Archive | Bouquins.

Dites « amour ».

 

jacques KochJacques Koch a eu la belle idée de demander à des dizaines d’écrivains une définition de l’amour, et il les a toutes illustrées. Cela donne un puits de tendresse dans lequel il est bon de plonger de temps en temps. Et bientôt, comme d’une terre irriguée d’amour, de ce puits sortira en novembre un livre aux éditions Le Livre de Poche, sous le titre « L’amour, c’est… ».

D’une femme, l’autre.

Sebastien Berlendis.Dans un appartement où il a vécu huit ans plus tôt avec une femme, un homme fait l’amour avec une autre, et se souvient de l’autre. Nous sommes à Palerme, entre les incendies, la canicule, les peaux, les sexes, la mer, le mercure qui coule dans les veines. Nous sommes dans ces ambiances moites, animales – comme ces premières scènes époustouflantes de Soudain l’été dernier, le film brûlant de Mankiewicz avec les incandescents Clift et Taylor ; nous sommes dans l’errance et le souvenir, dans les choses passées, la bouche qui manque et se nourrit à une autre. L’homme qui marche dans Palerme, qui se raconte, n’a pas de poids, si peu de chair, il est une ombre au soleil, un effacement à lui-même, une déambulation. Revenir à Palerme* est un court et lancinant texte qui, de ce que j’ai ressenti entre ses lignes, rend hommage à ce cinéma des années soixante, ce cinéma de feu en noir et blanc, un peu comme si l’auteur avait pris quelques mètres de rushes de Visconti, Huston, Ford et de Sica, et en avait fait un court-métrage.

*Revenir à Palerme, 92 pages, de Sébastien Berlendis. Éditions Stock. En librairie depuis le 25 avril 2018.

 

Du qui fouette.

Frédéric Viguier

Voilà un texte comme on les aime. Un vrai roman noir. Comme Jack Vance avec son Méchant garçon. Comme Lionel Shriver avec Il faut qu’on parle de Kevin. Frédéric Viguier met ici en scène Yvan, un garçon immature (dit-on) très vite accusé du meurtre d’un enfant du quartier à cause des petites mensonges des uns et des autres, notamment de sa mère, principalement à propos d’une collection de boites de camemberts (ce qu’on appelle la tyrosémiophilie). S’ensuit la perverse fabrication d’un coupable, incapable de se défendre, obsédé qu’il est par l’envie de faire plaisir, d’obéir, jusqu’à se mentir à lui-même pour avoir la paix.
Aveu de faiblesses* est un court roman jubilatoire, formidablement écrit, qui nous file un tas de claques – la surprise, la colère, l’injustice, l’espérance – avant de nous asséner une monstrueuse baffe. Étourdissant.

*Aveu de faiblesses, de Frédéric Viguier. Albin Michel (2017), Le Livre de Poche (2018). Prix Charles Exbrayat 2017.

Dans l’hypothèse où vous seriez lucide sur vous-même, auriez-vous la lucidité de vous répondre honnêtement ?

Il y a de fort nombreuses années, pour le lancement d’un disque de Sade, une rédactrice publicitaire dont le talent m’impressionnait, avait écrit : « Le disque qui donne envie d’être seul quand on est deux et à deux quand on est seul ». Eh bien, c’est ce que j’aurais rêvé d’écrire pour ce formidable opuscule* de Max Frisch qui pose les questions dont les réponses remuent si on les ose. Voici donc le livre « qui donne envie d’être lu seul quand on est deux et à deux quand on est seul. »

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*Questionnaires, par Max Frisch, Éditions Cent Pages, coll. Cosaques, ici, édition de 2015. Très judicieusement traduit de l’allemand par Michèle et Jean Tailleur (©Gallimard, 1976). Merci à Maylis Lagarde pour cette pépite.

Même les galets ont pleuré.

Marc Magro

 

« Même les galets ont pleuré » devait être le titre de ce livre si un éditeur au cœur de pierre avait laissé la poésie triompher plutôt qu’un calcul marketing qui lui préférera ce Soigner* si dérisoire au regard de ce qui restera à jamais insoignable, inguérissable : la tragédie de la Promenade des Anglais à Nice, le 14 juillet 2016 – il y a deux ans. Marc Magro, médecin urgentiste à Nice et type foncièrement sympathique, raconte, avec la précision d’un laser, ces deux minutes trente qui changèrent à jamais la couleur des galets niçois, la folie d’un homme, le chagrin de mille autres. Il invite à la table de son livre ces soignants qui prirent en charge plus de 400 blessés, ramassèrent 86 corps et rentrèrent plus tard chez eux le cœur en miettes. Bien sûr, depuis les attentats de Paris, Toulouse, Montauban, Charlie et tant d’autres, les livres poussent tel du chiendent, comme si l’on craignait l’oubli. Mais nul ne peut oublier ce mal fait à notre humanité et Soigner rappelle à quel point elle est belle. À quel point elle est fragile.
Pour clore cette chronique, juste cette phrase (page 303), prononcée le 15 octobre 2016 lors de la journée d’hommage national par madame Pellegrini qui perdit six membres de sa famille dans l’attentat : En ce 14 juillet, vous vouliez seulement admirer le ciel et non pas le rejoindre…

*Soigner, sous la direction de Marc Magro. Éditions First. En librairie depuis le 1er juin 2017.

