L’art de la guerre (perdue).

V13*, c’est le nom de code du procès des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, neuf mois de procès qu’a suivi, entre autres Emmanuel Carrère, pour le compte de l’Obs où il publiait régulièrement ses chroniques judicaires, jusqu’à les rassembler in fine dans le livre que voici. 
Alors bien sûr, il est très difficile de commenter ou critiquer une telle somme, il y a là quelque chose d’intouchable, au même titre que les récits de persécutions pendant la Seconde Guerre mondiale.
On ne peut donc qu’apprécier le style parfait de Carrère, sa plume toujours impeccable qui rend ce long compte rendu fort agréable à lire.
Témoignages bouleversants, insoutenable émotion côté victimes ; froideur clinique côté coupables. Grandeurs et décadences côté Cour.
Pages 327 et 328, Carrère raconte la plaidoirie d’un avocat belge, Isa Gultaslar, défenseur de Sofien Ayari, basée sur l’idée que la cause de ces attentats n’est pas la religion mais la guerre. En effet, la France est alors engagée en Syrie, cela s’appelle être en guerre, souligne Carrère, et les crimes commis à Paris par les soldats de Daech ne devraient-ils pas non pas relever du droit international des conflits armés plutôt que celui du droit antiterroriste national ? 
Ils devraient donc être requalifiés en crimes de guerre.
Bien sûr la Cour n’a pas donné suite et si juridiquement elle a ses raisons que l’ignorant que je suis ignore, il n’empêche que moralement la question reste valable. Car c’est bien d’une guerre qu’il s’agit. Ici, le 13 novembre 2015, une bataille perdue. Là, à Magnanville, une autre. Là-bas, à Nice un soir de 14 juillet, une autre encore. Saint-Étienne du Rouvray, Samuel Paty, d’autres encore, jusqu’aux petits attentats contre la laïcité dans les écoles. À force de perdre des batailles ne perd-t-on finalement pas la guerre ? 

*V13, d’Emmanuel Carrère. Éditions POL. En librairie depuis le 25 août 2022.