Réponse dans Paris Match cette semaine, page 44 !
Archive | avril, 2017
Rouge amer.
J’aime bien Anne-Sophie Stefanini. Il y a en elle quelque chose des beautés de Raphaël. Une pâleur. Une grâce. Une fragilité forte. Elle est une belle éditrice. Et un bel écrivain. Son nouveau roman, Nos Années rouges lui ressemble. J’y ai déambulé dans ses pages, dans ces ruelles tracées par les lignes de ses mots posés, comme Catherine, son personnage, baguenaudait et se perdait dans les rues d’Alger – des tentacules. J’y ai, dans l’écriture, retrouvé l’élégance désinvolte de celle d’un Drieu La Rochelle, celui du Feu Follet, j’y ai reconnu cette langueur, cette nonchalance, malgré le mal qui rôde, tous les démons – j’y ai entendu une gnossienne de Satie, comme dans le film envoutant qu’en a tiré Louis Malle. J’y ai rencontré des amants perdus dans son livre, des rêveurs d’une Algérie nouvelle, et même une étudiante qui rêvait d’Italie, écrira une lettre fabuleuse à Catherine, sa prof, et trébuchera sur d’autres rêves, et je n’oublierai aucun d’eux. J’y ai, dans les cafés, beaucoup fumé, beaucoup bu, jusqu’à redessiner les lisières des hommes. Je me suis cogné aux fantômes que je suppose d’Anne-Sophie : une mère qui part, un père qu’on ne peut pas décevoir, et j’ai retrouvé, pour un instant, la joie et la frayeur d’être un fils.
Nos Années rouges est un beau livre sur une laideur de l’histoire, sur la naissance d’une utopie, mais surtout, sur l’éclosion d’une femme qui, au fond, s’est promis la chose la plus difficile qui soit. La fidélité à elle-même.
*Nos Années rouges, de Anne-Sophie Stéfanini. Éditions Gallimard. En librairie depuis le 9 mars 2017.
Chabadababoum.
Voici un premier roman joyeux et triste à la fois.
Joyeux dans l’écriture pétillante, débordante, envahissante parfois (il est vrai que lorsqu’on écrit un premier roman on y met le maximum de mots parce qu’on a peur d’en faire deux d’un coup : le premier et le dernier). Et triste dans le propos (bien qu’on n’y parle essentiellement que de cul – et c’est peut-être pour ça, d’ailleurs).
Victoire et Nicolas se rencontrent le 12 juillet 1998 (les fans de foot apprécieront – 3-0 contre le Brésil ça avait quand même de la gueule), paumés l’un et l’autre dans la médiocrité de leur jeune vie. On va les suivre un bon quart de siècle, à la manière d’un film de Lelouch, on croisera Mitterrand, les bulles Internet, la canicule mortelle, les restos chinois à deux balles et un peu d’humanitaire bon teint ; les mots, comme la caméra du célèbre cinéaste, emberlificoteront les amoureux dans un quotidien si quotidien qu’il en deviendra ennuyeux, même l’arrivée d’un chat (en place d’un enfant) au nom râpeux de Ptolémée n’y changera rien. Les amoureux plongent dans d’autres bras ; lui dans ceux confortables, timides et doux, d’une sud-coréenne, elle, dans ceux de tous les mâles du monde rencontrés au hasard des hôtels de luxe qu’elle chronique pour une revue. L’amour est triste, le désir sans faim, le couple sans avenir : à 36 ans, Marjorie Philibert nous fait son petit Belle du Seigneur désenchanté – sans l’exotisme céphalonien. Un Lelouch tourbillonnant et mélancolique, mais qu’il est quand même agréable de voir pour comprendre une certaine jeunesse française.
*Presque ensemble, de Marjorie Philibert. Éditions Lattès. En librairie depuis le 4 janvier 2017.
Tout va très vite.
Découvert à Québec. Un livre* bref comme est brève la vie. 265 morceaux de vie en 140 lettres maximum. Une Jean-Louis Fournier québecquoise. Un régal.
*La vie est brève – historiettes, de Chantale Gingras. Éditions L’Instant même, Québec,
Une nouvelle-née.
Découvert à Québec. Voici un premier roman* qui ressemble furieusement à un fleuve charriant les mots comme l’eau charrierait des troncs d’arbres, des feuilles, des boites de conserve, des cannettes, des chapeaux, des chaussures, des corps, même.
