Author Archive | Grégoire Delacourt

Noli iudicare iudicem.

Quand il ne juge pas dans ses cours d’assises, le juge Marc Trévidic juge la justice et nous livre non pas un ramassis de conclusions jargonesques mais un livre absolument formidable d’intelligence, de lucidité, d’esprit et d’humour. 
Justice présumée coupable* est construit autour de célèbres locutions latines de droit, comme « Pro modo probationim », « Qui bene amat bene castigat » ou celle-ci, connue de tous, « Idem est non esse et non probari ». Elles sont d’abord expliquées puis brillamment commentées avant d’être illustrées par des situations vécues par Marc. Lesquelles vont du terrorisme au coup de couteau d’un gamin (formidable chapitre sur la différence entre « piquer » et « planter ») ; du viol et de la curieuse évolution juridique de sa définition à l’arnaque aux aides sociales ; et de la gravité à l’absurde des lois car un juge juge selon les lois mais ne les fait pas. (Ainsi, si l’on relâche, par exemple, en quelques heures, des mineurs coupables d’une violente agression sur un policier, ne jetons pas la pierre aux juges mais aux législateurs). 
Après Qui a peur du petit méchant juge ?* Marc nous confirme qu’il est non seulement un grand juge mais un aussi un grand écrivain de la folie judiciaire des hommes.

*Justice présumée coupable, de Marc Trévidic. Aux éditions Albin Michel. En librairie depuis le 1er octobre 2025.
**Qui a peur du petit méchant juge ? aux éditions JC Lattès. En librairie depuis le 1eroctobre 2014.
Aux non-latinistes, le titre de ma chronique signifie : « Ne juge pas le juge ». (Les photos illustrant cette chronique ont été prises en septembre 2025 dans le train et au Château de Montaigne où Marc et moi présentâmes nos livres).

Sir Alfred Hitchcock et M. Night Shyamalan ont une fille.

Sidonie. Dont voici le premier roman, La fille au pair*, « un suspens psychologique oppressant » nous précise la quatrième de couverture, qui conte les déboires d’une jeune bretonne partie à Londres, dans le très chic et fermé quartier de Hidden Grove, pour s’y occuper des deux rejetons parfaits d’un couple parfait. En apparence. Car, tout comme chez les deux grands cinéastes de la tension oppressante, les choses ne sont jamais comme elles semblent l’être et la perfection y est souvent un grossier écran de fumée. On ici est à la fois dans Le Village et The Servant, de Night Shyamalan, L’invasion des profanateurs de sépultures, la version de Philip Kaufman et Rebecca, celui de Sir Alfred, à savoir dans des mondes où tout peut basculer en une nanoseconde. Sidonie Bonnec reprend à son compte les bonnes vieilles recettes des Maîtres et nous les assaisonne à sa façon, avec un art évident de l’intrigue, un vrai talent de romancière qui jubile à nous balader de page en page, le tout rehaussé ici et là de quelques pointes d’émotions qui font de son cruel plat un plaisir coupable. Et c’est là l’un des grands mérites de cette cuisine : n’être pas à la mode pour être déjà indémodable.

*La fille au pair, de Sidonie Bonnec, aux éditions Albin Michel. En librairie depuis le 26 février 2025.

Une claque.

Voici un petit livre immense. Qui parle du déni de grossesse de Marion. De la joie de Baptiste. De la ferveur d’un village. Des bêtes et de la nuit. De la neige qui recouvre les montagnes. D’une chair colonisée. D’un enfant qui se cache dans un ventre. Comme une perle dans une huître. D’une arrivée qu’on ne voit pas arriver. Qui change les choses. Le sens du vent. Le goût de la pluie. C’est un livre à une, à deux, à six voix. Qui se lit en suivant une seule voix ou en les mélangeant toutes. Car toutes entrent en nous, comme le sel de la mer, ou la musique, ou l’amour. Tombée des nues* et un texte d’une très grande poésie pétrie de boue, de soleil et d’émerveillement. Une rencontre littéraire magnifique, de celle qu’on n’oubliera pas.

*Tombées de nues, de Violaine Bérot. Au Livre de Poche (n°38120). En librairie depuis le 28 août 2025.

