Je vous écris dans le noir, Jean-Luc Seigle, éditions Flammarion. En librairie.

New York est un livre. (Dernier chapitre).

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New York est bavarde.
Elle s’écrit dans la rue, sur les terrains de baskets enclavées et grillagés, dans les musées, dans les perspectives, dans les couloirs de métro (où on fait de l’art en arrachant les affiches), dans les boutiques,  dans la comfort food, dans le métro (où la clim endort la violence), dans la passion que la ville porte à son équipe de baseball, derrière chaque fenêtre enfin, et elles sont des millions.
Je referme à regret ce livre ; ces histoires qui écrivent toutes nos histoires.

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Un immense merci à Dana Philp pour ses photos.