Gilles Lanier est un type étonnant. Un scalpel, au premier abord – on le prendrait facilement pour un professeur de boxe ou un quinzième dan (jûgodan) au karaté, mais dès qu’il sourit, tout change. On a juste envie de sourire avec lui. On devine la bienveillance, son envie de partager, de faire découvrir.
Le jour de son bac, il a filé à Londres pour assister à un concert des Clash et il en a tiré une formidable philosophie de vie : La culture est en toute chose. Cette vérité ne le quittera plus jamais. Il devient conseiller de François Guérif chez Rivages/Noir, il approche les Ellroy, Lehane, Peace (il y a pire comme fréquentations), puis déboule à la Fnac comme responsable marketing disques et vidéos de tous les magasins, et là, un deuxième grand choc : « J’ai réalisé que l’hyperchoix, dans les rayons, pousse paradoxalement les clients à n’acheter que les best-sellers. Le défi est de donner aux gens des outils pour qu’’ils osent aller voir ailleurs1 ». Pas étonnant qu’il crée Vive La Culture2 en 2012 : des parcours culturels capables de tisser un lien, par exemple, entre Gravity et Le Dernier monde de Céline Minard. Et tiens, puisqu’on parle de Minard, je laisse Gilles vous en parler. Elle est son coup de cœur de cette rentrée littéraire.
Rentrée littéraire 2016. « Une jeune femme fortunée, la narratrice, part vivre seule en pleine montagne dans un abri qu’elle a minutieusement conçu, sobre mais capable de résister aux éléments en colère. Sans rien savoir des raisons qui l’ont poussée à cette retraite, on sent qu’elle est là pour longtemps. On va la suivre dans son installation, dans son organisation au quotidien et dans ses longues sorties en montagne, repoussant à chaque fois les limites du territoire qu’elle explore, mais aussi celles de son corps qu’elle entraîne pour être en parfaite harmonie avec l’environnement minéral qui est le sien et qu’elle ne partage qu’avec quelques animaux. Et puis un jour, elle découvre qu’elle n’est peut être pas seule.
Le Grand Jeu3, de Céline Minard (prix Livre Inter 2014 avec Faillir être flingué) est un roman de la description (des lieux, des objets, des paysages, des sensations), mais aussi un conte philosophique à l’écriture sans artifice qui parle de la solitude et du corps, comme s’il fallait replonger dans la solitude et repasser par la maîtrise complète du corps pour comprendre la place qui est la nôtre parmi les hommes et les événements qui nous frappent. Comme si un trop plein de connexions finissaient par nous embrouiller l’esprit et qu’il fallait faire retraite pour se ressaisir, se retrouver. Mais n’est-ce pas faire fausse route ?
On retrouve, dans Le Grand Jeu, un style sans artifice, en parfaite adéquation avec son sujet, quasi minéral, ainsi que des thèmes qui sont chers à Céline Minard ; la solitude et les hallucinations vues dans Le Dernier Monde, ou ces personnages étranges, sorte de moines bouddhistes sans âge qui semble échappés d’un temple du fin fond de l’Himalaya (Bastard Battle, Faillir être flingué). Céline Minard est une styliste et une des voix les plus singulières de la littérature française de ces dix dernières années ».
1. Interview dans Clés magazine.
2.Avec Michel Jeanclaude, prochainement invité de ce blog.
3.Le Grand Jeu, Céline Minard. Éditions Rivages. Déjà en librairie.