Le petit livre noir.

Journée noire prévue demain, jeudi 18 septembre, en France, avec des grèves d’intérêts personnels, journée au calme idéale pour lire ce formidable petit texte de l’immense Octave Mirbeau, La grève des électeurs*, la seule grève qu’il conviendrait de faire pour faire changer les choses. Le reste n’étant que gesticulations.
Goûtez plutôt : « Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins, ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera » (page 15).

*La grève des électeurs, de Octave Mirbeau. Éditions L’Herne, collection Carnets. En librairie depuis le 5 mars 2014, dans cette édition. (Merci à l’ami Yves pour cette découverte).

Un rêve de livre.

Voici un livre* rondement mené, écriture gracieuse, efficace, fluide, avec ici et là quelques pépites, comme, page 158 : « (…) je suis reparti vers la gare avec la voix d’Anaïs qui me ramenait à nous tandis que je m’éloignais d’elle », ou, page 184 : « (…) l’écriture est une maladie qui est son seul remède ».
Didier, jeune écrivain talentueux, se voit retourner par Gallimard son manuscrit refusé, mais voici que chez l’éditeur quelqu’un s’est trompé, et lui renvoie le manuscrit d’une autre. Il le lit. Se trouble au contact de cette histoire. Fantasme un peu sur son héroïne et, conséquemment, son auteure. Décide alors de traverser la France à bord de sa vieille Cox pour le lui rendre. Et là, sur place, il tombe dans le livre. Comprend tout. Le mari. La souffrance. Le meurtre à venir.
Mais chut, n’en dévoilons pas davantage, la découverte est jouissive.
Au-delà de l’histoire épatante de cette Impasse des rêves, on découvre les débuts du jeune van Cauwelaert, sa furieuse envie d’écriture depuis ses 8 ans, jusqu’au triomphe de son Goncourt à 34 ans, jusqu’à cette histoire vieille de quarante-trois ans qu’il s’était interdit de raconter jusqu’ici et qui vaut sa brillante découverte.

*L’impasse des rêves, de Didier van Cauwelaert, aux éditions Albin Michel. En librairie depuis le 10 septembre 2015.

Orfèvre en la matière.

Jean-Noël Pancrazi, styliste, orfèvre en la matière des mots, nous en « dentellise » merveilleusement* une floppée pour nous présenter sa sœur Isabelle, sa beauté, son chagrin. Isabelle meurt, le cancer la dévore. Isabelle rit et retient son frère de tomber dans la boue de la mélancolie et d’un curieux mal. Isabelle est immortelle à chaque page. 
C’est cette balade de deux épuisés, le frère et la sœur, de deux enfances algériennes, que nous tisse Jean-Noël, comme on regarde un vieil album de photographies et que l’on se souvient des tempêtes et des miracles, des aubes de lumières et des nuits de cendres. Il y a dans cet envoûtant Quand s’arrêtent les larmes une douceur crue, une violente pudeur à révéler ces liens fraternels, ces invisibles qui soutiennent l’autre en sachant que l’abîme à chaque pas s’agrandit. Et dévore. 
Et, même si c’est en évoquant le personnage de Driss — mais on devine qu’il est aussi le jumeau de l’auteur —, Jean-Noël écrit, page 110 : « Tout, pour lui, avait un cœur, les murs, le ciel, les gens, la terre, la nuit ». C’est son cœur et celui d’Isabelle qu’il nous confie désormais.

*Quand s’arrêtent les larmes, de Jean-Noël Pancrazi, aux éditions Gallimard. En librairie depuis le 13 mars 2025. 

Samedi 13 septembre 2025.

C’est la der des der. Après des mois sur les routes à votre rencontre en compagnie de mon frère, c’est avec mon grand ami Marc Trévidic que je vous retrouverai une dernière fois cette année, et pour longtemps, dans le magnifique Chateau de Montaigne, à Saint-Michel de Montaigne. Nous vous parlerons, Marc de son (formidable) prochain livre, et moi du dernier.

15h30 au Château de Montaigne. Réservation au 05 53 58 63 93 ou sur www.chateau-montaigne.com