Author Archive | Grégoire Delacourt

Cinq femmes puissantes.

Karine Lambert

Cet immeuble, c’est la Casa Celestina, le nom qui lui ont donné ses cinq locataires.
Voici la Reine d’abord, au dernier étage, plus près des étoiles, le seul endroit supportable pour une ancienne étoile dont le corps ne s’envole plus depuis trente ans, et les pieds qui faisaient de si jolies pointes s’enracinent ; la Reine, qui ne vivait que des amours d’une nuit, une seule représentation parce que les répétions lassent, amoureuse transi d’un Fabio qu’elle tient à distance depuis qu’elle ne vole plus.
Voici Rosalie, commerciale d’agence de publicité, inséparable de François, directeur artistique, à tel point qu’on les appelait « FrançoisetRosalie », mais voilà, François est parti un beau matin, en allant chercher des allumettes, comme dans la chanson.
Voici Simone, enfance vosgienne, des envies d’espace, qui part parcourir le monde et tombe sur un gaucho en Argentine, coup de foudre, toundra, tourbières, tango et un petit Diego beau comme un Jésus, mais le gaucho est trompeur et s’acoquine d’une jeune anglaise.
Voici Giuseppina, petite sicilienne, surveillée par ses frères velus comme le lait sur le feu, empêchée d’amour et de grand air, mariée à Luigi, vilain comme une melanzana et qui préfère le foot à la tendresse, même la nuit de sa nuit de noce.
Les voilà toutes réunies depuis des années dans cet immeuble où, à part un étrange Jean-Pierre, aucun homme n’est autorisé à pénétrer.
Et puis voici Juliette, qui vient occuper l’appartement de Carla (partie chercher en Inde ce qui remplace les hommes) ; Juliette, jeune monteuse de cinéma, qui connaît les scènes d’amour par cœur et qui rêve d’en être l’héroïne un jour, et qui va remuer toutes ces femmes qui y ont renoncé.
Sous couvert de comédie, L’immeuble des femmes qui ont renoncé aux hommes*, est une très élégante réflexion sur l’amour, le désir, et surtout la façon de les faire vivre longtemps. Il y a du Barbara Constantine chez Karine Lambert, cet art de griffer avec une plume. Pas étonnant qu’un bouche à oreille enthousiaste ait déjà séduit 65.000 lectrices. Et un lecteur 🙂

*L’immeuble des femmes qui ont renoncé aux hommes, de Karine Lambert. Éditions Le Livre de Poche depuis le 10 juin 2015. Prix Saga Café 2014 –Meilleur premier roman belge.

Apprendre à savourer.

Mikaël Ollivier

Ne confondez pas Mikaël Ollivier avec Michel Oliver, fils du grand chef Raymond Oliver, trois étoiles au Grand Véfour, encore que, avec Apprendre à marcher aux enfants*, Mikaël Ollivier mérite lui aussi trois étoiles. Voici un livre rare, plein de cette grâce qu’on rêve de découvrir en regardant sous la couverture. Un livre où toutes les phrases semblent parfaites, comme autant de portées mozartiennes.
Mikaël Ollivier nous apprend, en quinze chapitres, à aimer les parents, et surtout les pères. Les pères perdus, quand les enfants grandissent. Les pères nostalgiques des ébats furieux du début. Les pères tentés par les tentations qui surgissent au moment où on ne s’y attend pas. Les pères effarés qui sont dépassés par leur progéniture. Les pères promeneurs de vilains petits Bouledogues français. Etc. Quinze succulents chapitres, tour à tour drôles, graves, bouleversants – qui nous habitent longtemps encore, le livre refermé.
Voici donc une des succulentes surprises en ce mois de janvier, au milieu des mastodontes pas toujours digestes qui débarquent en librairie ; un texte frais, créatif et délicieux, comme l’étaient le pintadeau Jean Cocteau et le Coulibiac de Colette du grand Michel Oliver. L’avantage avec Mikaël Ollivier, c’est qu’il n’y a pas besoin de réserver. Le livre vous attend dans toutes les librairies. Excellente dégustation.

*Apprendre à marcher aux enfants, de Mikaël Ollivier. Éditions Le Passage. En librairie le 14 janvier 2016.

Jugeons Trévidic.

