Archive | décembre, 2015

Invité #23. Frédéric Launay.

Je vous avais déjà parlé de Frédéric il y a quelques semaines, à l’occasion de la lecture d’une des ses épatantes nouvelles. Le revoilà invité dans ce blog parce qu’il m’a semblé qu’avec sa longue et élégante silhouette, ses jambes d’arpenteur, son regard doux sur le monde, son rôle de passeur de livres, de partageur d’émotions – parce qu’il pratique son métier de journaliste et d’animateur d’une façon très sincère, il m’a semblé qu’il était celui qui nous emmènerait avec allégresse de cette année noire à celle de l’espoir (j’espère).
Il nous fait le cadeau de l’un de ses gros coups de cœur des dernières années – à lire en ces temps de trêve des confiseurs (dit-on). Bonne fin d’année à tous.

Launay Orsenna

« Un amour de ma vie.
Il existe deux façons, pour un gentilhomme, de se ruiner. De façon élégante, pour une femme. De façon certaine, en créant un jardin. En choisissant d’être paysagiste (et donc, de construire le jardin des autres) et en optant pour la fidélité, Gabriel Orsenna, le héros de Longtemps*, pense avoir pris une assurance contre ces ruines de l’âme que sont les passions.
Seulement voilà, le 1er janvier 1965, alors qu’il s’est réfugié au Jardin des Plantes, le hasard, qui est parfois joueur, le fait se diriger vers la galerie de l’évolution. Là, Élisabeth, l’amour de sa vie – ce qu’il ignore encore – se promène avec ses deux enfants au milieu d’une arche échouée.
Il croque la pomme si vite qu’il en oublie son serment de demeurer loin des folies amoureuses si souvent tragiques. Et Élisabeth repart, avec ses enfants, rejoindre un mari qui l’attend.
Cela aurait pu durer moins que ne durent les roses. Mais, Gabriel, fils de Gabriel et petit-fils de Gabriel – bon sang ne saurait trahir – qui avait tout fait pour lutter contre l’atavisme récurrent de ses glorieux ancêtres, infatigables soupirants, se retrouve embarqué dans un amour impossible. D’autant plus impossible que durable. Long, comme le sont les voyages qui vous transforment. Riche, comme l’est la vie, lorsque l’on adore.
Il y a dans le meilleur roman d’Erik Orsenna, tout ce qu’il faut savoir sur les ruptures définitives qui durent un week-end, sur ce qu’est l’attente effroyable devant un téléphone silencieux, la botanique impertinente, les étreintes vives et infinies, sur ce qu’est une passion, lorsqu’on ne craint pas de l’observer doucement. Lentement. Longuement.
De Séville à Gand, Gabriel et Élisabeth vont s’aimer, malgré tout. Trente-cinq ans. Construisant de secondes, de minutes, d’heures, de jours volés, une histoire que la géographie regardera avec envie. Dans cette quatrième dimension, ni la morale, ni les bonnes mœurs ne les atteindront. Le temps, presque éternel, fera de ces amants des héros. L’écrivain enthousiaste se charge, lui, de leur légende. Lisez Longtemps, cela passe si vite, un sentiment… ».

*Longtemps, d’Erik Orsenna (Pas encore de l’Académie Française lors de la parution du livre), 463 pages. Éditions Fayard et Livre de Poche.

Conte de Noël.

Vacca

Paul Vacca (mais si, La petite cloche au son grêle*, Comment Thomas Leclerc, 10 ans, 3 mois et 4 jours est devenu Tom L’Éclair et a sauvé le monde**), Paul Vacca donc, a été invité en résidence d’écriture au Centre Hospitalier Métropole Savoie. Une immersion de 24 heures non stop au service des Mélèzes (Alzheimer). A la sortie, un texte bref***, dense, intense. Il est son regard sur les malades, les gestes qui n’atteignent plus leur cible, les téléviseurs silencieux, les chansons du temps d’avant, les souvenirs qui s’évaporent, sur cette maladie qui rapproche des enfants qu’ils étaient et gomme au passage ce qu’ils sont devenus. Le texte vient d’être imprimé à l’heure où on n’a jamais autant eu besoin de regarder, de voir l’autre. Le regard de Paul est beau. Sincère. Franc. Et comme il est très bon écrivain, il a vu autre chose que ce qu’on lui a montré et entendu d’autres mots. Un petit miracle de Noël, en somme.

