Archive | Bouquins.

La fille de Brooklyn et le fils de Guillaume.

Musso1

La fille de Brooklyn* possède, selon la quatrième de couverture, une « intrigue diabolique, personnages uniques et attachants (…) » et précise que « Guillaume Musso signe l’un de ses romans les plus ambitieux et les plus réussis ».
Pour être dans la réclame depuis trente-cinq ans, je sais le poids de ces mots-là, mais pour avoir lu le livre, je sais aussi qu’outre cette incroyable histoire autour de la fille de Brooklyn, c’est la place du fils de Guillaume qui m’a touché.
Je m’explique.
Depuis que ses livres sont dédiés « à Ingrid » et maintenant « à Nathan », la paternité semble inspirante et prépondérante dans l’œuvre de Guillaume.
Elle lui valent des lignes magnifiques : Perdre son enfant est un chemin de croix perpétuel, une déchirure que rien ne pourra recoudre. Chaque jour, tu crois avoir atteint le pire, mais le pire est toujours à venir. Et le pire, finalement, qu’est-ce que c’est ? Ce sont les souvenirs qui se fanent, qui s’étiolent et qui finissent par disparaître (page 453).
Dieu merci, il semble que le fils de Guillaume aille parfaitement bien, mais cette crainte qu’un jour ce qui arrive dans ses livres lui arrive réellement est bouleversante : La paternité m’avait rendu parano, comme si les histoires de meurtres et d’enlèvements que je mettais en scène dans mes polars pouvaient contaminer ma vie familiale (page 33).
D’ailleurs, le métier d’écrivain de Guillaume est très présent dans ce quatorzième opus. Il semble nous livrer des choses, comme les indices d’un thriller : L’engouement des lecteurs pour le polar m’avait fait vivre une décennie fabuleuse au cours de laquelle j’avais intégré la confrérie restreinte des auteurs qui pouvaient vivre de leur plume. Chaque matin en m’asseyant à ma table de travail, je savais que j’avais cette chance que des gens partout dans le monde attendent la sortie de mon prochain roman (page 27).
Alors bien sûr, il y a des surprises dans cette nouvelle histoire, des rebondissements, des MacGuffin ; il y a ce Tribeca dont semble être amoureux l’auteur, tout cet exotisme américain ; il y a des méchants et des désespérés ; il y a cette fille qui n’a vraiment, mais alors vraiment pas de bol ; mais surtout, il y a l’immense joie de la paternité de Guillaume qui affleure, et qui, pour moi, emporte tout.

*La Fille de Brooklyn, Guillaume Musso. Éditions XO. En librairie depuis le 23 mars 2016.

Toute première fois /Toute toute première fois.

Nicolas Rey

Toute première fois /Toute toute première fois. Ah, Jeanne Mas, de son vrai nom, Jeanne Mas. Elle devrait, comme Nicolas Rey, Philippe Jaenada, Éliette Abécassis, Philippe Besson et d’autres, rejoindre la magnifique collection jubilatoire Incipit, de chez Steinkis, construite autour des « premières fois ». Les premiers Jeux Olympiques. Le premier Festival de Cannes. Le premier malade du sida. Les premiers congés payés.
C’est ce dernier que je viens de lire – sans doute parce que l’actualité française prône de ne plus travailler, de passer la nuit debout, et d’attendre des sous, beaucoup de sous, de Très Généreux Normal Ier.
Les délices de 361, écrit par Nicolas Rey, racontent ce moment joyeux, en 1936, où la France ouvrière découvre le train qui mène à la mer, « c’est vrai que la mer, c’est un peu décevant. C’est juste beaucoup d’eau au fond, non ? » (page 40), les décapotables des riches, et les jolies filles de treize ans des bourgeois et des patrons (que deux jeunes écervelées rêvent aujourd’hui de pendre sous le Pont d’Avignon), et plus tard, le tennis.
Et cet été là, dans l’idée folle qu’on allait pour la première fois être payé sans travailler, Nicolas Rey raconte une autre première fois : celle de Marius, fils d’ouvrier, et d’Emma, fille de, (à peine trente ans à eux deux), un premier amour solaire, mais brûlant à l’arrivée, comme un méchant coup de soleil qui incendie la peau, les yeux et le cœur.
Les délices de 36 portent dans leur titre le nom qui les définit le mieux. Croyez-moi.

