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La grammaire des tempêtes.

Pierre-Dahonney

Premier roman. Déjà le nom de l’auteur est un voyage. Une langue. Néhémy Pierre-Dahomey. Son héroïne a le nom d’un orage, d’une guerre, d’une terre. Belliqueuse Louissant. Le père de ses enfants porte celui d’un révolutionnaire, d’un désastre, de mille alcools. Sobner Saint-Juste.
La première immense beauté de Rapatriés*, c’est la langue. Elle claque, elle cogne, elle envoûte. Les mots sont des philtres et des poisons, des aiguilles vaudous et des baumes sorciers. Avec cette langue, fille de la poésie et du vent, Néhémy ose tout. Une mère qui jette son enfant à la mer parce que le bateau qui devait les emporter aux Amériques fait demi-tour. Qui donne ses deux dernières filles à l’adoption parce que Haïti est damné, que les tornades emportent tout, les récoltes comme l’espoir, et vous laissent sans force.
Sans force.
C’est d’ailleurs le sentiment que j’ai eu à l’issue de cette tempête, de cette découverte. J’étais sans force. Happé par le tourbillon des mots. Leur sorcellerie. Leur grâce à nous faire passer de la lumière à la nuit, et à la mort, comme une dernière danse de vie.
*Rapatriés, de Néhémy Pierre-Dahomey. Éditions du Seuil. En librairie depuis le 5 janvier 2017.

 

Une très longue balade en forêt.

Jérôme Chantreau

Premier roman. Voici un livre étonnant. Étonnant parce que, quatre fois, cinq fois, au début, j’ai eu envie de le refermer, laisser les pages s’envoler comme les feuilles mortes d’un chêne à l’automne. Et puis, tel un marcheur en forêt qui s’impatiente de ne rien voir d’autre que toujours la même chose, j’ai continué un peu, espérant un arbre différent, une lueur, une souche comme une lave. Je me suis enfoncé dans cette forêt de Mayenne que décrit si bien Jérôme Chantreau dans son roman*, et un doux ensorcellement a fini par m’atteindre, et c’est vers la fin du livre, comme une aube après une nuit curieuse, que j’ai été tout à fait envoûté par la métamorphose du personnage d’Albert, ce quadra qui retourne dans la maison familiale perdue au milieu de cette étonnante forêt, pour y organiser les funérailles de sa mère.
D’un retour aux sources, Chantreau nous offre un surprenant retour au primitif, à notre nature première, et, une fois passé les quatre mille premières pages, je me suis mis à penser au merveilleux Into the Wild – Voyage au bout de la solitude** – de John Krakauer, et à me dire que cela valait bien de patienter ; je me suis rappelé que certains romans ont besoin d’une longue mise en train pour parvenir à destination.
Et lorsqu’on on y est, comme c’est le cas ici, alors, on savoure vraiment tout le chemin parcouru.

*Avant que naisse la forêt, de Jérôme Chantreau. Éditions Les Escales. En librairie depuis le 25 août 2016.
**Into the Wild, de John Krakauer. Éditions Presse de la Cité. En librairie depuis le 3 octobre 2008. Et en DVD mis en scène par un Sean Penn vraiment inspiré.

Le pote de l’Écrivain National.

Vincent Larnicol

Sur la quatrième de couverture, il est écrit que Vincent est « autiste Asperger et qu’il dessine et écrit pour se libérer ». J’ai croisé Vincent au hasard de quelques salons du livre où sa longue silhouette semblait flotter d’auteur en auteur et son sourire immense éclairer les heures. Je l’ai vu parfois en compagnie de l’hemingwayien Serge Joncour* qu’il salue au début de ce petit livre, comme « le fidèle tonton spirituel qui cherche le soleil tous les jours de ta vie ». Et puis je l’ai retrouvé à Rennes, où je rencontrais des lecteurs dans la très belle librairie du Failler, là où il m’a donné cet opuscule. Mémoires enfouies de Coco-Beach** fait partie de ces livres qui parlent de celles qui nous manquent à jamais, dont on n’a jamais vraiment eu le temps de se repaître de toutes les odeurs, de se gaver du moelleux des bras, de la douceur de la voix. Les mamans. Et dans ce très court texte, à la faveur d’un tiroir ouvert dans la chambre de ses parents, le narrateur retrouve « de tout » : un crayon papier de forme 4, un pistolet noir en plastique, un roman de… Serge Joncour, un sachet de Pailles d’Or framboise et surtout un album photo. Des photos vont jaillir les souvenirs, les plages de la Réunion, une enfance enfouie et belle, un chant d’amour à jamais fini pour « celle que le vent porte une dernière fois ». Lire Vincent Larnicol, c’est rêver un instant et c’est surtout lui permettre de s’envoler, alors allez-y.

