
Jean-Paul Kauffmann se souvient*. Non pas de son enlèvement au Liban le 22 mai 1985, mais de l’accident du 2 janvier 1949, dans son petit bourg de Corps-Nuds (Ille-et-Vilaine) — un gamin bourré qui s’en revient d’un match de football avec vingt-cinq personnes à l’arrière de son Dodge 60, fonce, rate un virage sévère, le camion explose le parapet, s’enfonce dans l’eau boueuse, les arceaux qui retiennent la bâche décapitent bon nombre des footballeurs ; dix-huit morts.
C’est à partir de ce fait divers pour lequel le conducteur pochtronné prendra à peine un an de prison et 1200 francs de l’époque, que Kauffmann revisite son enfance. « (…) vingt jours après la fin du confinement, j’ai commencé ce livre sur les années 50 » (page 141).
Se déroule alors une sorte de pêle-mêle, de courts chapitres sur l’église de son village, le clocher de l’église, la boulangerie familiale, les professeurs du pensionnat, le curé du village, les bondieuseries, le maire, puis la mairesse, puis les livres lus, puis, parfois, un souvenir de captivité au Liban, puis sur une toile de Poussin, sur la nostalgie qui imprègne, inonde tout, bien qu’il s’en défende (« Je n’aime pas la nostalgie, cette mélancolie complaisante »), comme ce chapitre consacré au buvard d’écolier et aux tâches d’encre, au désir immobile d’une certaine Berruyère, aux cinq sens et à son amitié profonde pour le bordeaux ; L’Accident est un retour désordonné sur les lieux de l’enfance, comme on revient dans un pays détruit où l’on n’a plus vraiment sa place.
*L’Accident, de Jean-Paul Kauffmann, aux éditions Équateurs. En librairie depuis le 19 février 2025. Prix Marcel-Pagnol 2025.