Parle tout bas (car on pourrait bien nous entendre).

Une jeune femme est victime d’un viol dans une forêt. Pas d’indices. Pas de piste. Affaire classée. Douze ans plus tard, un rapprochement est fait avec une autre affaire. Un homme arrêté. Un vingtaine de victimes. Cette fois, un procès a lieu auquel la jeune femme ne veut pas assister : « Il n’était pas question que je fasse grâce à Léonard Scarpa [l’accusé] né à Reims de ma présence » (page 129). Son avocate la tient au courant chaque soir d’audience. L’homme est déshumanisé, écrit-elle, il devient un numéro d’écrou. Un couperet, cette phrase. Qui coupe le dernier lien entre la victime et son bourreau. Affaire jugée. On peut se reconstruire. Trouver la paix.
C’est cette histoire que raconte Elsa Fottorino dans un roman formidablement écrit, comme on autopsie ; comme elle le dit d’elle, « froide et distante » (page 136). Ainsi ce qui devait être chair blessée, avilie, niée, devient mots secs, rêches — à croire qu’ils sont peut-être devenus le corps lui-même : une pierre. Mais au-delà de ce parti pris de glace, de froid (et non d’effroi) ce qui me surprend c’est le choix du « romancé » car enfin, une telle histoire est si lâche lorsqu’elle se déguise. Explications d’Elsa Fottorino, sur TV5 Monde : « Il fallait que ça passe par un roman sinon j’aurais été trop contrainte par mes souvenirs, par la description de la réalité et je n’aurais pas pu m’en affranchir. Ce que je voulais faire, c’était précisément m’émanciper de cette horreur. Cela passait uniquement par la liberté que m’apportait la fiction : j’ai pu réinventer l’histoire, et ça, c’est formidable ». 
Moi, je crois que dans ce genre d’histoires, c’est la vérité qui est formidable. Elle est la plus belle façon d’aimer les victimes. De leur offrir de parler enfin. De ne plus se cacher.

*Parle tout bas, d’Elsa Fottorino. Au Mercure de France. En librairie depuis le 19 août 2021.