Gueule de bois.

Été 1922. La Beauce. Des champs de betteraves à perte de vue. Sougy, commune du Loiret. 750 habitants environ. Une fête de village. De la musique. Des rires. Du vin. Huit et neuf mois plus tard après ces réjouissances, quatre jeunes filles donnent naissance à des enfants de pères non dénommés. L’un mourra, trois survivront, l’un d’eux sera le grand-père de Mathieu Deslandes. Lorsqu’il l’apprend, on est en 2017. L’affaire Weinstein vient d’éclater. #MeToo permet enfin aux silencieuses de parler et, parce que les filles du maudit bal de cet été 1922 n’auront jamais la parole, comme tant d’autres encore aujourd’hui dans les campagnes et les villages, Mathieu Deslandes part à leur rencontre, dénoue leurs histoires en excellent journaliste qu’il est, et livre un texte construit comme une véritable enquête sur une époque, sur le silence –une quête de lui-même aussi. Les courts chapitres s’enchaînent. Poétiques. Graves. Lumineux. Et là où le projet est absolument formidable, c’est qu’il croise alors les recherches de sa compagne, Zineb Dryef, qui travaille sur les « zones grises », entre consentement et agression sexuelle. Mathieu écrit, Zineb parfois commente et, de leurs curieux chagrins (le chapitre final de Zineb est d’une rare intimité) naît une complicité qui fait de ce texte un objet incomparable et précieux.
Au lendemain de la fête à Sougy en 1922, j’imagine que beaucoup eurent la gueule de bois. Je l’ai eue, moi, en refermant le livre. En pensant à ce que « le silence est un puits qui engloutit tout » (page 200). Un livre important, de crimes et d’amours.

*Soir de fête, de Mathieu Deslandes et Zineb Dryef. Éditions Grasset. En librairie le 28 août 2019. Rentrée littéraire 2019.