Author Archive | Grégoire Delacourt

Erri deux Luca.

Double sortie* alimentaire pour l’immense De Luca, d’un côté des poèmes récoltés à la lumière du jour, comme des fruits dans un jardin, de l’autre une sorte de Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules autour des « saveurs familières », le pain, le lait, les pâtes, le tout abondamment commenté par un nutritionniste comme si les mots de l’écrivain ne suffisaient plus ; et, en bonus, dix-sept recettes, concoctées, elles, par une certaine Alessandra Ferri. 
Si l’on peut soupçonner un gros brin de marketing estival dans ces sorties concomitantes, ne boudons pas notre plaisir à retrouver la langue magnifique de l’italien, ainsi ce poème — Un siège :

Interdits de mariage, les funérailles,
Déclarés contaminants les étreintes et les baisers,
Source de contagion les larmes aussi.
Ainsi les épidémies assiègent l’amour
Qui pourtant ne se rend pas et avec émotion
Entre en clandestinité.

*Récolte à la lumière du jour et Récits de saveurs familières, de Erri De Luca, chez Gallimard. Tous deux en librairie depuis le 5 juin 2025.

Quatre nouvelles du bon Denis.

Traits et portraits, merveilleuse collection qui accueillit en son temps Le sens du calme de Yannick Haenel qui m’avait chambardé, reçoit pour la seconde fois, après « Autoportrait en vert » la multi-primée Marie Ndiaye, Goncourt, Mme Figaro, Femina — rien que ça —, laquelle nous offre cette fois quatre nouvelles autour de la figure du père, Le bon Denis, dont une déjà publiée dans le recueil SOS Méditerranée (Folio n° 7146, 2022). 
Encore une fois, c’est ici le style, la langue même de Ndiaye qui emporte tout sur son passage et qui séduira davantage les amoureux des jolis mots que ceux des histoires solides. On est là davantage chez Monet que chez Renoir, l’impressionnisme plus que l’expressionisme — ce qui en fait toute sa précieuse élégance mais aussi son souvenir incertain. 

*Le bon Denis, de Marie Ndiaye, aux éditions Mercure de France, coll Traits et Portraits, dirigée par Colette Fellous. En librairie depuis le 3 avril 2025.

5-24 Juillet 2025.

Deux spectacles en Avignon, l’un grave, l’autre léger — toujours une face Nord et une face Sud chez moi. La Liste de mes envies à l’Ancien Carmel d’Avignon du 5 au 24 juillet et Autopsie d’une photo de famille (d’après L’Enfant réparé) à La Manufacture, du 5 au 22 juillet. J’y serai.

Fume, c’est du belge.

Il y a quelque chose de très léger dans ce petit livre d’Anny Duperey qui commente des phrases qui l’ont marquée — adressées par exemple sur un plateau de cinéma par un Blier au mieux de sa forme ou, dans un musée, par son fils effaré devant une sculpture moderne. On notera avec amusement le Ben dis donc la télé ça arrange balancé à l’actrice non maquillée dans une superette ou le Mais suce-la, bon Dieu, suce ! de Claude Berri, sur le tournage de Germinal, mais tout cela est bon enfant, à l’image de l’inusable (pour preuve la photo de la couverture) vedette d’Un éléphant ça trompe énormément et se lit sans y penser comme on suce une glace l’été sur la plage.

*Respire, c’est de l’iode ! et autres évocations libres, de Anny Duperey aux éditions du Seuil. En librairie depuis le 11 avril 2025.

Jeudi 3 juillet 2025.

Après le Nord, le Sud. Uzès. Sa confiserie Causse, ses filatures de soie, son usine de poterie Pichon, sa brasserie Brunel et surtout sa librairie de la place aux Herbes où nous serons, mon frère et moi ce soir-là pour parler de la vie, de la mort, de la fraternité, de l’absence et des retrouvailles — de la rigolade, en somme.
18h30. Librairie de la place aux Herbes, 7 place aux Herbes (tiens, tiens), 30700 Uzès.

Mercredi 2 juillet 2025.

Bien que ce soir le Nooooord, comme le mâchouillait Galabru dans « Bienvenue chez les Ch’tis », il fera 33 degrés, m’biloute, ce mercredi, et plus chaud encore dans le restaurant où nous nous retrouverons sous l’égide de l’irremplaçable Lucie Pétone pour un dîner littéraire exceptionnel. Du coup, j’ai réservé ma place.

La mémoire qui (ne) flanche (pas).

Jean-Paul Kauffmann se souvient*. Non pas de son enlèvement au Liban le 22 mai 1985, mais de l’accident du 2 janvier 1949, dans son petit bourg de Corps-Nuds (Ille-et-Vilaine) — un gamin bourré qui s’en revient d’un match de football avec vingt-cinq personnes à l’arrière de son Dodge 60, fonce, rate un virage sévère, le camion explose le parapet, s’enfonce dans l’eau boueuse, les arceaux qui retiennent la bâche décapitent bon nombre des footballeurs ; dix-huit morts.
C’est à partir de ce fait divers pour lequel le conducteur pochtronné prendra à peine un an de prison et 1200 francs de l’époque, que Kauffmann revisite son enfance. « (…) vingt jours après la fin du confinement, j’ai commencé ce livre sur les années 50 » (page 141). 
Se déroule alors une sorte de pêle-mêle, de courts chapitres sur l’église de son village, le clocher de l’église, la boulangerie familiale, les professeurs du pensionnat, le curé du village, les bondieuseries, le maire, puis la mairesse, puis les livres lus, puis, parfois, un souvenir de captivité au Liban, puis sur une toile de Poussin, sur la nostalgie qui imprègne, inonde tout, bien qu’il s’en défende (« Je n’aime pas la nostalgie, cette mélancolie complaisante »), comme ce chapitre consacré au buvard d’écolier et aux tâches d’encre, au désir immobile d’une certaine Berruyère, aux cinq sens et à son amitié profonde pour le bordeaux ; L’Accident est un retour désordonné sur les lieux de l’enfance, comme on revient dans un pays détruit où l’on n’a plus vraiment sa place.

*L’Accident, de Jean-Paul Kauffmann, aux éditions Équateurs. En librairie depuis le 19 février 2025. Prix Marcel-Pagnol 2025.