Journée noire prévue demain, jeudi 18 septembre, en France, avec des grèves d’intérêts personnels, journée au calme idéale pour lire ce formidable petit texte de l’immense Octave Mirbeau, La grève des électeurs*, la seule grève qu’il conviendrait de faire pour faire changer les choses. Le reste n’étant que gesticulations. Goûtez plutôt : « Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins, ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera » (page 15).
*La grève des électeurs, de Octave Mirbeau. Éditions L’Herne, collection Carnets. En librairie depuis le 5 mars 2014, dans cette édition. (Merci à l’ami Yves pour cette découverte).
Voici un livre* rondement mené, écriture gracieuse, efficace, fluide, avec ici et là quelques pépites, comme, page 158 : « (…) je suis reparti vers la gare avec la voix d’Anaïs qui me ramenait à nous tandis que je m’éloignais d’elle », ou, page 184 : « (…) l’écriture est une maladie qui est son seul remède ». Didier, jeune écrivain talentueux, se voit retourner par Gallimard son manuscrit refusé, mais voici que chez l’éditeur quelqu’un s’est trompé, et lui renvoie le manuscrit d’une autre. Il le lit. Se trouble au contact de cette histoire. Fantasme un peu sur son héroïne et, conséquemment, son auteure. Décide alors de traverser la France à bord de sa vieille Cox pour le lui rendre. Et là, sur place, il tombe dans le livre. Comprend tout. Le mari. La souffrance. Le meurtre à venir. Mais chut, n’en dévoilons pas davantage, la découverte est jouissive. Au-delà de l’histoire épatante de cette Impasse des rêves, on découvre les débuts du jeune van Cauwelaert, sa furieuse envie d’écriture depuis ses 8 ans, jusqu’au triomphe de son Goncourt à 34 ans, jusqu’à cette histoire vieille de quarante-trois ans qu’il s’était interdit de raconter jusqu’ici et qui vaut sa brillante découverte.
*L’impasse des rêves, de Didier van Cauwelaert, aux éditions Albin Michel. En librairie depuis le 10 septembre 2015.
Jean-Noël Pancrazi, styliste, orfèvre en la matière des mots, nous en « dentellise » merveilleusement* une floppée pour nous présenter sa sœur Isabelle, sa beauté, son chagrin. Isabelle meurt, le cancer la dévore. Isabelle rit et retient son frère de tomber dans la boue de la mélancolie et d’un curieux mal. Isabelle est immortelle à chaque page. C’est cette balade de deux épuisés, le frère et la sœur, de deux enfances algériennes, que nous tisse Jean-Noël, comme on regarde un vieil album de photographies et que l’on se souvient des tempêtes et des miracles, des aubes de lumières et des nuits de cendres. Il y a dans cet envoûtant Quand s’arrêtent les larmes une douceur crue, une violente pudeur à révéler ces liens fraternels, ces invisibles qui soutiennent l’autre en sachant que l’abîme à chaque pas s’agrandit. Et dévore. Et, même si c’est en évoquant le personnage de Driss — mais on devine qu’il est aussi le jumeau de l’auteur —, Jean-Noël écrit, page 110 : « Tout, pour lui, avait un cœur, les murs, le ciel, les gens, la terre, la nuit ». C’est son cœur et celui d’Isabelle qu’il nous confie désormais.
*Quand s’arrêtent les larmes, de Jean-Noël Pancrazi, aux éditions Gallimard. En librairie depuis le 13 mars 2025.
C’est la der des der. Après des mois sur les routes à votre rencontre en compagnie de mon frère, c’est avec mon grand ami Marc Trévidic que je vous retrouverai une dernière fois cette année, et pour longtemps, dans le magnifique Chateau de Montaigne, à Saint-Michel de Montaigne. Nous vous parlerons, Marc de son (formidable) prochain livre, et moi du dernier.