*Serge Joncour est l’auteur du très réjouissant et grave L’Écrivain national, Flammarion 2015 et tout récemment de Repose-toi sur moi, Flammarion toujours, août 2016, Prix Interallié 2016.
**Mémoires enfouies de Coco-Beach, de Vincent Larnicol. Éditions Édilivre, paru en juillet 2015.

L’hiver d’une vie magnifique.

Henning Mankell

Je n’avais jamais lu un livre aussi lentement. Sans doute est-ce parce qu’il est le dernier, qu’il n’y en aura plus jamais, à moins qu’on ne découvre, enfoui quelque part au Mozambique où il aimait à vivre, à y faire jaillir la joie par le théâtre, un ultime manuscrit. Mais je n’y crois pas. Henning Mankell est mort le 5 octobre 2015 à Göteborg d’une saloperie de cancer, qu’il raconte dans le crépusculaire Sable Mouvant –Fragment de ma vie, son avant dernier texte.
Les Bottes Suédoises* est un roman magnifique et lent. Un livre dans lequel il savoure le temps, dans lequel il le mâche presque, comme s’il cherchait à en extraire toutes les saveurs dernières, à le retenir un jour encore, une heure encore, le temps d’un dernier frisson de vie, un ultime vertige.
Voici donc l’histoire de Fredrik Welin, médecin retraité qui vit sur une minuscule île de la Baltique. Lorsque commence le récit, sa maison brûle, il échappe de justesse aux flammes et regarde sa vie se consumer, les cendres danser, emportant avec elles tout ce qui fut de lui. C’est l’hiver. Le froid gagne. Ce feu, c’est celui qui dévore Mankell (il achève ce texte sept mois avant sa mort), un feu vif et joyeux dans les flammes duquel, il raconte ses amours perdues, ces femmes aimées, mal aimées et ratées jusqu’à cette ultime, journaliste qui écrit un article sur l’incendie, une femme beaucoup plus jeune que lui, une dernière tentation, une dernière espérance, comme si la jeunesse pouvait prolonger la vie, lui redonner une inestimable saveur. Jusqu’au bout, le goût de la vie est plus fort que tout, et des cendres mortes jaillissent d’autres lueurs. C’est là le flamboyant testament de Mankell.
Putain, il va nous manquer.

*Les Bottes Suédoises, de Henning Mankell. Éditions du Seuil. En librairie depuis le 18 août 2016.

Le citronnier de Samantha.

Samantha Barendson

Selon notre bon Wikipedia, le citronnier est « un arbre à feuilles persistantes, oblongues et lancéolées, à limbe nettement articulé avec le pétiole non ailé. Il peut vivre environ 80 ans ».
Selon Samantha Barendson, il est un papa qui a vécu 32 ans, qui a crépité lorsqu’on a fait de son corps des cendres « qu’on dépose dans la terre du jardin – d’une maison argentine –, comme un engrais (…) et qui deviendra une fleur, une herbe ou même un arbre » (page 37).
Mon Citronnier* est le livre d’une femme à la recherche de son père, Francisco Barendson, italien, retrouvé mort dans une chambre d’hôtel à Buenos Aires, à cause d’un radiateur au gaz défectueux, en compagnie d’un collègue de travail ; une femme à la recherche de qui fut son père qu’elle n’a pas connu, lui si beau, si élégant, qui aimait tant les jolies femmes.
Alors bien sûr, il n’est pas question de dévoiler ce qu’elle va découvrir et qui, au fond, n’est si important que ça, il ne s’agit pas d’un incroyable « cliffhanger », non, ce qui est intéressant ici, c’est la gravité détachée avec laquelle Barendson mène son enquête.
C’est dans cette distance que se trouve la grâce fragile du livre, cette poésie telle que l’avait un jour défini un poète canadien avec lequel je participais à une table ronde à Montréal : « La poésie ne s’explique pas, elle se soupçonne. » C’est le mot que je cherchais. Mon Citronnier est un texte sur le soupçon. Un soupçon bienveillant – ce qui est rare. Cela s’appelle l’espoir.

