Rapidement, en passant, pour vous dire que les 750 pages du Tome 2* de la série des Sept soeurs de Lucinda Riley est encore plus addictif que le premier (même s’il y a un peu de patouille vers la fin, histoire que j’aie quelque chose à critiquer). Donc, comme pour le premier, si vous aimez la romance d’aujourd’hui qui vous permet de vous éloigner des types qui saluent bizarrement dans le poste de télévision, des autres tartinés d’auto-bronzant orange et de toutes ces saloperies ambiantes, allez-y.
Ce n’est pas moi qui le dit, mais sa fille (page 135*) ; sa fille qui prend la plume pour essayer de comprendre pourquoi son pigeon voyageur de père l’a quittée lorsqu’elle avait sept ans, les a tous quittés, sa mère et ses quatre sœurs, sans un mot, sans un claquement de porte, comme un voleur qui n’emporte rien que les cœurs de celles qui l’aimaient et les abandonnent dans le bas-côté de sa vie. Après son formidable récit sur son fils**, Francine Ruel s’attaque au totem du père, « qui ressemble à s’y méprendre à l’acteur Clark Gable » (page 24) et elle le fait à l’âge où l’on aurait davantage envie de parler de soi — j’ai soixante-quinze ans, écrit-elle —, et la délicatesse inouïe de son texte vient de ce qu’elle a justement gardé son âme de petite fille, son regard d’enfant perdue dans l’absence du père. On apprendra simplement que sa mère a demandé à son père de choisir entre « nous et toutes les autres » et qu’il a choisi. Mon père est un pigeon voyageur est le beau message d’amour que Francine accroche à la patte de son père, de tous les pères, pour leur rappeler de quel amour ils sont les gardiens. Et de quelles tragédies parfois les coupables.
Alors que tant de mots inondent le monde, des mots d’épines, de haine, d’injures et de mépris qui écorchent et griffent et mutilent ce qui fait la grâce d’être des êtres humains, il est impérieux, ai-je envie de croire, de se plonger dans le silence, d’écouter d’autres sons, comme celui d’un cœur qui bat, d’une impatience, d’un chagrin, d’un effroi, d’entendre celui d’un voyage, d’un exil, de la perte, d’une naissance — de tout ce qui nous unit et nous réunit un jour. Là où vont nos pères* est l’immense livre de ces tumultes muets et de tous nos voyages. Pour une heure oublions X, Instagram, TikTok et laissons le silence nous faire écouter notre propre cœur.
*Là où vont nos pères, de Shaun Tan, aux éditions Dargaud. En librairie depuis le 1er mars 2007. Prix du meilleur album, Fauve d’or Angoulême 2008.
Voilà ce qu’écrit Magda Hollander-Lafon à la page 26 de son magnifique Quatre petits bouts de pain*, un livre comme un livret, comme un chant d’amour à la joie, un hymne à la vie. Et quelle vie. Magda a seize ans quand elle est embrigadée en 1944 à Auschwitz-Birkenau au prétexte de sa judéité hongroise — ils seront d’ailleurs 437.000 de sa communauté à y être déportés en 46 jours, et plus de 350.000 d’entre eux y seront assassinés dès leur arrivée. L’année suivante, avec quatre camarades Hongroises, lors d’un transfert dans un autre camp, elle parvient à s’échapper, se cacher dans un bois. Et six jours plus tard, quand passe un tank américain, c’est la fin et le début à la fois. C’est la renaissance, longue, lente, douloureuse et lumineuse. Le réenfantement, comme elle la nomme. Il a fallu plus de trente ans de silence à Magda pour oser enfin le déchirer avec sa plume ; oser faire ce pour quoi elle est restée en vie : témoigner. Et elle le fait magnifiquement, au travers de textes très courts, d’un réalisme et d’une poésie sublimes. Elle le fait sans colère, et c’est ce qui m’a le plus bouleversé. Elle le fait avec amour et j’ai envie d’y mettre un grand A. Elle le fait comme une femme donne la vie. À elle-même puis au monde entier. Avec Amour. Magda est décédée l’an dernier à l’âge de 95 ans mais sa voix merveilleuse chantera et dansera toujours désormais.
