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Le roi du name dropping.

À la page 200 de son récit*, Simon Liberati écrit : « Je n’étais pas ambitieux. Je voulais être célèbre ».
Alors le gars s’est mis à écrire des romans sur des gens célèbres, Jayne Mansfield, Brian Jones, Irina Ionesco, Sharon Tate, etc, selon l’idée un brin naïve qu’en côtoyant, même fictivement, des célébrités, on en devient soi-même une.
Et le voilà cette fois qui s’attaque à une autre vedette — lui-même — en racontant ses années au collège Stanislas comme on raconte la vie d’un autre qui mérite un livre. On y découvre un impressionnant catalogue de « name dropping », la liste des livres qu’il a lus, de larges extraits de ceux-ci, l’annuaire de ses professeurs, les musiques qu’il a écoutées, ses plaisirs solitaires plus jouissifs qu’une fille, puis les filles qui n’a pas eues, celles qu’il a eues, et pour faire bon genre, un peu de harcèlement scolaire qu’on appelait autrement à l’époque.
Je ne sais pas si Liberati a atteint son fantasme de célébrité mais en refermant ce bref récit je n’ai pas pu ne pas penser à ce que répondit vainement Kim Kardashian lorsqu’on lui demanda de quoi elle était célèbre :
— D’être célèbre.

*Stanislas, de Simon Liberati, aux éditions Grasset. En librairie depuis le 26 février 2025.

L’autre Musso.

Voilà longtemps que l’on m’avait dit que ce Musso-là n’avait rien à envier à l’autre, bien au contraire même (sauf peut-être quelques dizaines de millions d’euros à la banque) et voici que son dernier livre* m’a été offert au Festival du livre de Nice et qu’à la faveur d’un retard de trois heures du vol Nice-Paris, j’ai lu d’une traite.
Voici demain est une formidable nouvelle qui a, selon moi, le défaut d’être étirée sur 250 pages — mais faire court demande tant de temps et d’efforts —, qui se situe dans une ferme des Pyrénées où deux enfants, baignés d’idéologie survivaliste transmise par leur père, tentent de survivre seuls après la pandémie. L’ambition lorgne du côté du McCarthy de La route ou du Collette de Et toujours les forêts sans toutefois en atteindre encore ni la puissance ni la grâce, même s’il y a chez ce frère un authentique style pétri de simplicité, d’efficacité, partant, une vraie personnalité.

*Voici demain, de Valentin Musso, aux éditions Julliard. En librairie depuis le 15 mai 2025.

Sans soleil mais avec brio (1/2).

Revoici Grangé, furieux, alerte, en marathonien-sprinteur, qui nous déroule les années 80 à Paris, le milieu homosexuel avec un catalogue à la Manufrance d’antan de toutes ses pratiques — des plus charmantes aux plus… poussées —, le disco, les corps huilés, pailletés, léchés, dévorés, l’arrivée du « cancer gay » et, comme si cela ne suffisait pas à nourrir le brillant romancier qu’il est, un criminel à la machette qui s’amuse à découper très violemment et très sanguinolament ces pauvres garçons à l’article de la mort. 
Voilà pour le décor, et pour l’intrigue.
Mais là où le gaillard excelle, c’est dans ces couples (ici un trio) d’enquêteurs improbables : un flic, beau comme un dieu, qui se paluche devant Brigitte Lahaie, un toubib beau comme un dieu à qui on aurait cassé la gueule et ne goûte à la jouissance qu’avec les peaux de ténèbres, et une gamine de dix-huit ans aussi belle que brillante et aussi brillante que filoute, car on le sait depuis longtemps, c’est la qualité des chasseurs qui fait toute la beauté de la chasse.
Disco inferno* est la première partie (420 pages) de ce Sans soleil* qui brûle absolument tout sur son passage. 
Mais malgré le mal on en redemande et je vais sous peu me carboniser avec la suite.

*Sans Soleil, tome 1, Disco inferno, de Jean-Christophe Grangé, aux éditions Albin Michel, en librairie depuis le 15 janvier 2025.

La chair des autres.