1.Les délices de 36, de Nicolas Rey, éditions Steinkis, collection Incipit. En librairie depuis le 1er juin 2016.
Un très grand merci à Moïse Kissous pour m’avoir offert ces deux livres, et à Ambre Rouvière pour ne pas désespérer de parvenir à me faire écrire une « première fois ».

Delayed.

Michael Robotham

À l’aéroport de Barcelone, de retour du lancement des « Las cuatro estaciones del Amor », j’achevai la lecture d’un livre papier (assez moyen au demeurant et qui ne sera donc pas chroniqué ici –à quoi sert de parler de ce qu’on n’aime pas ?), lorsque le départ de l’avion qui devait me ramener à Paris fut soudain retardé de plusieurs heures à cause d’une xième grève des contrôleurs aériens. Les passagers espagnols prenaient leur mal en patience, non sans railler les niños mimados de français.
Bref, Kildle fut là, et je pus choisir, un peu au hasard, un bon gros polar qui allait assoupir mon agacement.
Traquées1 est, selon Stephen King « un suspens exceptionnel, numéro un sur ma liste » – un tel jugement venant d’un tel monsieur permet de supposer que le livre n’est pas de la daube. Eh bien, ce n’est pas de la daube. C’est un excellent polar, dans les règles de l’art. Classique. Ultra efficace. Des bons à la dérive, mais avec retenue (on est en Angleterre), des méchants à la dérive, mais sans retenue (on est avec des anglais).
Un face à face terrible entre un professeur de psychologie atteint de Parkinson – malgré la quarantaine –, et un assassin d’une perversité jubilatoire, rarement lue.
Il est toujours difficile de parler d’un livre de ce genre sans prendre le risque de dévoiler trop de choses et donc de vous priver du plaisir de les découvrir vous-mêmes. Cependant, si vous aimez le genre, foncez. Robotham vous entrainera dans une histoire violente, désespérée et rédemptrice assez parfaite.
En arrivant à Paris, je n’en voulais plus aux contrôleurs aériens. Mais je sais maintenant comment, un jour, les zigouiller.

1. Traquées, de Michael Robotham. Lattès, collection Suspens & Cie, et Livre de Poche. En librairie depuis le 7 octobre 2009 (première édition).

C’est où, le Nord ?

Sarah Maeght

C’est où, le Nord ? *, c’est l’histoire d’une fille qui perd la boussole quand elle perd son mec.
Elle (Ella, 24 ans) est pour la première fois professeur de français dans un collège catholique parisien ; lui (Victor), ébéniste dans un petit atelier. Il se fait virer, retourne dans son Dunkerque natal (son carnaval, sa pétrochimie en bord de mer, Gravelines, ses 168 jours de pluie annuels), sans elle. Et la voilà toute déboussolée, d’autant qu’il se passe de drôles de choses dans son pieux collège : elle reçoit des santons de Provence curieusement mutilés. Et un jour, un prof se suicide.
Désaimantée, désamantée, Ella va croiser tout ce qui existe comme possibilités d’amour, tout essayer : hétérosexuelle (qu’elle pratiquait jusqu’ici avec son Victor, « les grands bras de Victor, son ventre contre mon dos, le lobe de son oreille, l’intérieur de ses cuisses » – page 84), homosexuelle (« Klaus, devine combien j’ai eu d’orgasmes cette nuit ? » – page 215 ; notez que Klaus est un poisson rouge handicapé), pansexuelle (« Mec ou fille, c’est pareil » – page 237, et graysexuelle (« un « entre-deux magique entre l’asexualité et la sexualité. », selon un certain Jared –qui n’est pas dans le roman).
Et, finalement, découvrir que la jouissance ne se trouve pas seulement dans les bras de quelqu’un.
Désorientée, Ella va essayer de résoudre l’énigme des santons et du suicide, pour découvrir que l’amour peut faire mal, et que, là où il devait donner la vie, il peut la détruire.
Bref, Ella grandit d’un coup.
C’est où, le Nord ? est un premier roman d’une jeune prof de 24 ans (tiens, tiens), écrit dans la bonne humeur et l’insouciance qu’on a à 24 ans, le « manifeste d’une gamine d’aujourd’hui » écrit Katherine Pancol dans sa préface très enthousiaste, et qui laisse penser que Sarah Maeght a d’autres histoires de fille sous le pied, et qu’elle devrait continuer à nous enchanter longtemps.

