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Ce que dit Aurélie.

Avec ce premier roman, et avec élégance, Aurélie Dye-Pellisson nous raconte l’émigration d’un frère et d’une sœur partant rejoindre leurs frères aînés en Californie. On est à l’aube du vingtième siècle et l’Amérique est alors un rêve d’indépendance et un espoir de réussite ; une poursuite du bonheur. Bien sûr, et c’est là la trajectoire habile de ce roman, rien n’est jamais comme dans les cartes postales ou les livres : les décors sont parfois trompeurs et l’amour roublard, souvent cruel. Il y aura donc des trahisons, des déceptions et quelques sévères engloutissements.
Mais le plus touchant dans cette vaste aventure qui nous mène de Champsaur à San Francisco jusqu’au Yukon, c’est celle que semble accomplir Aurélie elle-même à travers son personnage de Zélie — à savoir un voyage vers l’écriture. 
Car c’est vers cela que tend tout le livre : la naissance d’une écrivaine, comme d’aucuns vécurent « la naissance d’une nation ». Une naissance ici sans cri, « Les mots ne font pas de bruit en venant au monde », écrit-elle page 57, une naissance comme une évidence, comme une source joyeuse, « Rien ne se dérobe aux mots » ajoute-t-elle page 184, dans un soupir qui ressemble à la liberté enfin conquise. 
Avec Ce que l’océan ne dira jamais, Aurélie-Zélie chante son amour de la littérature et nous invite à assister, heureux, à son abordage d’une terre sillonnée de si jolis mots qu’elle nous promet bien d’autres passionnants voyages d’écrivain. 

*Ce que l’océan ne dira jamais, d’Aurélie Dye-Pellisson, aux éditions Héloïse d’Ormesson. En librairie le 13 mars 2025.

Méfiance.

Surtout, méfiez-vous du bandeau sur le nouveau roman* de Xavier de Moulins. Une femme en imper, une Ford Mustang 65 ou 66, un parking de bord de mer et voilà, vous pensez à un Lelouch, un homme, une femme, un tourbillon. Or c’est davantage un Sautet que nous livre ici Xavier ; un Sautet grave comme Les choses de la vie, grave comme une rencontre qui se défait, un amour qui s’épuise.
La virtuosité plutôt que le virevolté.
Avec Refaire l’amour (quel beau titre), on est au cœur des fantômes de l’auteur : une maison de famille, des souvenirs heureux, des fissures et surtout son obsession du couple dans ce qu’il peut ne pas durer. 
Ici, vingt-cinq ans de mariage, trois filles, et soudain la déflagration : le mari au prénom d’un arbre du sud, un arbre résistant aux plus effrayantes tempêtes, au plus violent des mistrals, se fait emporter par la jeunesse d’une femme, par « la grâce, la puissance des débuts » (page 174), et voilà le chaos. 
Voilà le froid. Voilà l’hiver des corps.
Refaire l’amour est le déchirant livre du deuil de l’amour et conséquemment, de la renaissance de l’amour.

*Refaire l’amour, de Xavier de Moulins, aux éditions Flammarion. En librairie à partir du 5 mars 2025.

Vers la joie.

Revoici Laurence Tardieu avec un texte* qui lui ressemble profondément — beau, élégant et précieux.
Vers la joie évoque la leucémie de son petit garçon, sa rémission, mais surtout, et c’est ce surtout qui compte, les empêchements collatéraux que la maladie du fils a occasionnée sur la mère. Si le temps de la lutte a été innommable, écrit-elle, le temps de l’après-lutte l’est tout autant.
Et ils sont là, la beauté, l’élégance et la préciosité de ce texte ; dans cet effondrement souvent tu, dans cette dégringolade de soi en son propre corps, dans le désaxement dans sa propre temporalité, lorsque le passé ne raconte soudain plus la même chose et que le futur n’a pas vraiment de sens. Alors lentement, par la grâce de l’écriture, par cette foi immense que Laurence porte en elle, jusqu’à l’aveuglement — et certains aveuglements montrent, indiquent — elle essaie de remonter la pente, de retrouver l’odeur des choses, la couleur verte d’une herbe d’enfance, la taille de la main d’une mère à l’aune de sa main de petite fille. 
Désespérément retrouver la joie.
Il y a un mot dans ce magnifique livre qui résume à lui seul cette remontée des abysses, précisément un verbe, mais tellement banal, tellement anodin et galvaudé qu’il faut être fort vigilent pour l’apercevoir, audacieux pour le retenir et longanime pour le laisser infuser en nous, jusqu’à ce qu’il nous éclaire et nous éclaire le monde. C’est aimer.

*Vers la joiede Laurence Tardieu, aux éditions Robert Laffont. En librairie depuis le 9 janvier 2025.

Chronique d’une mort annoncée.

Fidèle à son habitude de brouiller les genres, et de nous revenir à chaque fois avec un livre différent, Amélie Antoine nous offre ici* un délicat roman sur la fin d’une vie.
La vie d’une mère.
Cette fin qui fait se retourner sur le chemin parcouru, sur les joies, les ratages, les amours joyeuses, les amours manqués, les admirations inoubliables.
Et sa fille.
Car au moment du départ se pose évidemment la question de ce qu’on laisse de soi à cette chair sortie de la sienne, ce qu’on donne au cœur façonné, ce qu’on transmet à la vie pétrie de ses mains.
De là-haut raconte sans pathos ce départ volontaire face à la maladie qui gagne, au corps qui s’échappe ; ce moment très particulier qui fait dire à l’héroïne : « J’ai aimé ma vie et je veux en finir avant de la détester ».
Voici un joli caillou romanesque à l’édifice de cette réflexion complexe sur le choix de la fin d’une vie.
Du jour qu’on éteint.
Du noir qu’on fait.
Et c’est lumineux.

