Un roman capital.

Périphéries* est le roman des invisibles. Roman noir puisque c’est dans le noir qu’on voit le mieux la lumière. Il est le roman du réalisme escamoté, des douleurs étouffées, des vies effacées. Voici l’histoire de Virgile, Manouche établi avec les siens sous le pont de Clichy ou de Gennevilliers, bidonville de la honte, fatras d’improbables et de suies, dans cette France si prompte à évoquer ses Lumières et qui a beau jeu de les éteindre sur ses hontes. Virgile a 20 ans. Il a l’âge des envols. Mais sa peau est de la mauvaise teinte, ses cheveux d’un noir suspicieux, son corps trop menaçant à cause des tractions et autres shrugs — ce corps dont il prend soin car il est la seule maison qu’il possèdera jamais. Alors Virgile rêve de retourner dans sa Roumanie natale, d’y emmener avec lui sa tribu, comme un marin s’en retourne au port, dans sa langue, dans ses odeurs et son sang. Mais Virgil tombe amoureux. De celle qu’il ne faut pas. Yasmine. Celle qui a un frère, et lui aussi un code d’honneur — même s’il est au prix du déshonneur des femmes et de la violence démesurée des hommes.
Et Virgile chute. Mais la plume magnifique, nerveuse, dense et qui danse de Philippe Lafitte le rattrape. Car les rêves, et le tout premier d’entre eux, la liberté, ne pourront jamais, pour Philippe, se fracasser au conformisme d’une société française, parfaite petite Tartuffe qui continue à couvrir ces seins qu’elle ne saurait voir. C’est en cela que Périphéries est un livre de combat, un livre d’amours, et qu’il est formidable. 

*Périphéries, de Philippe Lafitte. Au Mercure de France, Collection Bleue. En librairie depuis le 2 février 2023.