
« Le génie particulier de ce roman est d’avoir su rendre l’invraisemblable plausible » écrit Colum McCann à propos de ce livre*. Et c’est terrifiant, car nous voici aujourd’hui, en Irlande du Nord, mais cela pourrait-être ailleurs, en France, en Belgique, en Albanie, où la police procède à des rafles, des gens disparaissent, le malaise s’étend comme une lave de boue, une dictature qui ne dit pas son nom vérole le pays ; on pense alors à l’insidieuse montée de la dictature allemande en 33, au Chili en 73 ; on se souvient alors de tout ce qu’on connaît et dont on croit que cela ne nous arrivera jamais, même si on a lu et relu 1984, jusqu’à la nausée, et pourtant. Pourtant Paul Lynch nous livre un texte saisissant de réalisme, de brutalité et paradoxalement de fatalité, surtout l’histoire intime, presque charnelle, d’un pays qui bascule sous les yeux d’Eilish, femme inoubliable, pétrie de dignité et d’abnégation — car que faire quand on ne peut tien faire sinon tenir ?
Il y a une immense beauté tragique dans ce livre, je pense notamment aux trois pages à la morgue, mais chut ; un tambourinement de mots qui nous hypnose, nous déroule notre futur possible si nous continuons à regarder nos nombrils et faire l’autruche devant la folie de certains qui, ici et là, se prennent pour nos Rois.
Un chant immense et indispensable.
*Le chant du prophète, de Paul Lynch, traduit de l’anglais (Irlande) par Marina Boraso. Éditions Albin Michel, coll Les grandes traductions. Booker Prize 2023. En librairie depuis le 2 janvier 2025.







