Archive | Tous les articles.

Sérum de vérité.

Ainsi, en 1978, à 22 ans, à l’âge où l’on court les boites, les filles qu’on n’épouse pas, galope après la célébrité, s’épuise à la rédaction d’un livre, mon dieu, un livre ! « On détestait Patrick Besson qui avait déjà publié à dix-huit ans ! », où l’on croise des écrivains à Saint-Germain-des-Près, des frères de lumière en somme, à l’âge où l’on rêve d’être journaliste, un petit Drieu, un grand Bukowski, un aimable Chodolenko, voici que Éric Neuhoff voit sa jeunesse fracassée sur la route espagnole d’une boite de nuit. Il est assis à la place du mort d’une 204 cabriolet, le vent danse dans ses cheveux, on dirait une pub Kenzo, mais ce n’est pas lui qui meurt, c’est Olivier, derrière le volant, Olivier, l’ami, la promesse d’une jeunesse qui ne devait jamais s’éteindre.
Neuhoff s’en sort vivant mais pas indemne, la jambe en compote, genre J’ai marché sur une mine anti personnelle. Un an d’hosto. Dix-sept anesthésies générales. La jambe est curieusement tordue, l’os de la cheville bien visible, blanc, comme bouilli, empaqueté dans des chairs tantôt fuchsia tantôt sombres, une viande des grisons, une peau de poulet carbonisée. Le gaillard boite, on rééduque, on attend. Le temps passe, les amis aussi, les rêves s’envolent et, sur son lit de souffrances, dans ce corps qui s’écoule, le futur auteur de plus de trente bouquins, de tant de critiques de livres et de cinoche, s’inocule une sacrée dose littéraire de penthotal et se livre et se délivre et l’on se rend compte, accessoirement, car la douleur ici est belle, que s’il n’avait pas été écrivain, il aurait été un formidable publicitaire car chaque phrase est un slogan. Un coup. Un coup de poing à la vie. Pour la réveiller.

*Penthotal, de Éric Neuhoff, aux éditions Albin Michel. En librairie depuis le 3 février 2025.

Maison. Téléphone maison.

Avec leur collection « Retour chez soi », Amélie Cordonnier et Stéphanie Kalfon ont eu l’idée de faire retourner un écrivain sur un des lieux de son enfance et après la fille de qui retourna au 11 quai de Branly, c’est au tour du brillant Thomas B. Reverdy de retourner au 6 avenue Georges V dans la salle de danse où virevoltait sa mère. 
Et cette nuit-là, passée dans ce lieu de tant de tant — tant de souvenirs, tant d’émotions, tant de gestes, tant de parfums, tant d’émerveillements — Thomas retrouve et nous raconte sa mère, ce milieu artiste des années 80 ; on y croise Lifar, Petit, Barrault-Renaud et tant d’autres ; on y voit se déployer, comme un grand temps levé parfait, le corps de cette mère qui cherche à voler jusqu’à atteindre son âme, et puis un jour la chute ; l’envie d’une autre vie, les pieds cette fois rivés au sol, un homme plus jeune et avec lui un enfant sur le tard : Thomas lui-même.
Mais le plus touchant encore dans ce texte vif et doux à la fois — et je regrette un peu que cela n’ait pas été davantage sillonné —, c’est qu’alors qu’il écrit ce livre, Thomas change lui aussi de vie, s’élève et s’arrime ailleurs, à un autre corps, une autre promesse, car c’est souvent dans ces bifurcations, dans tous ces indicibles, que s’écrivent les plus beaux textes.

*6 avenue Georges V, de Thomas B. Reverdy, aux éditions Flammarion, coll Retour chez soi. En librairie depuis le 29 janvier 2025.

C’est l’été, le pastaga tape.

Auguste Derrière et Prunelle de Mézieux nous régalent avec leurs blagues* à deux balles, à vingt balles, à cent balles, formidablement illustrées à la manière des vieilles réclames et autres ferrailles publicitaires. Ça se boit sans soif et c’est bien plus rigolo que les romans de plage feel-good- mordsmoilenesques.

*Les pieuvres ont le vent en poulpe, de Auguste Derrière et Prunelle de Mézieux, aux éditions Hugo Images. En librairie depuis le 6 novembre 2024.

Surprise du jour.

Rediffusion surprise ce matin sur France Inter d’une courte interview que j’avais adoré faire et qui m’avait un peu chambardée.
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/c-est-une-chanson/c-est-une-chanson-du-mercredi-16-juillet-2025-8069718

Erri deux Luca.

Double sortie* alimentaire pour l’immense De Luca, d’un côté des poèmes récoltés à la lumière du jour, comme des fruits dans un jardin, de l’autre une sorte de Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules autour des « saveurs familières », le pain, le lait, les pâtes, le tout abondamment commenté par un nutritionniste comme si les mots de l’écrivain ne suffisaient plus ; et, en bonus, dix-sept recettes, concoctées, elles, par une certaine Alessandra Ferri. 
Si l’on peut soupçonner un gros brin de marketing estival dans ces sorties concomitantes, ne boudons pas notre plaisir à retrouver la langue magnifique de l’italien, ainsi ce poème — Un siège :

Interdits de mariage, les funérailles,
Déclarés contaminants les étreintes et les baisers,
Source de contagion les larmes aussi.
Ainsi les épidémies assiègent l’amour
Qui pourtant ne se rend pas et avec émotion
Entre en clandestinité.

*Récolte à la lumière du jour et Récits de saveurs familières, de Erri De Luca, chez Gallimard. Tous deux en librairie depuis le 5 juin 2025.

Quatre nouvelles du bon Denis.

Traits et portraits, merveilleuse collection qui accueillit en son temps Le sens du calme de Yannick Haenel qui m’avait chambardé, reçoit pour la seconde fois, après « Autoportrait en vert » la multi-primée Marie Ndiaye, Goncourt, Mme Figaro, Femina — rien que ça —, laquelle nous offre cette fois quatre nouvelles autour de la figure du père, Le bon Denis, dont une déjà publiée dans le recueil SOS Méditerranée (Folio n° 7146, 2022). 
Encore une fois, c’est ici le style, la langue même de Ndiaye qui emporte tout sur son passage et qui séduira davantage les amoureux des jolis mots que ceux des histoires solides. On est là davantage chez Monet que chez Renoir, l’impressionnisme plus que l’expressionisme — ce qui en fait toute sa précieuse élégance mais aussi son souvenir incertain. 

*Le bon Denis, de Marie Ndiaye, aux éditions Mercure de France, coll Traits et Portraits, dirigée par Colette Fellous. En librairie depuis le 3 avril 2025.

Fume, c’est du belge.

Il y a quelque chose de très léger dans ce petit livre d’Anny Duperey qui commente des phrases qui l’ont marquée — adressées par exemple sur un plateau de cinéma par un Blier au mieux de sa forme ou, dans un musée, par son fils effaré devant une sculpture moderne. On notera avec amusement le Ben dis donc la télé ça arrange balancé à l’actrice non maquillée dans une superette ou le Mais suce-la, bon Dieu, suce ! de Claude Berri, sur le tournage de Germinal, mais tout cela est bon enfant, à l’image de l’inusable (pour preuve la photo de la couverture) vedette d’Un éléphant ça trompe énormément et se lit sans y penser comme on suce une glace l’été sur la plage.

*Respire, c’est de l’iode ! et autres évocations libres, de Anny Duperey aux éditions du Seuil. En librairie depuis le 11 avril 2025.