
On pourrait bien sûr s’interroger sur le sérieux ou l’opportunisme d’un livre écrit en à peine trois mois, le procès de Dominique Pelicot et de 51 autre personnes, dit « le procès des viols de Mazan » s’achevant le 19 décembre 2014 et La chair des autres*, le livre qu’en a fait Claire Berest, paraissant fin avril 2025.
Ce serait oublier que Claire a l’écriture et le regard qui viennent de loin. Une écriture puisée à l’encre d’Hannah Arendt, de Joë Bousquet, de Simone Weil, de Jean-Bernard Pontalis, une écriture bénie, puissante, implacable. Et un regard sur le peuple du monde, lointainement ancré, dans un train de nuit, lorsqu’elle avait six ans et vit cet homme la regarder, comme un matou une petite viande, avant qu’il vienne s’allonger auprès d’elle sur la couchette — et puis, le vide.
L’abîme.
L’image alors manque.
Dans La chair des autres, ce ne sont pas les images qui manquent. Au contraire. Elles sont là. Dégueulées. Dégueulantes. Tout comme les mots vomis pendant quatre mois dans la petite salle Voltaire du tribunal d’Avignon.
Ce sont ces images et ces mots que Claire, dans son très beau texte, passe au tamis des quelques philosophes et écrivains qu’elle convoque pour tenter d’en comprendre le mal, mais surtout à son talent magnifiquement compassionnel d’écrivain.
Car il faut en être un sacré, d’écrivain, pour débusquer le mal dans qui se prétend normal.
*La chair des autres, de Claire Berest, aux éditions Albin Michel. En librairie le 2 mai 2025.