Archive | août, 2023

Une histoire proche.

Revoici l’ami Frank avec son 108ème livre (si mes calculs sont bons), Une île lointaine*, à classer probablement dans ses textes « jeunesse », mais comme nous avons tous conservé une part d’enfance, faute de quoi nous serions de bien piètres adultes, il s’adresse finalement à chacun de nous. 
L’histoire est simple. Valentin a quinze ans, cette année-là, Apollon, son chien, un drahthaar de 91 ans — en âge humain — et Papy, son grand-père de 13,5 ans — en âge canin— vont mourir. 
L’adolescent appréhende pour la première fois l’éphémérité et la finitude de la vie et là où excelle le talent de Frank c’est que, loin de nous tirer quelques larmes ou de se complaire dans une philosophie niaiseuse, il nous emmène dans la joie. La joie d’avoir vécu, d’avoir connu, d’avoir été. Et c’est là toute la beauté de cette histoire, la même beauté en leurs temps que The Champ, le film de King Vidor, ou Stewball, la ballade américaine : quelque chose qui rend absolument humaine et lumineuse l’obscurité.

*Une île lointaine, de Frank Andriat. Chez Ker Éditions, collection Double Jeu. En librairie le 13 septembre 2023.

Trois solitudes puissantes.

Un été dans la Poche (5/5). On pourra ne pas du tout être d’accord avec l’attitude de la grand-mère du livre* (dont je ne peux rien dire sous peine de spoiler l’intrigue), mais on s’accordera tous à dire que Constance Rivière a écrit là un très délicat second roman – même si, comme cela semble être de plus en plus « à la mode » et au vu de sa note très personnelle en fin de livre, on peut soupçonner que le réel bouscule ici la fiction. 
Voici donc La maison des solitudes, une histoire de maison et de trois femmes puissantes, grand-mère, mère et fille, unies et désunies par un même drame qui trouve son épilogue tragique alors que meurt la grand-mère à l’hôpital dans ce qui semble être la première vague de la Grande Pandémie, soit au printemps 2020. La narratrice, sa petite-fille, l’y rejoint et, après mille difficultés pour parvenir à son chevet (souvenez-vous qu’il était alors interdit de voir nos morts, de les enterrer), arrive à lui parler enfin ; une discussion à sens unique, forcément bouleversante. 
Outre l’histoire mélancolique et cruelle, c’est l’écriture de Constance qui s’impose. Elle est belle, inventive, légère et grave, finit par s’insinuer en nous, comme une musique — le piano d’Anouar Brahem, par exemple. Et c’est là toute la force d’un livre ; continuer à nous habiter.

*La maison des solitudes, de Constance Rivière. Au Livre de Poche depuis le 1er mars 2023.

Anatomie d’un roman.

Un été dans la Poche (4/5). Voici le second roman* de l’américaine Virginia Reeves, fort attendu après l’excellent Un travail comme un autre (2016) qui évoquait l’arrivée de l’électricité dans l’immense Alabama au début du siècle dernier, la fin d’un monde, l’épuisement de la terre.
Cette fois, c’est dans une autre immensité qu’elle nous transporte. Le mariage. Celui d’Ed et de Laura. Mariage d’amour. Lui psychiatre, elle peintre. Les voilà qui s’installent dans le Montana où il prend la direction d’un hôpital (psychiatrique).
Mais voici que la pire des invitées s’installe dans le couple. La jalousie. La sournoise, la lente, l’empoisonneuse. Et il n’en faut pas plus à Reeves pour nous autopsier tout cela de main de maître, dans un style certes ultra classique mais ô combien efficace où, touche après touche, la mâchoire de la défaite du couple se referme, broyant les rêves, les chairs et même les rédemptions possibles. Enfin un grand roman américain sans niaiseries ni happy end. Espérons simplement que les Moms for Liberty ne viendront pas tout censurer…

*Anatomie d’un mariage, de Virginia Reeves, traduit en français par Carine Chichereau. Au Livre de Poche depuis le 31 mai 2023.

Bref rapport sur le rapport chinois.

Un été dans la Poche (3/5). Selon le bon vieux Larousse, hilarant se définit ainsi : Qui provoque des éclats de rire. Voici donc un livre qui a déclenché des éclats de rire chez au moins un journaliste du Monde, et je suppose qu’il a dû rire du même rire qui éclatait parfois avec les films de Jean Yanne car il y a assurément du Jean Yanne chez Pierre Darkanian : le Yanne de Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, voire Les Chinois à Paris. Le rapport chinois* est un bon gros premier roman, plus absurde qu’hilarant, puisqu’il raconte la vie d’un certain Tugdual Laugier recruté à prix d’or par un bien curieux cabinet de conseil où il ne croise jamais personne sauf un hurluberlu, et qui se voit, après trois ans d’inactivité totale, chargé de rédiger un rapport pour un fumeux client chinois, rapport dans lequel il explique sur 1084 pages que pour accroître davantage l’économie chinoise, celle-ci doit réinventer la baguette en France en s’appuyant sur ces trois piliers : faire aussi bon, beaucoup moins cher et en vendre beaucoup plus. Fumisterie ? Génie ? Satire du monde le finance ? Le rapport divise. Mais là où l’on retrouve ce bon vieux Jean, c’est dans l’art consommé de la dérision de Darkanian, son côté Kafka chez Les Pieds Nickelés ou Wodehouse chez Louis de Funès et, sans éclater de rire, ce roman fort réjouissant vous fera sourire plus d’une fois — sourire, activité grandement indispensable en cet été pas drôle pour un sou.

*Le Rapport Chinois, de Pierre Darkanian. Au Livre de Poche depuis le 3 mai 2023.

Lorraine Fouchet.

Dernier livre paru : Jamais là par hasard, Héloïse d’Ormesson (2023). Travaille son prochain roman qui devrait paraître en mars 2024 et avoir pour titre: L’Écriture est une île.