On pourrait bien sûr s’interroger sur le sérieux ou l’opportunisme d’un livre écrit en à peine trois mois, le procès de Dominique Pelicot et de 51 autre personnes, dit « le procès des viols de Mazan » s’achevant le 19 décembre 2014 et La chair des autres*, le livre qu’en a fait Claire Berest, paraissant fin avril 2025. 
Ce serait oublier que Claire a l’écriture et le regard qui viennent de loin. Une écriture puisée à l’encre d’Hannah Arendt, de Joë Bousquet, de Simone Weil, de Jean-Bernard Pontalis, une écriture bénie, puissante, implacable. Et un regard sur le peuple du monde, lointainement ancré, dans un train de nuit, lorsqu’elle avait six ans et vit cet homme la regarder, comme un matou une petite viande, avant qu’il vienne s’allonger auprès d’elle sur la couchette — et puis, le vide. 
L’abîme.
L’image alors manque.
Dans La chair des autres, ce ne sont pas les images qui manquent. Au contraire. Elles sont là. Dégueulées. Dégueulantes. Tout comme les mots vomis pendant quatre mois dans la petite salle Voltaire du tribunal d’Avignon. 
Ce sont ces images et ces mots que Claire, dans son très beau texte, passe au tamis des quelques philosophes et écrivains qu’elle convoque pour tenter d’en comprendre le mal, mais surtout à son talent magnifiquement compassionnel d’écrivain.
Car il faut en être un sacré, d’écrivain, pour débusquer le mal dans qui se prétend normal.

*La chair des autres, de Claire Berest, aux éditions Albin Michel. En librairie le 2 mai 2025.

Où l’on retrouve le type à la célèbre moustache en brosse à dents.

À la fin du jubilatoire film de Lelouch, L’Aventure c’est l’aventure (1972), nos cinq malfrats (Ventura, Brel, Denner, Maccione et Gérard) évoquent leurs prochains projets de kidnapping, à savoir : Nixon, Mao, Dali, Pelé, Arlette Cordon, Onassis, Favre-Le-Bret, Bessy, etc, et je n’ai pas pu ne pas y repenser en lisant la nouvelle comédie de Romain Puértolas, Ma vie sans moustache*, en me disant qu’il dénichait là un véritable filon — qu’il nomme « roman-quête » — et que, après la traque foutraque et réjouissante de Dupont de Ligonnès, aujourd’hui celle de Hitler, il possédait là un nombre incalculable de livres à écrire sur de célèbres disparus qui n’auraient pas tout à fait disparus et se terreraient ici ou là, sous une apparence ou une autre. Suggérons-lui Jésus Christ, Romain Gary et Alain Barrière, pour n’en citer que quelques-uns.
En tout cas, avec ce second opus farceur, Romain-le-roublard nous entraîne dans une enquête poilante, « aussi sérieuse qu’ubuesque » précise même la quatrième, et surtout, surtout, il parvient à nous mener par le bout du nez 295 pages durant, alors qu’on n’y croit pas une seconde, allez, pas une seconde sur deux ; et il est là son tour de force, elle est là sa jouissive malice, sa magie : nous donner envie de nous faire avoir… jusqu’au bout. 

*Ma vie sans moustache, de Romain Puértolas, aux éditions Albin Michel. En librairie depuis le 30 avril 2025.

Vous parler des enfants vrais.

Nicolas, 15 ans, se suicide dans sa chambre le 5 septembre 2023.
Lindsay, 13 ans, se suicide chez elle le 12 mai 2023.
Lucas, 13 ans, idem le 7 juin 2023.
Dinah, 14 ans, est retrouvée pendue chez elle le 7 août 2021.
Evaëlle, 11 ans, se suicide en juin 2019.
Marion, 13 ans, se suicide en février 2013.
Jonathan, 16 ans, s’immole par le feu après six ans d’harcèlement à l’école.
Chanel, 12 ans, se suicide le 30 septembre 2021.
Et tant d’autres encore auxquels il faut désormais rajouter Hugo, le fils de papier de Vincent et de Juliette, frère d’Enzo, dans le nouveau roman* de Philippe Besson.
Un roman qui se déroule sur une journée, celle de la marche blanche organisée en mémoire de Hugo justement, harcelé comme tous les autres à l’école et suicidé à la lame de rasoir ; journée durant laquelle Besson tresse la colère de la mère et l’impuissance du père. Et c’est tout.
Alors, même si la lecture, comme toujours chez Besson, est fort agréable, je me demande cette fois-ci en quoi un roman moins puissant que la réalité et qui n’atteint aucune vérité romanesque, se substituerait à la pure tragédie du réel.

*Vous parler de mon fils, de Philippe Besson, aux éditions Julliard. En librairie depuis le 2 janvier 2025.

Une image vaut mille mots, aurait dit Confucius. Mais dix mille, cent mille mots, c’est bien aussi.

Ma deuxième liste, aux éditions du Livre de Poche, en librairie depuis le 30 avril 2025.