*De là-haut, d’Amélie Antoine, aux éditions Le Muscadier. En librairie depuis le 16 janvier 2025.

Comme dans la vie.

Voici un petit livre* (80 pages) absolument jubilatoire. Écrit par un type qui a furieusement roulé sa bosse dans le cinoche, qui, les jours de tempête, redessine le monde au pastel, et s’éclate toujours autant sur scène avec son groupe de vieux rockeurs, Comme au ciné nous raconte la mésaventure de Léon, producteur, qui découvre que le film qu’il produit est une énorme merde et décide de le faire réécrire, retourner et remonter.
L’idée formidable de Jean-Michel Weil est d’opposer le monde du cinéma au monde réel, mais surtout, d’y adjoindre les notes hilarantes de la production, tantôt à la mise en scène, tantôt à la régie.
En le dévorant, j’y ai vu une satire inoubliable de nos politiciens qui nous promettent tous des jours meilleurs et ne voient jamais nos années de boue ; ces bonimenteurs qui nous font les poches pour remplir les leurs, de quelque bord soient-ils, jusqu’à la nausée — faut dire que la soupe est bonne quand elle est gratos.
Aussi, je ne peux que vous conseiller de lire et de savourer ce petit trésor, puis de l’envoyer à votre député en le priant d’arrêter de nous prendre pour des cons.

*Comme au ciné, de Jean-Michel Weil, aux éditions Edilivre. En vente depuis novembre 2024.

Contre-pied.

Voici un livre rare. Rare car je ne suis pas certain que vous trouviez Revers* en pile en haut d’un escalator de la Fnac ou en vitrine chez votre librairie. Rare encore parce que c’est un livre qui défie les livres, réinvente le récit et atomise l’écriture. Plus rare encore car c’est le livre d’un artiste-peintre, Bleue Roy et on sait que lorsqu’un peintre quitte le pinceau pour la plume c’est qu’il y a urgence. 
Revers, un livre dans lequel on entre comme dans une expo, où chaque chapitre se lit comme on regarde un tableau et, comme chez tous les grands artistes, il y a toujours quelque chose à découvrir derrière les choses. Ainsi le héros, géant transsexuel ne nous montre surtout pas sa transsexualité brésilienne, mais son cœur d’enfant dans un corps de monstre et à ce titre, frôle la poésie. Toucher à cette grâce, c’est rarissime. C’est ce que frôle Revers et ça vaut le frisson. 

* Revers, de Bleue Roy. Sur Amazon, Librinova, et environ deux cents librairies.

Le mélo de Sophie.

Voici qu’après l’inceste, le mariage consanguin, l’homosexualité masculine, la virtuose plume de Sophie se fend d’un nouveau genre. Le mélo. 
J’ai demandé à Gemini la définition du mélo et voici ce qu’il m’a répondu (en 0,00000001 seconde) : « Dans le langage courant, « mélo » est souvent utilisé comme une abréviation de « mélodrame ». Il désigne alors un drame caractérisé par des intrigues sentimentales exagérées, des rebondissements spectaculaires et des émotions fortes. Les mélos sont souvent associés à des histoires d’amour passionnées, de trahisons, de sacrifices et de fins heureuses ou tragiques. » 
C’est ici* exactement cela. Vous voilà prévenus. 
Sophie nous raconte donc l’histoire de Colette qui s’en retourne dans son Morvan natal auprès de sa mère mourante et c’est là, dans cet espace incertain entre la vie et la mort, les regrets et les remords, les haines et les amours, les désirs et les répugnances, les mensonges et les fausses vérités, qu’elle va dénouer le drame qui eut lieu un soir d’été 1969 — cet été-là, souvenez-vous, Jean-François Michaël chantait Adieu jolie Candy et Barry Ryan, Éloïse, et si c’est moins chantant chez Sophie, c’est, chez elle, beaucoup, beaucoup mieux écrit.
Et il est là, l’immense talent de ce Secret des mères : parvenir à nous narrer un mélo mais dans un style d’une grande beauté, une écriture qui résiste à l’histoire, au temps, pour s’emparer de nous comme un parfum, comme une grâce, et ne plus nous lâcher.
C’est rare. Cela s’appelle la littérature.

*Le secret des mères, de Sophie de Baere, aux éditions JC Lattès. En librairie le 5 février 2025.

Sept à lire (2).

Rapidement, en passant, pour vous dire que les 750 pages du Tome 2* de la série des Sept soeurs de Lucinda Riley est encore plus addictif que le premier (même s’il y a un peu de patouille vers la fin, histoire que j’aie quelque chose à critiquer). Donc, comme pour le premier, si vous aimez la romance d’aujourd’hui qui vous permet de vous éloigner des types qui saluent bizarrement dans le poste de télévision, des autres tartinés d’auto-bronzant orange et de toutes ces saloperies ambiantes, allez-y.

*Les Sept soeurs, tome 2, La soeur de la tempête, de Lucinda Riley, au Livre de Poche depuis juin 2020.