Polaroids du frère, aux éditions Albin Michel, en librairie le 30 avril 2025.
Archive | Bouquins.
N’écoutez pas toujours les quatrièmes de couverture.

Ce roman* peut se lire comme une comédie noire, précise la quatrième de couverture, ou un drame burlesque. Ou les deux à la fois. Je n’y ai lu ni l’un ni l’autre. J’y ai retrouvé avec plaisir la plume si personnelle de Dubois, celle de Vous plaisantez, monsieur Tanner et de La Succession, toujours ces histoires de famille, ces engluements, cette puissante désespérance persillée d’humour, d’esprit plutôt — ce genre de situation qui fit dire, dans d’autres circonstances, à l’auteur Jean-Louis Fournier : « Il est drôle dehors et triste dedans ». Ainsi est aussi Dubois.
Et il est là, pour moi, le lieu de ce nouveau roman qui met en scène un fils qui vient de tuer de deux balles dans le crâne son père déjà mort et que la justice condamne à un an de soins auprès d’un psy hypocondriaque. Ce sont ces séances que nous suivons, mois après mois ; ces retrouvailles avec l’origine des larmes, du mal de vivre, de la mélancolie sourde, rampante, anesthésiante et finalement assassine.
Alors comédie noire ou drame burlesque, non. Mais un sacré roman sur la chute d’un fils, oui. Sur le triomphe sordide des pères, oui. Sur la fin du pardon, oui. Et ça, ce n’est pas rien.
*L’origine des larmes, de Jean-Paul Dubois, aux éditions de l’Olivier. En librairie depuis le 15 mars 2024.
Pierre Vavasseur, orfèvre à Paris.

Un très beau recueil de poésie*, c’est comme un coffret à bijoux. C’est petit dehors, immense dedans. C’est. précieux et précis à la fois.
On y trouve des choses des plus simples — mais qui ont aussi, comme les plus travaillées, le don d’embellir le monde et ceux qui les portent — aux plus rares, qui, soudain, changent la géographie d’un poignet, la danse de quelques doigts, l’élégance d’un cou.
On y découvre également des pierres précieuses, uniques, des brillants, disait l’employée de maison de mon arrière-grand-mère, dont l’éclat irradie les ombres des hommes et en révèle toutes les fragilités, l’immense essentialité, car le poète orfèvre qu’est l’ami Pierre le sait : il n’est de pierre, de ronce ou de larme sous lesquels ne se niche pas une lumière.
Ainsi celles-ci, glanés au hasard des pages de ce brillant recueil, et qui font de l’autre et du monde un bel endroit :
Rien ne pénètre mieux mes lèvres
Que les mots que tu me dis
*
Je ne suis plus un homme mais un homme
Rassemblé dans son chant
*
L’après-midi passe sous un grand linge blanc
*
Tu étais mains ouvertes
Endormie
Tu me regardais de tes mains
La nuit voyait si clair
*Paisible tourment, de Pierre Vavasseur, aux éditions Marie Romaine. En librairie le 23 avril 2025.
On aura tout vu.
Je viens de recevoir la bande-annonce du documentaire que me consacre Jean-René Chapron et j’avais juste envie de la partager avec vous. Alors voilà.
Surtout, ne jamais s’endormir.

Les enfants endormis du titre trompeur de ce remarquable premier livre* sont ces ados qui somnolent dans un petit village de l’arrière-pays niçois, à la fin des années 80. Et ce n’est pas la chaleur qui les accable. Ni un travail harassant. Mais cette putain d’héroïne qui serpente dans leurs veines, s’insinue dans leur cervelet et le grignote.
Parmi eux est Désiré, l’oncle de l’auteur qui tente avec ce texte « de le rendre à la lumière » (page 246).
Alors que dans son village, loin des bruits du monde, l’oncle sombre dans les épouvantes de la drogue une curieuse épidémie frappe principalement la communauté des homosexuels. En France et aux États-Unis, quelques chercheurs essaient de comprendre. Se tirent la bourre pour être les premiers à découvrir ce virus, élaborer un test — il y a un pognon de malade en jeu.
Aussi, quand on apprend que Désiré a le sida, c’est la sidération dans la famille. La honte dans le village. « Il n’est pas gay ; et non, mon fils n’est pas un drogué », précise sa mère.
Avec une pudeur et une efficacité époustouflantes, Anthony Passeron remonte l’histoire de sa famille et celle du sida, ici passionnante comme un thriller, pour ajouter une pierre essentielle à cette littérature qui est la dernière digue contre l’oubli. Chapeau.
*Les enfants endormis, de Anthony Passeron. Aux éditions Globe (2022), puis au Livre de Poche (2024). Prix Wepler.
Sept à lire (3).