Trévidic

Alors que la France est en guerre (dixit no’t bon maître), que Paris en est le champ de bataille, le grand juge de l’antiterrorisme est depuis un an à Lille, aux affaires familiales, selon la règle qu’au bout de dix ans, un juge doit changer d’affectation – un peu comme si, au bout de dix ans, on demandait à un ophtalmo d’être podologue. Mais bon, la France a ses Lois que le bon sens ignore. Mais la bonne nouvelle dans tout ce chaos, c’est que cette nouvelle vie a offert à Marc Trévidic une vie plus calme, dans laquelle il a suivi le conseil de ceux qui avaient lu et sincèrement aimés ses précédents livres : « écris un roman ».
Voici Ahlam, le premier roman d’un véritable écrivain. L’histoire d’un peintre français, installé dans l’archipel de Kerkennah (Tunisie) qui se lie d’amitié avec une famille locale dont les deux enfants, Issam et Ahlam, sont formidablement doués pour les arts – lui pour la peinture, elle pour la musique.
Mais voilà. Dehors, les monstres grognent. Grondent. Les Tours Jumelles s’effondrent là-bas, au grand pays des mécréants. L’espoir d’un état islamique se lève ici. La crainte et la haine du régime de Ben Ali réveillent les courageux et les fous, mais dans le désordre, l’absence de règles, ce sont toujours les fous qui gagnent. Je ne veux pas vous dévoiler l’épatante intrigue de Marc, ça serait vous priver d’un authentique plaisir de lecture. Juste vous dire ceci. Demandez-vous ce que deviennent les artistes, et par conséquent l’art, au milieu de ceux qui n’ont de cesse que de le détruire (arc de triomphe et temple de Baalshamin à Palmyre, œuvres pré-islamiques à Mossoul, etc). Alors plutôt que de mettre en scène un xième attentat, attenter à notre histoire, à notre mémoire, et par conséquent à notre futur, est la très belle idée du livre. Bravo.

*Au Cœur de l’antiterrorisme (2001), Terroristes, les sept piliers de la déraison (2013), Qui a peur du Méchant Petit Juge ? (2014), tous publiés chez JC Lattès.

**Ahlam, de Marc Trévidic. Éditions Lattès. En librairie depuis le 6 février 2015. Prix 2016 des maisons de la Presse.

Entrez dans la ronde.

Vienne, à la fin du dix-neuvième. Une prostituée rencontre un soldat qui rencontre une femme de chambre qui rencontre un jeune monsieur qui rencontre une femme mariée qui rencontre un époux qui rencontre une grisette qui rencontre un auteur qui rencontre une comédienne qui rencontre un comte qui rencontre une prostituée. La boucle est bouclée. Elle fait une ronde entêtante. Un cercle parfait. La Ronde, initialement intitulée Liebersreigen – La ronde d’amour – devint Reigen – La ronde – afin de calmer les hystériques censeurs autrichiens qui voyaient dans cette pièce une apologie de la dépravation sexuelle. Arthur Schnitzler a écrit une pièce prodigieuse. Max Ophüls en a tiré un film** qui m’a toujours bouleversé dans lequel Gérard Philipe, Simone Signoret, Danielle Darrieux, Serge Reggiani, Daniel Gélin et les autres, sont tous formidables. La voici à nouveau sur scène**, au théâtre du regretté Gerber, dans une version toute en finesse. Profitez-en.

La ronde

* Éditions Stock (2002).
** Théâtre Montmartre Galabru. Tous les jeudis soirs à 21h30, du 18 février à fin mars (Un conseil, réservez maintenant).

Le tour du monde en 10 jours.

Delesalle

Dix jours sur un cargo, le MSC Cordoba, pour relier Anvers à Istanbul. Mille six cent vingt-neuf containers. Deux cent soixante quatorze mètres soixante dix huit de long – franchement, ils auraient pu arrondir à deux cent soixante quinze.
À son bord, Nicolas Delesalle, grand reporter à Télérama, prend du recul, s’isole sur cet immeuble flottant, retrouve la saveur de la lenteur du temps. Les containers contiennent des citrons belges, des voitures, de la viande de bœuf congelée, des mystères, mais surtout, les souvenirs du reporter. L’un après l’autre, il les ouvre, nous livre leur contenu, comme des chroniques sur la folie des hommes, les guerres, les printemps arabes, la petitesse de Sarkozy, la danse lascive de Raymond, soixante-cinq ans, blanc, et de la belle Aminata, trente ans, ivoirienne, les grands malades de Daech, les joueurs d’échecs russes et les enfants évaporés du Niger, et quelques magnifiques marins et courageux reporters. Comme dans son précédent livre, Un parfum d’herbe coupée, où Nicolas essayait de saisir ce qui s’enfuit (l’enfance), avec Le Goût du large*, il confirme son talent de chroniqueur du temps qui passe, à la vitesse d’un cargo et à celle de la furiosité du monde. L’un des plus beaux tours du monde que l’on puisse faire pour 14,20 euros.