*C’est où, le Nord, de Sarah Maeght. Éditions Albin Michel. En librairie depuis avril 2016.

Arrivée imprévue.

Philippe gourdin

Dans la série des romans de l’été, voici l’arrivée d’Arrivée imprévue*, de Philippe Gourdin. Un roman dont le héros dévore « les modernes Botéro et Sardou, Besson et Musso » (page 214) – à propos de ce Botéro, je n’ai trouvé qu’un Giovanni (1544-1617) auteur, entre autres, de De la raison d’État, et je doute qu’il s’agisse de lui – bref, les trois autres nous donnent un sérieux indice sur l’histoire qui se déroule ici, entre Noirmoutiers et Paris, via Los Angeles et San Francisco : une histoire d’amour impossible. Lui, Vivien, quarante ans, riche à voyager avec Netjets et rouler en Lamborghini intérieur cuir et extérieur blanc (page 8) ; il a quitté le monde des affaires pour une retraite anticipée (il ne la touchera sans doute pas au taux plein).
Elle, Samia, dix-huit ans de moins, beurette de banlieue, une banlieue de fait divers où les filles sont sifflées comme des chiennes et tombent toujours sur des sales types.
Rencontre de nuit. Il roule vers sa maison de rêve (douze cylindres rauques, ça fait du potin), elle fait du stop, et les voilà partis vers la mer, « cette chose immense, intemporelle, particulièrement respectable, ce concept définitif » (page 146).
Leur route sera belle et lente : on n’apprivoise pas aussi facilement tant de différences.
Et, page 225, un fou rire vous attend, ce qui est loin d’être désagréable.
Au-delà de l’exercice de genre – le roman d’été, et son nécessaire happy end –, c’est entre les lignes que réside la trajectoire du livre, dans ce que ces deux personnages mettent d’énergie pour vivre, malgré tout, pour atteindre ce lieu qui est la joie même d’être vivant, et peut-être ensemble.
C’est dans ce combat, si proche que celui que Philippe Gourdin a lui-même mené en d’autres circonstances, que se situe cette touchante arrivée imprévue : avoir survécu.

*Arrivée imprévue, de Philippe Gourdin. Éditons de l’Officine. En librairie depuis le 1 avril 2015.

Le fils de Woody Allen.

Le fils de Woody Allen

Le fils de Woody Allen se nomme Jesse Eisenberg – ou Mark Zuckerberg dans l’épatant Social Network, ou Mike Howell dans le trop sous-estimé American Ultra ou encore Bobby dans le cannois en diable Cafe Society réalisé par son papa. Acteur brillamment désinvolte, le voici dans un rôle d’écrivain, un costume qu’il endosse avec la désinvolture d’un acteur, et qui accouche, non pas d’un nouveau rôle au cinéma, mais d’un auteur dans la vraie vie. La dorade me donne le hoquet1 est un livre de chroniques tantôt hilarantes (foncez lire page 96 : « Un échange de mails avec ma petite amie, détourné à un moment donné par ma sœur aînée, étudiante travaillant sur le génocide bosniaque » ou, page 111 : « Mes notices médicales telles que rédigées à charge par mon père »), tantôt amères (savourez, page 255 : « Ces sourires qui font croire à votre cerveau que vous êtes heureux »).
Un livre à poser près de soi et à saisir en cas de coup de mou, comme un antidote à la sinistrose ambiante, la bêtise crasse des casseurs, bref avec un esprit parfaitement allenien (mais dans un corps beaucoup plus vif), Jesse Eisenberg incarne le vrai talent avec… talent.
Ce qui n’est pas franchement le cas de cette chute, désolé.

 1.La dorade me donne le hoquet, de Jesse Eisenberg. Éditions Lattès. En librairie depuis le 6 avril 2016.

Joyeux suicide et bonne année.