Et voici que la toujours très élégante plume d’Éric Fottorino* se déploie pour nous brosser le portrait d’une attachante attachée de presse qui carbure au très bon champagne et se parfume aux très jolis mots, d’un jeune écrivain dont elle est folle du premier roman et d’un vieil écrivain algérien, menacé de mort, brillant et épuisé. Fottorino nous raconte ces Gens sensibles avec une délicatesse rare. Une authentique amitié. Tisse un parallèle poétique entre le début et la fin, l’éclosion et la flétrissure, le premier et le dernier livre. Il nous parle littérature, bien sûr, et nous en offre l’une des plus belles phrases qu’il m’ait été donné de lire : « J’aurais ajouté que tous mes romans, je les avais traduits du silence » (page 144). Respect.
*Des gens sensibles, d’Éric Fottorino. Aux éditions Gallimard. En librairie depuis le 6 mars 2025.
Un livre de poésie est une minuscule île que l’on pose près de son lit ou sur une sur table et sur laquelle l’on s’évade de temps à autre ; un lieu où les mots assemblés racontent autrement le monde, où parlent les arbres parfois, où l’eau charrie bien autre chose que du bois flotté, du plastique, quelques chagrins et où l’immensité tient dans la main et le cœur recouvre l’infini. Un livre de poésie est un risque magnifique, celui de raconter un orage différemment ; un simple mouvement ; il est une remise au centre du monde des mots, de leur ordonnancement afin de désigner nos richesses humaines insoupçonnées, délicates et précieuses, loin des vulgaires et pornographiques, et c’est ce risque de beauté grave qu’a pris Christine Guinard dans son huitième recueil — qu’avons-nous dit qu’il fallait taire ? écrit-elle au coin d’un texte — et qu’elle est parvenue à aborder pour la rendre terriblement vivante.
*Vous étiez un monde, de Christine Guinard. Éditions Gallimard. En librairie depuis le 10 octobre 2023.
Il y a des livres que l’on rêve d’aimer, que l’on ouvre avec une immense espérance — ce fut le cas de celui-ci*. À peine entre mes mains, j’en lus aussitôt les formidables deux premières pages puis le refermai, faute de temps, et surtout en me disant que je le savourerai plus tard. Au calme. Dans le bonheur des mots. Mais voilà. Outre ses fantastiques pages 11 et 12, son écriture virevoltante et souvent habile, Célèbre est le bien trop long bavardage d’une certaine Cléo Louvent qui nous raconte comment elle voulait et est devenue une chanteuse célèbre. Elle nous déroule tous les clichés possibles et inimaginables pour se transformer en une sorte de produit à la Beyoncé ou à la Swift, célébrité confondante, brillance de surface, peau de paillettes et cheveux de vent, loin, bien loin des célébrités enracinées d’une Dalida, d’une Piaf, ou encore d’une Françoise Hardy ; on est ici dans le leurre de l’époque, dans le pathétique, la vanité, la vulgarité. (J’ai essayé d’y lire entre les lignes l’histoire de l’avènement de Maud Ventura elle-même en écrivain célèbre suite au succès de son épatant premier roman, Mon mari, mais je crois que c’est une impasse : on n’écrit pas des livres sincères pour être célèbre). « Les pires moments de mon parcours, les moments les plus sombres, ce sont lorsque la célébrité et ses excès sont entrés dans ma vie », dit l’actrice Angelina Jolie. Aussi, à celles et ceux qui chercheraient une lecture sur ce thème fascinant de la célébrité, au sens de réussite sociale, d’élévation, de statut et de chute, forcément, je ne pourrais que conseiller la (re)lecture de l’époustouflant Chez les heureux du monde** d’Edith Wharton. Une immense et magnifique claque littéraire.
*Célèbre, de Maud Ventura, aux éditions L’Iconoclaste. En librairie depuis le 22 août 2024. **Chez les heureux du monde, de Edith Wharton, aux éditions Plon-Nourrit, 1908, régulièrement réédité depuis.