*Le Goût du large, de Nicolas Delesalle. Éditions Préludes. En librairie le 6 janvier 2016.

La fin du chemin*.

Je me souviens que ma mère avait trouvé osées les paroles de Pour un flirt. Plus tard, quand il a chanté Les Divorcés, elle a pleuré. Ce matin, ils chantent ensemble.

*Les paroles, ici.

Les Assassins (Le retour).

Ellory

J’ai rencontré R.J (pour Roger Jon) à l’aéroport de Genève où nous nous rendions au Livre sur les Quais, à Morges. Garçon doux, discret, petite barbe de la couleur d’une bonne George Killian’s, le voisin parfait en somme, à qui l’on confierait volontiers les clés de sa voiture, un crayon, un couteau de cuisine. Le problème, c’est ce qu’il en fait. Avec Les Assassins*, il signe l’un des plus beaux thrillers sur les grands assassins américains, une course-poursuite dans les scènes de crimes terrifiantes, une balade au pays des cerveaux malades, des marteaux qui écrabouillent les visages angéliques, des calibres .35 qui déciment une famille, papa, maman, les quatre enfants. On pensera bien sûr, au hasard de certains chapitres, au glacial De Sang Froid** de Capote. R.J a écrit avec une élégante efficacité cinq cents pages ébouriffantes, et portraituré quelques personnages finalement extrêmement émouvants, coincés qu’ils sont entre l’écœurement de ce dont ils sont témoins et l’impuissance à remettre le monde sur les rails –méchant cocktail qui les prive de cette petite chose à laquelle on rêve tous. Une vie. Vous savez, ce truc qu’on traverse avec quelqu’un qu’on aime, quelques amis, et où la couleur rouge n’évoque pas du sang mais les lèvres d’une femme qui vous envoie un baiser. Bref, un Toulon-Paris à trois cents à l’heure. (Allez, je referme le Kindle). Bon début d’année.

*Les Assassins, R.J.Ellory. Éditions Sonatine. En librairie depuis août 2015.
**De Sang Froid, Truman Capote. Éditions Folio.

Fatal Attraction (L’aller).

SJ Watson

(Kindle, le retour. La faute à un Paris-Toulon AR dans la journée, décidé à la dernière minute). Je n’avais pas lu Avant d’aller dormir*, juste vu le film de Joffé (Rowan, pas Roland) avec Nicole Kidman et Colin Firth, une intrigue formidablement ficelée à partir de l’amnésie d’une femme qui, chaque matin, se réveille sans plus savoir où elle est, qui est le type dans son lit, ce qu’elle fait là. Bref. Quelques affiches dans les gares m’ont donné envie de découvrir le nouveau thriller de ce S.J. Watson, anglais, né en 1971 (veinard), Une autre vie*. Ça fait un peu Douglas Kennedy** comme titre, mais rappelons-nous les brillant « L’homme qui voulait vivre sa vie » et « Les Désarrois de Ned Allen » dudit canadien. Bref encore. Une autre vie, c’est « Fatal Attraction » (film d’Adrian Lyne) et c’est cette fois, la femme qui est harcelée. C’est rapide et efficace, bondissant et rebondissant. Une histoire vieille comme le monde, de tentation, de désir, de chambre d’hôtel, de culpabilité (une bonne résolution pour 2016 : relire tout Hadley Chase !) ; c’est probablement déjà en train d’être adapté pour le cinéma, c’est un Paris-Toulon qu’on ne voit pas défiler même si la fin est un peu « poildecutée » comme on disait de mon temps dans la réclame –ce qui semble malheureusement être le cas de la plupart des thrillers depuis Coben et quelques autres, mais n’enlève rien au plaisir d’un voyage en train.

*Avant d’aller dormir et Une autre vie, de S.J. Watson, éditions Sonatine.
** Tout Kennedy, à part Cul de Sac, a été publié chez Belfond et Pocket.