 

Un grand premier roman. (20,5 x 14 cm).

Sophie de BaereLa dérobée ; celle qui prend furtivement quelque chose à quelqu’un, celle qui soustrait, dissimule. La dérobée, c’est Claire, la narratrice qui voit s’installer, trente ans plus tard, son premier amour de jeunesse à l’étage du dessus.
Mais c’est aussi, la dérobée, toutes ces choses qui nous soustraient, nous volent, ce que nous avions de gracieux et de pur. C’est la voracité de certains adultes, cette dérobée. C’est la désillusion brouillardeuse du temps qui s’empare de nos rêves, nos chimères, et nous laisse dérobé à nous-même. La dérobée*, c’est un formidable et très maîtrisé premier roman que j’ai découvert, ainsi que son adorable auteur, au Salon du livre de Nice ; un de ces romans d’équilibriste, qui oscille entre la joie du sentiment amoureux et la noirceur de certains désirs ; un roman surprenant dont les parrains pourraient être La femme d’à côté, le film de Truffaut et Un fils parfait, le livre de Menegaux. Du beau, du grave – vous l’aurez deviné.
Alors, ne vous dérobez pas (facile, je sais), foncez dans votre librairie et achetez ce livre. Dérobez-le (facile, encore) si vous voulez, mais surtout, ne passez pas à côté. Ne vous privez pas d’un grand premier roman.

*La dérobée, de Sophie de Baere. Éditions Anne Carrière, publié sous la direction de Jean-Baptiste Gendarme. En librairie depuis le 13 avril 2018. Et un bijou en bonus : un extrait de sa lecture musicale au Salon du livre de Nice en juin dernier.

La nostalgie n’est plus ce qu’elle était.

Courtès 4.Avec La dernière photo* (comme il y avait La dernière séance) et comme dans Sur une majeure partie de la France**, son précédent livre, Franck Courtès nous emmène de nouveau au lieu d’avant. À sa vie d’avant. Car avant d’être un jeune écrivain, Franck était un vieux photographe. Il remonte le fil du temps de cette vie d’avant qui était mieux, où l’on prenait le temps justement, de humer la campagne avant d’en faire une image, le temps de connaître un homme avant de le portraiturer, le temps de prendre la pose, d’aimer ce que l’on faisait, le temps d’attendre que le bac à révélateur ait la dernière image – comme on a le dernier mot.
Franck écrit au passé simple ce passé perdu, avec, comme encre, cette mélancolie qui affleure, intarissable et grave. Les temps ont changé, le numérique est arrivé et avec lui la facilité, la vulgarité et la vitesse, et les hommes ont changé aussi : l’agent de Tom Hanks n’accorde qu’une minute pour faire un portrait de la star et la méchanceté de Joey Starr écœure ; il n’en fallut pas plus au photographe pour jeter ses instruments aux orties, tourner le dos à ce monde qui l’avait enrichi (dans toutes les acceptions) et surtout, avait rendu sa mère fière de lui. Le voici, à la fin du livre mais au début de sa nouvelle vie, dans une maison de campagne, près d’un poêle rougeoyant où il se lève à sept heures pour écrire des images avec des mots cette fois. Des lettres sombres sur du papier clair.
Du noir et blanc en somme, comme au bon vieux temps.

*La dernière photo, de Franck Courtès. Éditions Lattès. En librairie depuis le 11 avril 2018.
** Ed. Lattès, 2016.

Que devient-on après la violence ?

Gilquin 2Il est très difficile, semble-t-il de « survivre » après un premier livre (malheureusement) formidable sur son malheur. Ainsi Régine Salvat qui, après avoir raconté dans un livre étourdissant, la poignante odyssée de son fils 1 qui demandait à Sarkozy le droit de mourir, nous a offert, deux ans plus tard, un discret roman 2 de terroir et depuis, dommage, plus de nouvelles. Margaux Gilquin, elle, après avoir raconté dans Le dernier salaire 3 sa galère de quinqua en fin de droits, un texte urgent et grave, revient avec un roman-récit qui en est, me semble-t-il, la suite poétique, et annonce l’éclosion, certes encore timide, mais l’éclosion d’un écrivain. Dans Apprendre à danser sous la pluie 4, on la retrouve, après le succès de son récit, à la campagne sous les traits de Laura, dans ce temps qui s’étire et succède aux grands fracas, où elle se reconstruit lentement ; dans ce calme justement qui permet enfin d’affronter ses démons, comme la mort d’une sœur jumelle sur la RN7, un jour de juillet 1968 – à croire que c’est toujours l’innocence qui se fait emporter en premier. Margaux-Laura retrouve alors son passé au moment ou elle perdait son futur et découvre que le présent est le seul lieu de vie possible. Malgré quelques maladresses encore, notamment dans le récit de la reconstruction amoureuse (mais les coups qu’on prend n’abîment-ils pas aussi les mots pour le dire ?), Margaux Gilquin célèbre avec son premier roman le triomphe de la plus belle des solidarités : l’amitié. Et ça, ça vaut son pesant de cacahuètes

1. Une histoire à tenir debout, de Régine Salvat. Éditions Lattès, 2011.
2. Bugarach, le mystère de la femme oiseau, éditions TDO, 2013.
3. Le dernier salaire, de Margaux Gilquin, Éditions XO, 2016
4. Apprendre à danser sous la pluie, Éditions Lazare et Capucine, 2018.