Donc, après trois tomes, soit environ 2250 pages lues, la mécanique de Lucinda Riley est bien huilée et se répète. Je rappelle le sujet de la saga aux 20 millions de lectrices (et un lecteur) : un homme (beau, riche, tout) qui a adopté sept filles meurt (mystérieusement quand même, on sent qu’il pourrait revenir) et laisse à chacune de ses adoptées des indices sur leurs origines.
Ainsi les sept filles qui portent le nom de celles du géant Atlas et de Pleione (Maia, Alycone, Astérope, Célaéno, Taygète, Électra et Mérope) font leur Retour vers le futur. Dans chacun des trois premiers tomes (je vous dirai pour les suivants), il y a un livre dans le livre, c’est-à-dire 350 pages environ sur les 750, où nous sont racontées les vies de l’arrière-grand-mère, du pépé, de l’amant (toujours impérialement chaste), du mari (encore plus chaste que l’amant), des enfants (des uns et des autres), jusqu’à la mère possible de la petite adoptée, et c’est cette mécanique qui commence à m’escagasser un peu, d’autant que cette fois-ci, il est question d’une bâtarde du roi d’Angleterre, enfant abandonné, sourd, Béatrix Potter, et pourquoi pas Enid Blyton ? — du lourd, du très lourd. Autre souci, une lectrice m’indique que le tome 4 n’est pas très bien mais que le 5 l’est. Donc, lire le 4 ou ne pas le lire ? Telle est la question. (En tout cas, la réponse se fera un peu attendre).
*Les sept sœurs, tome 3, La sœur de l’ombre, de Lucinda Riley, au Livre de Poche depuis juin 2020.
La joie, nf.
Le petit Robert dit d’elle qu’elle est une émotion agréable, un sentiment exaltant ressenti par toute la conscience. On parle alors de joie intense.
La petite Lorraine est plus précise.
Elle raconte d’elle qu’elle est l’art de s’écouter, de sortir de sentiers battus et fournit comme exemple quatre voyageurs qui quittent leur train à une autre gare que celle prévue.
Elle précise qu’elle est cette capacité de s’ouvrir à l’autre, mais aussi de le laisser entrer en nous.
Elle affirme qu’on n’est complet qu’ensemble parce que c’est la seule façon de transformer l’ombre en lumière et les chagrins en espérances.
Elle se hasarde à prétendre qu’elle est aussi un lieu, et de préférence une île — elle cite Groix où elle vit, mais on peut tout aussi bien imaginer Les Marquises, Sainte-Lucie ou Santorin. Et pour ce faire, elle nous donne, à titre d’exemple, ces quatre voyageurs (ainsi qu’un chien au nom joyeux de Crépaleuf), qui y accostent et y découvrent en eux quelque chose de plus grand qu’eux, dans l’esprit de ces voyages qui vous changent à jamais et font de vous une destination.
Quant à moi, je la définirais comme l’action de prendre le dernier livre* de Lorraine Fouchet et de s’installer confortablement, de préférence au jardin, dans les premières tiédeurs printanières, peut-être de s’accompagner d’un verre de bon vin ou d’un thé vert (si c’est le matin), et de prendre cet aller simple et irréversible pour la joie.

*Aller simple pour la joie, de Lorraine Fouchet, aux éditions Héloïse d’Ormesson. En librairie le 3 avril 2025. Dédicace ce jour-là à partir de 18 heures à la librairie Gallimard, 15 boulevard Raspail, Paris 7.
Sous le licol de Pancol.

Ne fréquentant pas les réseaux sociaux, je n’en ai pas les codes — comme disait l’une de nos impayables députées et par là même acquittant mon ignorance —, aussi fus-je attiré par cette compilation de posts Insta et FB* de Katherine Pancol, d’autant qu’elle y commente les deux séjours qu’elle fit à Manhattan en 2024.
La première chose frappante, c’est le style. Ne pas en avoir, surtout. Écrire comme on gouaille, comme on clopine, comme on renifle. Avoir du style mettrait de la distance, or il faut être à la place du follower pour qu’il puisse se mette à la vôtre. La deuxième, c’est la proximité. Toujours faire des clins d’œil, truffer son texte d’allusions friendly, de blagounettes, raconter qu’on rencontre des lectrices dans un café new-yorkais et qu’on répond aux messages. Donner de l’espoir, des adresses, des bons plans. La troisième, c’est la vitesse. Écrire, écrire, écrire — ou pondre, pondre, pondre. Occuper le terrain. Ne pas se relire sinon on s’apercevrait qu’on a pondu (page 120-121) : (…) mon amie Patricia, moitié suédoise, moitié française, moitié américaine, et que trois moitiés, pour faire un tout, ce n’est pas de la tarte. La quatrième, c’est penser que tout ce qu’on mange vaut une photo, tout ce qu’on regarde une photo, tout ce qu’on achète un commentaire et une photo et tout ce qu’on écrit, un livre. La cinquième, c’est rappeler qui on est. Distiller au moins quatre fois l’adresse de son site dans le livre. Mettre dans la confidence, parler de son prochain roman, en livrer des secrets — comme le prénom de l’héroïne (Sophie), une particularité (un grand nez) mais rien sur l’intrigue, surtout. La sixième enfin, susciter la compassion. Dire à quel point il est difficile de faire un livre, mais que pour vous, on se dépassera, se surpassera même, parce qu’on vous aime beaucoup, beaucoup.
Au regard de tout cela, et malgré que j’aime beaucoup, beaucoup Katherine, je crois, décidément, que ces réseaux sociaux ne sont pas pour moi.
*Sous les platanes de Manhattan, de Katherine Pancol, illustrations de Julia Gash, aux éditions Albin Michel. En librairie depuis le 4 novembre 2024.