Joyeux suicide

Sylvie a l’âge de Sophie. Mais contrairement à Sophie (l’auteur) qui est la joie de vivre incarnée1, Sylvie (le personnage), est le mal de vivre incarné2. Alors, après la mort de son père veuf – qui fait mentir l’idée que les femmes vivent bien plus longtemps que les hommes ­–, Sylvie, sans enfants, sans mecs qui bandent pour elle (sic), sans joie, décide de se suicider le jour de Noël, dans son bain, après avoir descendu une ou deux boites de cachets et pourquoi pas un p’tit verre.
Pour supporter les quelques semaines qui séparent sa décision de sa résolution, elle décide d’aller voir un psy qui est beau comme un mec dont elle rêverait qu’il bande pour elle (sic). Le psy la met à l’épreuve : faire quelque chose qu’elle n’a jamais osé faire, faite quelque chose qu’elle trouve répréhensible, se faire sauter par le premier mec venu (ce qu’elle n’a jamais osé mais qui n’est pas répréhensible).
Et voilà notre Sylvie qui goûte à la vie, y reprend goût, surtout avec un p’tit verre – même plusieurs –, au moment même où la date fatidique approche.
Bien sûr, nous sommes dans un conte, une amabilité à la Capra (décidément, il est loin d’être mort celui-là), quelque chose qui lorgnerait du côté de Grande dame d’un jour, saupoudré d’un peu de parfait mauvais goût : « J’ai une telle masse capillaire que même un cancer n’en viendrait pas à bout » (page 11).
Joyeux Suicide et Bonne Année3, c’est un conte de Noël en mai. Un petit cadeau au moment des impôts, ça ne se refuse pas.

  1.  Auteur, journaliste, scénariste et mère indigne épanouie.
  2. « Je suis damnée. Condamnée à ne jamais plaire. (…). J’ai mal partout, je suis cassée comme un vélib coincé sous un camion-poubelle. » (Page 11).
  3. Joyeux Suicide et Bonne Année, Sophie de Villenoisy. Éditons Denoël (quand on vous parle de conte de Noël). En librairie depuis le 2 mai 2016.

Une nuit d’amour.

Mémoire de fille

Une petite heure à Rome Fiumicino, en attendant l’embarquement pour Paris. Kindle, avec, à l’intérieur, un livre1 très court : le souvenir d’une première fois, en colonie de vacances, entre une « fille de 58 » et « H, le moniteur-chef (…) grand, blond, baraqué, un peu de ventre ». Bref.
Mr. de Montety2 reprocha un jour au formidable Jean-Louis Fournier de « raconter sa famille comme d’autres leurs voyages, infligeant à leurs amis la sempiternelle soirée photos ».
Voici un petit livre qui devrait lui faire plaisir puisqu’il ne raconte pas la famille d’Annie Ernaux. Mais juste Annie Ernaux en cet été 1958. Quoique. Car, comme le rappelle Mr. Beigbeder3, « Annie Ernaux a successivement écrit sur son père, sa mère, son avortement, la maladie de sa mère, son deuil, son supermarché, et cette fois sur son dépucelage raté durant l’été 1958, en colonie de vacances, quand elle s’appelait Annie Duchesne ».
J’avais vraiment aimé Les Années4, sans doute car elle me rappelaient celles de ma mère, née deux ans avant Ernaux, et qu’elles ont toutes deux traversées les mêmes images : Cinémonde, les publicités Ambre Solaire, les bords de mer froide, le chagrin des femmes, la rugosité des hommes – pendant un demi-siècle.
À l’opposé, et bien que je l’ai lu très attentivement dans le lounge, malgré les annonces d’embarquement, les rires de ceux que la perspective d’un vol terrifiait et buvaient jusqu’à l’oubli de ce qui les attendait, Mémoire de fille m’a semblé être un récit brouillon encore, une brève chronique à peine achevée, mais une amère nuit d’amour s’achève-t-elle jamais ? Ce qui, finalement, est le lieu du charme de cette fragile Mémoire.

  1. Mémoire de fille, de Annie Ernaux. Éditions Gallimard. En librairie depuis le 1 avril 2016.
  2. Le Figaro Littéraire, le 21 octobre 2015. Dernier livre paru : « Encore un mot », éditions Points, 2013.
  3. Idem, le 22 avril 2016. Dernier livre paru : « Conversations d’un enfant du siècle », éditions Grasset, 2015.
  4. Les années, de Annie Ernaux. Éditions Folio, depuis janvier 2010.