Marlène Mathalie semble avoir jeté tous les mots possibles dans son livre, comme on se jette dans une bataille – celle de l’héroïne, quarante-cinq ans, enceinte d’un homme plus jeune, dont la grossesse réveille l’effrayante beauté de la maternité, renvoie à l’image omniprésente de sa mère (dieu que les mères parfois sont compliquées) et fait se poser ces questions auxquelles l’absence de réponse est justement la réponse. Il semble que ce tumulte qui bouleverse chaque page de ce court roman annonce, non pas l’enfant attendu, un corps qui s’ouvre et délivre, mais bien la naissance du livre lui-même, la joie d’un écrivain qui s’accouche et couche son amour de l’écriture au cœur des pages, comme un baiser au creux du bras grassouillet d’un nouveau-né.
Ma pierre d’affection, si elle définit, selon Le Littré, « une pierre curieuse et plus particulièrement un diamant de couleurs vives et riches », est le nom léger et lourd à la fois que Marlène a donné à son beau premier né.
*Ma pierre d’affection, de Marlène Mathalie. Éditions Société des Écrivains, Québec, Canada.
Invitée #30. Évelyne Dress.
J’ai croisé Évelyne Dress dans nos vies antérieures. Elle était comédienne, s’apprêtait à réaliser un joyeux long-métrage, Pas d’amour sans amour (1993 – avec une impressionnante flopée d’acteurs) et possédait déjà cette énergie incroyable, cette curiosité sans fin, cette envie de bouger les murs pour agrandir le monde. Je l’ai retrouvée au Salon du Livre de Limoges, en écrivaine* cette fois, telle qu’en elle-même, énergique, drôle, disponible, faisant le bonheur de ses très nombreuses lectrices. Alors je n’ai pu m’empêcher de l’inviter nous présenter l’un des livres les plus importants pour elle. Le voici.
Mademoiselle de la Ferté**, de Pierre Benoit (1886 – 1962) a été mon premier choc littéraire.
Papa m’avait acheté le livre en solde à La Mure, un bourg situé à soixante kilomètres de Grenoble et à trente de Petichet, un hameau où nous passions nos vacances d’été. Notre maison, un corps de ferme, avait abrité mes grands-parents pendant la dernière guerre et pour eux, Petichet était un petit bout de la Terre Promise. Pour moi, aussi.
J’avais à peine dix ans et j’étais amoureuse de Jacques, dix-sept ans, fils unique d’un médecin de Grenoble. Comme nous, il passait ses vacances d’été à Petichet. Suivi de Joram, son épagneul roux, chaque matin, il empruntait le chemin qui menait à la ferme voisine de la nôtre. Tapie dans l’ombre d’un tilleul, je le guettais. Sa silhouette, longue, souple, qui ondulait, faisait battre mon cœur. Quel ne fut pas mon trouble, lorsque lisant le roman de Pierre Benoit, je découvris que Mademoiselle de La Ferté avait elle aussi son Jacques ! Jacques de Saint-Selve ! Et qu’elle le suivait de loin lorsqu’il sillonnait la campagne avec Pyrame, son épagneul roux ! Tout y était : le prénom, la campagne, l’épagneul, la mésalliance entre les deux maisons, car je n’étais que la fille d’un tailleur sur mesure ! Impatiente de savoir si à un siècle d’intervalle – Mademoiselle de la Ferté étant née en 1860 – le destin me réserverait le même sort, je dévorai le roman.
Aujourd’hui, je repense à ce beau texte avec nostalgie.
L’histoire : Mademoiselle de la Ferté est amoureuse de Jacques de Saint-Selve et réciproquement. Contrariés par l’éventualité d’une union, les parents de ce dernier l’envoient redorer leur fortune à Haïti. Jacques promet de revenir au bout d’un an pour épouser Anne, mais il se marie avec Galswinthe, une jeune et jolie Créole anglaise. À partir de là, Anne se résigne à vivre en célibataire sur son domaine de la Croust. Lors de son voyage de retour en France, Jacques succombe à une insolation. Devenue veuve, la gentille Galswinthe vient s’installer à La Pelouse, la demeure familiale de Jacques, proche de La Croust. Anne et Galswinthe se rencontrent et les deux femmes nouent, alors, une amitié mystérieuse. Bien qu’elle lui ait dérobé son amour, Anne se dévoue corps et âme à Galswinthe qui a contracté une maladie pulmonaire. Anne a-t-elle pardonné à Galswinthe de lui avoir pris Jacques ? Ou bien met-elle en place une féroce vengeance ?