* Le livre de Poche, 2013. ** Belfond, 2015. *** La Ritournelle, de Paul Vacca. Édition Mission Culture du Centre Hospitalier Métropole Savoie. (Ceci dit, le plus simple est de contacter Paul, je crois).

Madame promène son cul*.

Madame

La Jacob emperruquée, seule dans du velours rouge, ambiance maison, michetons de la bourge, trouduculteurs, nous narre avec les mots choyés, niveau Nobel, d’un bébé* Audiard, sa bouseuse vie, arrivée à Paname, rencontre avec Landru, Henri-Désire s’il vous plait, ouvrière dans les bombes, à l’armistice mariée à un poilu par sens patriotique, lequel avait laissé une jambe, un bras, un bout de cervelet au champ d’Honneur, encloquée deux fois, qu’on retrouvaille chez une coutière. C’est sur les boulevards qu’elle rencontre le barbillon, un contingent de tirailleurs sénégalais à lui tout seul, bâton d’amour immense, inépuisable, qui repousse les limites du plaisir, et voilà Madame en maison, où la mère Maq est « comme une mère supérieure mais maquillée », quinze ans d’amour qui fatiguent, et puis la seconde de guerre, les boches polis, les fridolins friqués, la libération et l’écœurement. Madame devient Madame, gère son claque avec fermeté, mais c’est son troisième chiard, l’enfant de l’amour, qui la chavire. De poulette, la voilà mère poule. Le loupiot grandit au lait de la tendresse. Quand il a l’âge des poils, c’est l’Algérie. Il est dans les Aurès. Il y a du moche. De l’indicible. Ça se boucle sur une date. Un souvenir pourpre. Le 17 octobre 1961.
Madame* est servie par un texte remarquable d’humour et de cocasserie, enfant d’Audiard et de Janson, revêtue d’une Catherine Jacob au firmament du classieux, du vulgos retenu et de l’humain. Quatre-vingt minutes de bonheur, par les temps qui courent, ça se refuse pas. (Vite, ça finit le 20 décembre).

* Les remparts de Varsovie, Jacques Brel. **Rémi de Vos, Madame, suivi de Projection privée et de L’Intérimaire, Actes Sud Papiers (2011).*** Madame, mis en scène par Rémi de Vos, interprété par Catherine Jacob, Théâtre de l’œuvre à Paris.

Invitée #22. Mireille Calmel.

Ce qu’il y a de bien avec l’amitié, c’est qu’en général, ça dure. Depuis notre rencontre en 2013 à Nice sur le Cours Saleya, Mireille et moi nous croisons toujours avec bonheur, papotons comme deux copines qui font les soldes et surtout, adorons partager nos coups de cœur. Alors il était tout à fait normal qu’elle revienne à cette table d’invités pour nous parler, avec souffle, d’un livre qui l’a transportée : le nouveau roman de la très douée fille de Frédérique Hébrard et Louis Velle, mais si, souvenez-vous, la Princesse de Kurlande.
Et puis, en ce jour de second tour des régionales, de parole politique nullissime et de débats de caniveaux, un bon livre peut sauver.

un pas dans les nuages couv_

« Les nuages, ce sont ceux qui embrument le cœur d’Alex, cette jeune cascadeuse qui ne parvient pas à oublier la mort dramatique de sa sœur jumelle, une étoile montante du cinéma.
Les nuages, ce sont aussi ceux qui cernent cette ferme des Cévennes dans lequel Alex cherche un refuge à sa détresse, dans lequel elle s’invente une nouvelle vie, une nouvelle identité loin des projecteurs et des médias.
Résumer un livre… Une de mes amies, cette illustre romancière qu’est Françoise Dorin, a répondu un jour à un lecteur exigeant :
« Un livre ne se résume pas, il se respire ».
C’est ce que j’ai fait.
Aux côtés d’Alex, j’ai avancé d’un pas dans ses nuages. J’ai découvert le rythme des Cévennes, semblable aux courbes d’un cardiogramme. Ma poitrine s’est soulevée à chaque inspiration pour refuser la mort lente du désespoir et de la culpabilité. Grâce à cette radio locale qu’elle s’est mise à animer, j’ai affronté les habitants du village, accepté d’être apprivoisée par certains, terrifiée par d’autres. J’ai déterré des secrets, affronté leurs dangers. Et puis j’ai rencontré cet homme qui travaille à Observatoire météo, au sommet du mont Aigoual. Je me suis sentie vibrer d’un amour naissant, d’une confiance à réinventer.
Oui, Françoise Dorin a raison. Un livre se respire quand il est souffle. Et quel souffle ! J’ai été l’otage des démons d’Alex, des éléments déchainés, des rires étouffés, des caresses timides. J’ai été son ombre pour mieux me réapproprier sa lumière. Pour autant, peut-on renaître d’un mensonge ?
C’est à l’heure où Alex fut confrontée au sien que j’ai véritablement pris la mesure du talent de Catherine Velle à crayonner la substance des êtres, de la nature et de la vérité qui dort en chacun de nous.
L’académie Cévenole ne s’y est pas trompée ce 6 novembre 2015 en lui remettant son fameux trophée, « Le cabri d’or ».Ce livre est plus qu’une réussite littéraire. Il est.
Ne le manquez pas ».

