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Où l’on retrouve le type à la célèbre moustache en brosse à dents.

À la fin du jubilatoire film de Lelouch, L’Aventure c’est l’aventure (1972), nos cinq malfrats (Ventura, Brel, Denner, Maccione et Gérard) évoquent leurs prochains projets de kidnapping, à savoir : Nixon, Mao, Dali, Pelé, Arlette Cordon, Onassis, Favre-Le-Bret, Bessy, etc, et je n’ai pas pu ne pas y repenser en lisant la nouvelle comédie de Romain Puértolas, Ma vie sans moustache*, en me disant qu’il dénichait là un véritable filon — qu’il nomme « roman-quête » — et que, après la traque foutraque et réjouissante de Dupont de Ligonnès, aujourd’hui celle de Hitler, il possédait là un nombre incalculable de livres à écrire sur de célèbres disparus qui n’auraient pas tout à fait disparus et se terreraient ici ou là, sous une apparence ou une autre. Suggérons-lui Jésus Christ, Romain Gary et Alain Barrière, pour n’en citer que quelques-uns.
En tout cas, avec ce second opus farceur, Romain-le-roublard nous entraîne dans une enquête poilante, « aussi sérieuse qu’ubuesque » précise même la quatrième, et surtout, surtout, il parvient à nous mener par le bout du nez 295 pages durant, alors qu’on n’y croit pas une seconde, allez, pas une seconde sur deux ; et il est là son tour de force, elle est là sa jouissive malice, sa magie : nous donner envie de nous faire avoir… jusqu’au bout. 

*Ma vie sans moustache, de Romain Puértolas, aux éditions Albin Michel. En librairie depuis le 30 avril 2025.

Vous parler des enfants vrais.

Nicolas, 15 ans, se suicide dans sa chambre le 5 septembre 2023.
Lindsay, 13 ans, se suicide chez elle le 12 mai 2023.
Lucas, 13 ans, idem le 7 juin 2023.
Dinah, 14 ans, est retrouvée pendue chez elle le 7 août 2021.
Evaëlle, 11 ans, se suicide en juin 2019.
Marion, 13 ans, se suicide en février 2013.
Jonathan, 16 ans, s’immole par le feu après six ans d’harcèlement à l’école.
Chanel, 12 ans, se suicide le 30 septembre 2021.
Et tant d’autres encore auxquels il faut désormais rajouter Hugo, le fils de papier de Vincent et de Juliette, frère d’Enzo, dans le nouveau roman* de Philippe Besson.
Un roman qui se déroule sur une journée, celle de la marche blanche organisée en mémoire de Hugo justement, harcelé comme tous les autres à l’école et suicidé à la lame de rasoir ; journée durant laquelle Besson tresse la colère de la mère et l’impuissance du père. Et c’est tout.
Alors, même si la lecture, comme toujours chez Besson, est fort agréable, je me demande cette fois-ci en quoi un roman moins puissant que la réalité et qui n’atteint aucune vérité romanesque, se substituerait à la pure tragédie du réel.

*Vous parler de mon fils, de Philippe Besson, aux éditions Julliard. En librairie depuis le 2 janvier 2025.

Une image vaut mille mots, aurait dit Confucius. Mais dix mille, cent mille mots, c’est bien aussi.

Ma deuxième liste, aux éditions du Livre de Poche, en librairie depuis le 30 avril 2025.

N’écoutez pas toujours les quatrièmes de couverture.