Sacré Jussi. Voici qu’après treize ans et neuf enquêtes du formidable Département V, il fait de son héros flic, le célèbre Carl Mørck l’ennemi numéro 1 et l’emprisonne dans une cellule de fort petite taille* sise dans une prison peu reluisante. Ce qu’on pourrait comparer à l’histoire de l’arroseur arrosé. Pendant les seize jours que dure cette affaire, on va passer du chaud au froid, de la gravité à quelques traits d’humour, de surprise en surprise, de trahison en lâchetés, bref, savourer une fois encore tous les ingrédients magnifiquement dosés qui font l’immense succès d’Adler Olsen et m’épatent depuis tant d’années. 7m2 est présenté comme « l’apothéose », c’est-à-dire la dernière partie, de la saga. Un final éblouissant (et quelques dernières lignes poétiques) qui donne envie, à qui aime les très grands thrillers, de la relire entièrement en ces longues soirées d’hiver.
*7m2, La dixième enquête du Département V, de Jussi Adler Olsen chez Albin Michel. En librairie depuis le 15 mai 2024.
Cet été, lors d’une signature avec le Camion qui livredu Livre de Poche, je m’aperçus que de nombreuses lectrices se ruaient sur les romans de Lucinda Riley, et notamment sa saga des Sept sœurs. Je me renseignai et appris qu’elle en avait vendu plus de vingt millions d’exemplaires (ce qui fait rêver l’auteur et le fisc). Aussi, je ne pus m’empêcher de vouloir y voir de plus près et lus le premier tome, Maia**. En Suisse, un homme très riche et un brin mystérieux meurt. Il avait adopté six filles, six sœurs donc — la septième n’ayant jamais été trouvée (je ne spoile rien, c’est écrit page 11) — et laisse à chacune un testament dans lequel il dévoile (en tout cas à Maia) des indices lui permettant de comprendre son histoire et retrouver ses origines. Voilà donc Maia partie en Amérique du Sud à la recherche de son passé et de sa famille originelle. Oui, il y a des bons sentiments à la pelle, de l’amour courtois et pudique, des réconciliations et des larmes, des hommes toujours assez beaux, des femmes toujours très belles ; on est chez Minnelli, chez Lean, dans le roman(tique) talentueux, avec du souffle, de l’allure et surtout, une formidable efficacité. Pendant la lecture (longuette je le confesse, 660 pages — et ce n’est que le premier des sept tomes), je n’ai pensé à rien d’autre. Ni à la débile violence de nos députés ni au retour outre-Atlantique de l’homme à la peau orange, et je comprends que vingt millions de personnes aient envie de s’évader de ce monde hyper moche pour se repaître d’un peu de tendresse humaine, et, vu la façon dont tournent les choses, je vous jure que je vais lire toute la saga. (Pour la petite histoire, Lucinda Riley est décédée à 56 ans et ça, c’est vraiment nul).
*Je ne suis pas très jeux de mots, mais cette fois ci, c’était tentant. **Les sept sœurs, Tome 1, Maia, de Lucinda Riley. Publié chez Charleston en 2015 et au Livre de Poche en juin 2020.
Francine Ruel est une auteure québécoise qui écrit depuis plus de quarante ans, c’est dire qu’elle a tamisé son écriture pour n’en garder que le meilleur. Dans Anna et l’enfant-vieillard (qui fut un énorme succès au Canada avec plus de 75.000 exemplaires vendus) c’est cette écriture, justement, qui nous sauve de l’enfer de son histoire : celle d’une maman qui assiste, impuissante, à la chute de son fils. Les pots, d’abord, à douze ans, puis toutes les drogues, tous les alcools, toutes les violences à soi-même, et qui finit par vivre dans la rue, la crasse et l’oubli du corps. Le talent de Francine ici est d’avoir trempé un peu de son écriture dans celle qu’elle utilise pour ses livres jeunesses afin d’offrir à cette histoire une immense douceur, déshabillée de la colère, dépiautée du pathos qui plombe souvent ce genre de récit. Voici donc le magnifique portrait d’une maman magnifique qui apprend à faire le deuil d’un fils vivant et par là, nous dévoile l’immensité de l’amour maternel.
*Anna et l’enfant-vieillard, de Francine Ruel. Aux éditions Libre Expression. En librairie depuis le 1erseptembre 2022.
De retour du salon du livre de Montréal avec une pépite, Mourir de froid, c’est beau, c’est long, c’est délicieux* qui raconte l’amour bouleversant entre Nathalie Plaat au sortir de l’adolescence et un jeune homme qui un jour disparaîtra en vélo ; un homme lumineux que les ténèbres d’une psychose éloigneront de la chair du monde. C’est poétique, troublant, beau, précieux, immense et magnifique, je trouve — un récit à ne lire qui si, comme son autrice, on est encore « beaucoup trop romantique pour l’époque » (page 179).