*Mon Citronnier, de Samantha Barendson. Édition Lattès. En librairie le 11 janvier 2017.

Quelques mignardises empoisonnées.

SOPHIE HENRIONNET

J’ai rencontré Sophie Henrionnet en novembre dernier dans le cadre « d’Écrivains en Grésivaudan », une suite de joyeuses rencontres dans quelques médiathèques montagneuses, à l’entour de Grenoble.
Sophie possède l’un des plus jolis rires brefs qu’il m’ait été donné d’entendre, un équilibre exquis entre la joie et la gêne. Plus tard, nous avons eu, comme deux sales gamins un jour d’enterrement, un irréfrénable fou rire lors du discours officiel de l’adjoint au maire. Il ne m’en fallait pas plus pour me précipiter sur l’un de ses livres. Vous prendrez bien un dessert*, roman cruel, fils des célèbres « Nouveaux Monstres » italiens, met en scène une famille qui se réunit à la fois pour les Fêtes de Noël et l’anniversaire de l’ancêtre. En autant de courts chapitres qu’il y a de membres dans cette famille, Sophie utilise sa plume acérée comme une fraise terrifiante (elle a été chirurgien-dentiste) et s’en donne à cœur joie pour dépecer les apparences, les bien-pensances et nous donner à voir les entrailles de tout ce beau monde pas si beau que cela vu de l’intérieur, le tout avec une jubilation totalement assumée, tel qu’on la retrouve justement dans son merveilleux petit rire bref, à la croisée de la gêne (« regardez les horreurs que je vous donne à voir ») et de la joie (« regardez les horreurs que je vous donne à voir »). Sophie, vous verrez, écrit aussi des romans dits « chick lit » fort bien faits, mais pour ma part je ne peux que l’encourager à poursuivre cette veine jubilatoire et à vous, de vous y plonger sans bouée.

*Vous prendrez bien un dessert, deuxième roman de Sophie Henrionnet. Éditions Daphnis et Chloé. En librairie depuis le 9 juillet 2015.

Et toc.

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Voici un petit livre* (160 pages) rigolo sur les tics et les tocs (troubles obsessionnels compulsifs) de celui qu’on a appelé le Roi de la Publicité en Russie, un peu comme il y avait le Roi de l’Immobilier dans le fabuleux « American Beauty » de Sam Mendes.
En une trentaine de courts chapitres amusants, le désormais Roi du Toc nous narre ses aimables tares. Une hachette sous le lit, au cas où,, dix-huit parapluies, cinq exemplaires du même téléphone portable LG, toutes ses montres parfaitement réglées avec dix minutes d’avance, etc. Un aimable catalogue à la Prévert de petites obsessions, en somme, dont l’auteur prétend qu’elles n’empêchent pas d’être heureux : « Ma vie n’est pas un enfer. Je ne suis ni blasé ni aigri, mais enthousiaste comme un jeune homme (…) », page 162, même si, ça et là, affleure de la mélancolie : un sevrage prématuré (page 101) et l’absence d’une mère sans doute qu’une vie parfaitement bien ordonnée, comme une chambre parfaitement bien rangée, enchanterait, si d’aventure elle revenait.
Le talent d’Edouard, dans ce nouveau livre, après un récent essai sur la Russie et surtout après son très beau premier roman personnel La Compagne de Russie**, est de rire de lui-même tout en laissant poindre, me semble-t-il, une sorte de chagrin.
Un peu à la manière d’un Jean-Louis Fournier.

*Moi, Édouard, vieux garçon, maniaque et fier de l’être !, d’Edouard Moradpour. Éditions Michalon. En librairie le 5 janvier 2017.
** La Compagne de Russie, aux éditions Michalon, 2012.
PS. Édouard, dis-moi : la prochaine fois, une sole/épinards au Murat, table n° 37, ou des spaghettis à la napolitaine au Marco Polo, table n° 7 ?

« Prendre le risque sublime de s’envoler ».