Ce roman* peut se lire comme une comédie noire, précise la quatrième de couverture, ou un drame burlesque. Ou les deux à la fois. Je n’y ai lu ni l’un ni l’autre. J’y ai retrouvé avec plaisir la plume si personnelle de Dubois, celle de Vous plaisantez, monsieur Tanner et de La Succession, toujours ces histoires de famille, ces engluements, cette puissante désespérance persillée d’humour, d’esprit plutôt — ce genre de situation qui fit dire, dans d’autres circonstances, à l’auteur Jean-Louis Fournier : « Il est drôle dehors et triste dedans ». Ainsi est aussi Dubois.
Et il est là, pour moi, le lieu de ce nouveau roman qui met en scène un fils qui vient de tuer de deux balles dans le crâne son père déjà mort et que la justice condamne à un an de soins auprès d’un psy hypocondriaque. Ce sont ces séances que nous suivons, mois après mois ; ces retrouvailles avec l’origine des larmes, du mal de vivre, de la mélancolie sourde, rampante, anesthésiante et finalement assassine. 
Alors comédie noire ou drame burlesque, non. Mais un sacré roman sur la chute d’un fils, oui. Sur le triomphe sordide des pères, oui. Sur la fin du pardon, oui. Et ça, ce n’est pas rien.

*L’origine des larmes, de Jean-Paul Dubois, aux éditions de l’Olivier. En librairie depuis le 15 mars 2024.

Pierre Vavasseur, orfèvre à Paris.

Un très beau recueil de poésie*, c’est comme un coffret à bijoux. C’est petit dehors, immense dedans. C’est. précieux et précis à la fois.
On y trouve des choses des plus simples — mais qui ont aussi, comme les plus travaillées, le don d’embellir le monde et ceux qui les portent — aux plus rares, qui, soudain, changent la géographie d’un poignet, la danse de quelques doigts, l’élégance d’un cou. 
On y découvre également des pierres précieuses, uniques, des brillants, disait l’employée de maison de mon arrière-grand-mère, dont l’éclat irradie les ombres des hommes et en révèle toutes les fragilités, l’immense essentialité, car le poète orfèvre qu’est l’ami Pierre le sait : il n’est de pierre, de ronce ou de larme sous lesquels ne se niche pas une lumière.
Ainsi celles-ci, glanés au hasard des pages de ce brillant recueil, et qui font de l’autre et du monde un bel endroit :

Rien ne pénètre mieux mes lèvres
Que les mots que tu me dis
*
Je ne suis plus un homme mais un homme
Rassemblé dans son chant
*
L’après-midi passe sous un grand linge blanc
*
Tu étais mains ouvertes
Endormie
Tu me regardais de tes mains
La nuit voyait si clair

*Paisible tourment, de Pierre Vavasseur, aux éditions Marie Romaine. En librairie le 23 avril 2025.

On aura tout vu.

Je viens de recevoir la bande-annonce du documentaire que me consacre Jean-René Chapron et j’avais juste envie de la partager avec vous. Alors voilà.

Surtout, ne jamais s’endormir.

Les enfants endormis du titre trompeur de ce remarquable premier livre* sont ces ados qui somnolent dans un petit village de l’arrière-pays niçois, à la fin des années 80. Et ce n’est pas la chaleur qui les accable. Ni un travail harassant. Mais cette putain d’héroïne qui serpente dans leurs veines, s’insinue dans leur cervelet et le grignote. 
Parmi eux est Désiré, l’oncle de l’auteur qui tente avec ce texte « de le rendre à la lumière » (page 246).
Alors que dans son village, loin des bruits du monde, l’oncle sombre dans les épouvantes de la drogue une curieuse épidémie frappe principalement la communauté des homosexuels. En France et aux États-Unis, quelques chercheurs essaient de comprendre. Se tirent la bourre pour être les premiers à découvrir ce virus, élaborer un test — il y a un pognon de malade en jeu.
Aussi, quand on apprend que Désiré a le sida, c’est la sidération dans la famille. La honte dans le village. « Il n’est pas gay ; et non, mon fils n’est pas un drogué », précise sa mère.
Avec une pudeur et une efficacité époustouflantes, Anthony Passeron remonte l’histoire de sa famille et celle du sida, ici passionnante comme un thriller, pour ajouter une pierre essentielle à cette littérature qui est la dernière digue contre l’oubli. Chapeau.

*Les enfants endormis, de Anthony Passeron. Aux éditions Globe (2022), puis au Livre de Poche (2024). Prix Wepler.