*Un pas dans les nuages, de Catherine Velle. Éditions Anne Carrière. En librairie depuis le 28 mai 2015.
Et toujours Aliénor, Un dernier baiser avant le silence, de Mireille Calmel.

Bonapartus.

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Le 7 janvier de cette année, les frères Kouachi dégainaient contre Charlie Hebdo, assassinaient douze personnes (dont huit collaborateurs du journal), en blessaient onze autres. Je suppose que le soir même, ou dans les jours qui ont suivi, Romain Puértolas a dégainé son stylo, ou ses petits doigts, pour écrire cette farce tragi-comique qui décongèle notre bon Napoléon Bonaparte et son fidèle mammifère herbivore, ongulé à sabots, Le Vizir, afin de venir à bout de Daesch (sic), acronyme de ad-dawla al-islamiyya fi-l-‘iraq wa-s-sam. Romain (garçon charmant au demeurant) s’est visiblement marré à écrire cette histoire qui crépite à la vitesse des balles d’une AK47 – mais qui tirerait des chamallows –, à composer cette petite armée digne d’un épatant casting de Robert Lamoureux, et à imaginer une guerre menée en burqa et en string (sous la burqa). À noter une scène tordante (comme dirait ma belle-mère) dans le bureau de l’Élysée, entre le grand Napoléon, 1,68 m et celui qu’on nommait alors Naboléon, 1,68 m sans ses talonnettes orthopédiques, sous le regard idiot et supérieur de Hollande, 1,74 m. Sous la farce, il y a évidemment un grand coup de gueule contre l’impossibilité de nos bons politiciens à agir, trop occupés qu’ils sont à leurs magouilles et la préservation de leurs postes, et auquel malheureusement, le 13 novembre (et le premier tour des régionales) vient violemment de gifler.

*Re-Vive l’Empereur, de Romain Puértolas. Éditions Le Dilettante. En librairie depuis le 30 septembre 2015. Merci à Brigitte Opigez pour m’avoir offert ce livre, et à toi Romain, pour ta super dédicace.

Sept ans de réflexion.

Antonio Garrido La scribe

Il y a fort longtemps, lorsque la télévision n’avait que deux chaines, il y avait un grand film le dimanche en début d’après-midi, sur l’une, puis au milieu de l’après-midi, sur l’autre. J’avais une dizaine d’années, je découvrais Gérard Philipe dans Le Rouge et le noir, La chartreuse de Parme, Fanfan la Tulipe, Jean Marais dans Le Masque de Fer, Le Bossu, Bobby Hyatt dans Les Aventure d’Hucklerry Finn. Je restais scotché devant l’écran en noir et blanc, je voyageais sans bouger, je m’évadais de tout, du retour au pensionnat le dimanche soir, des devoirs à rendre le lundi, des humiliations à venir au basket, j’étais emporté. C’est ce sentiment que je viens de revivre, quarante ans plus tard, à la lecture de La Scribe* d’Antonio Garrido – l’épopée d’une femme inoubliable dans la Franconie, à la veille du sacre de Charlemagne, en 799. Garrido a consacré sept ans de sa vie à ce livre. A l’arrivée, six cent trente pages haletantes autour du parchemin de la Donation de Constantin (qui devait assurer la pérennité de la chrétienté), d’aventures, de trahisons, de rebondissements, et d’amours venimeuses comme on les aime. Les soirées d’hiver sont longues, ça tombe bien.

*La Scribe, d’Antonio Garrido. Éditions du Livre de Poche. En librairie.