Pierre Benoit dessine le portrait de ces deux rivales.
Extrait : « Anne voulut se rendre compte. Elle prit entre ses mains la mince jambe, à peine déformée, la serra avec plus de force qu’il n’eût convenu, peut-être. En même temps, elle regardait Galswinthe. La jeune femme pâlit un peu, mais sans cesser de sourire.
– Vous souffrez ? demanda Anne
– Je souffre, il est vrai, dit Galswinthe. Mais il me semble que vous me faites du bien. »
Mon avis : Je recommande ce roman bucolique et diabolique, machiavélique même, à qui aime les vraies histoires. Pierre Benoit y explore des sentiments indémodables, tels l’amour, la haine, la jalousie, la vengeance.
* Le Rendez-vous de Rangoon, Les Tournesols de Jérusalem et, le nouveau Les chemins de Garwolin, Prix du roman Aumale 2016. Évelyne Dress, éditions Glyphe. http://evelyne-dress.com
**Mademoiselle de la Ferté, de Pierre Benoit (1923). Éditions Albin Michel (ré-édition 2012) avec une préface d’Eric-Emmanuel Schmitt.
Ceux qui restent.
Impossible de quitter Québec sans avoir lu un auteur (une auteure comme on dit ici) importante et épatante. Marie Laberge (qui aime à écrire au bord de l’eau, sur « sa berge », comme elle le précise parfois). J’ai dévoré son magnifique et triste Ceux qui restent, le roman d’un disparu, Sylvain Côme, suicidé en avril 2000, envolé quand le printemps éclos, sans raison, sans explication, sans rien d’autre que le silence derrière lui pour adieu à ceux qui restent et qui témoignent tour à tour leur vide, leur sidération, leur amour, leur chagrin, leur incompréhension et même leur désir encore de lui ; écoutez Charlène, derrière le comptoir de son bar, Charlène sa maîtresse, parler de sexe avec lui, d’amour et de faim. Ceux qui restent est un roman d’atmosphère, de poussières et de lumières, une danse de particules de vie quand une vie s’efface ; un roman lancinant illuminé d’une langue tourbillonnante ; un roman d’hommes et de femmes rares comme on en rencontre tant ici, à Québec.
*Ceux qui restent, de Marie Laberge, au Canada aux Editions Québec Atlantique et en France aux Editions Stock.
Ils ne vécurent pas heureux et n’eurent pas d’enfants.
Il y a un côté Beaujolais Nouveau chez Amélie Nothomb (bien qu’elle préfère, et de loin, les nectars champenois). Chaque rentrée nous offre sa nouvelle cuvée et je confesse y avoir irrégulièrement goûté ces derniers vingt-cinq ans – son premier cru remonte à 1992 et son surprenant Hygiène de l’assassin –, attiré par des tanins plus puissants. La perspective de revoir Amélie au Salon du livre de Québec, et d’y débattre avec elle, m’a donné envie de savourer son dernier livre, Riquet à la houppe, une nouvelle version du conte de ce bien pervers Charles Perrault.
Évidemment, ce n’est pas du côté de l’histoire qu’il faut attendre une surprise, on la connaît depuis l’enfance l’histoire : il est vilain mais intelligent, elle est jolie mais bête, et ils vont s’aimer (la perversion perraultienne), mais dans l’écriture nothombienne qui papillonne comme des enfants dans un jardin, et se délecte de nous faire une bonne farce.
Et surtout, c’est dans l’épilogue que se trouve la vraie malice du propos, lorsqu’Amélie confesse avoir lu La Comédie humaine de Balzac en entier, 147 ouvrages, et y analyse le rapport littérature/histoires d’amour : six pour cent des histoires d’amour balzaciennes se terminent bien. Seulement. Chouette. Car il n’y a rien de plus désespérant parfois que cette phrase : Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.
*Riquet à la houppe, d’Amélie Nothomb. Éditions Albin Michel. En librairie depuis le 16 août 2016.