C’est finalement Nathalie* qui s’est chargée de chroniquer Danser au bord de l’abîme** et je l’en remercie de tout cœur. Je la savais lectrice exigeante, je la découvre musicienne des mots. Et, bien sûr, le très beau titre de cet article est d’elle.
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«  Quel bonheur que ce nouvel opus de mon écrivain-chouchou Grégoire Delacourt ! Ceux qui me connaissent (et  maintenant les autres) savent combien cet auteur compte pour moi,  certains de ses livres m’ayant accompagnée lors d’abîmes personnels. Petite Grande précision : cette chronique est faite dans le cadre d’une lecture commune, avec mes amies blogueuses : Alexandra, Nathalie et Virginie (liens de leurs blogs sous cet article).
Ici, nous faisons la connaissance d’Emma,  quadragénaire comme tant d’autres, un peu perdue dans un mariage qui ne la fait plus danser, un travail qui l’occupe, et des enfants qui n’ont plus vraiment besoin d’elle.  Elle « fait avec » ou plutôt sans, jusqu’au jour, où, dans une brasserie, son regard va croiser celui d’Alexandre… Il est marié lui aussi… Et lui aussi va se laisser emporter par son regard à Elle…
Elle, Emma, a besoin de ce vertige qui prend au creux du ventre.  Elle veut la foudre, elle veut le désir, elle veut l’infini.
« Les mères nous apprennent la patience, cette cousine polie du renoncement, parce qu’elles savent qu’entre le désir et l’amour, il y a les mensonges et les capitulations. Le désir ne tient pas toute une vie, m’avait-elle dit.
L’amour non plus, avais-je répondu. Moi, je crois au premier regard… Je crois à la première impression. Je crois au langage de la chair. Au langage des yeux. Au vertige. A la foudre ».
Ils vont alors prendre une décision qui va bouleverser et faire basculer leurs existences, et celles de leurs proches.
Ce qui pourrait n’être alors qu’une banale histoire d’adultère devient, sous la plume magistrale de Grégoire Delacourt, une danse sensuelle et tragique, au bord d’un abîme béant, tout en failles, en cicatrices, en appétits, en tendresse, en lumières.
Mais ce roman n’est pas que cela, loin s’en faut.
Ce roman, c’est aussi, la vie, le désir et sa puissance de tsunami, l’amour, la mort, la liberté (cette chère Blanquette !), le rapport à soi et aux autres, le désamour d’une mère, les liens au-delà de l’au-delà,  les interstices sombres ou clairs entre présent et passé, le pardon et la résilience… C’est aussi l’urgence de Vivre, vivre et aimer… Vivre et virevolter …
Page après page,  et en parallèle avec la métaphore de la Chèvre de Monsieur Seguin et à ce cher Gringoire (encore une histoire qui m’a profondément marquée), le récit prend une intensité saisissante, fracassante, bouleversante. De fulgurance en fulgurance, il emporte le lecteur du début à la fin, dans un tourbillon d’émotions épidermiques, celles-là même qui vous font comprendre l’importance de l’Existence.
« J’affirme qu’elle est brève, cette gesticulation sur la Terre, d’une brièveté assassine, et qu’elle ne mérite pas d’être encore tronquée par les mésamours, les colères ou les frayeurs. C’est justement parce qu’on n’a pas le temps qu’on doit aimer, désespérément ».
Il faut se laisser porter par l’écriture si délicate et si sensible de Grégoire Delacourt, qui, une fois, encore, sait se glisser avec brio dans la peau d’une femme.
Il faut frissonner, sourire, trembler, pleurer, rire, espérer, à chaque page que l’on tourne, tout comme on tourne, dans le fond, jour après jour, des pages de nos vies.
Il faut se laisser porter par Madame Butterfly, Orphée et Le Trouvère.
Il faut se laisser griser par les vins à la robe capiteuse, se laisser envelopper par la magie des mots, des phrases lâchées çà et là…
Je n’en dirai pas plus, car ce roman, il faut le lire, absolument…
Un immense remerciement donc à Grégoire et aux Éditions JC Lattès,  je sors de cette lecture, comme de toutes celles de cet auteur cher à mon cœur, profondément bouleversée.  Un roman magistral, un incontournable de la rentrée littéraire de janvier 2017.
« Ceux qui nous aiment nous quittent, mais d’autres arrivent ».

* Retrouvez Nathalie et son blog épatant sur: http://nathdelaude.canalblog.com/archives/2017/01/03/34756674.html ainsi que ceux de ses amies blogueuses, Alexandra, Nathalie et Virginie.
** Danser au bord de l’abîme, Éditions JC Lattès. En librairie depuis le 2 janvier 2017.