Archive | novembre, 2015

C’était mieux après ?

Avant après

Voici un petit livre* épatant. Ses 13,1 cm de large laissent penser qu’il se glissera facilement dans les chaussettes bientôt pendues aux linteaux des cheminées. Un livre écrit à quatre mains. Celles de gauche parlent d’avant, celles de droite, d’après. Elles comparent avec un humour brillant, par exemple Pif (avant) et Pokemon (après), le blouson noir (avant) et la caillera (après), la minijupe (avant) et le voile (après) ou encore Le Chasseur Français (avant) et Meetic (après). C’est un livre qu’il faut acheter (avant) les fêtes pour en profiter longtemps (après) parce qu’une chose est sûre en ces périodes troubles : on est mieux après l’avoir lu qu’avant.

*Avant/Après, de Carl Aderhold et Vincent Brocvielle (avec, avant, une très chouette préface de François Reynaert). Éditions JC Lattès. En librairie depuis le 4 novembre 2015.

Du noir de la nuit.

Denise Mina

Après la poésie trithoise, la nouvelle mansonnienne, et l’art kleennien, voici du costaud écossais. La nuit où Diana est morte (soit le 31 août 1997 – déclarée comme telle à quatre heures vingt cinq pour être précis), est un roman noir qui prend racine cette nuit-là, celle où chacun sait exactement ce qu’il faisait. « Il y a des dates qu’on n’oublie pas », écrit Denise Mina.
Cette nuit-là, elle a quatorze ans, on l’imagine blonde, fine et douce comme avait du l’être la princesse des cœurs, Rose tue deux types, des gamins de son âge, ou à peine plus, sombres déjà comme des adultes. Cette nuit-là, Rose tue d’elle la gamine que les vieux s’offrent en partouze, dans laquelle ils déversent leur pus. Quinze ans plus tard, à cause d’un autre meurtre où les empreintes digitales ne collent pas, Morrow, une inspectrice, va, comme les saumons, remonter à la source du mal. Mais quand on y arrive, quand on trouve ce qu’on est venu y chercher, on tombe aussi parfois sur ce qui vous empêchera à jamais d’être en paix.

*La nuit où Diana est morte, de Denise Mina. Éditions du Masque. En librairie depuis le 4 novembre 2015.

« Les tableaux nous regardent » (Paul Klee).

(Quatre jours après. Le chagrin ne s’efface pas. Ce n’est pas une raison pour laisser la haine s’installer). C’était en 1982. Je venais de commencer la réclame en Belgique et un directeur artistique qui avait deviné mon amitié pour les livres m’offrit Les Saisons, de Maurice Pons. (J’ai lu, depuis, qu’on parlait à son propos de texte culte. De chef-d’œuvre, même). Ce fut une lecture asphyxiante et sublime, noire, une lecture écœurante et lumineuse, amusante parfois – lorsque les villageois se chauffent avec des animaux vivants accrochés à leur taille. Les Saisons, des pluies incessantes, seize mois d’automne, quarante mois de gel, ou l’histoire désespérée et désespérante de Siméon, l’écrivain, l’étranger donc, qui débarque avec son beau vélin, ses crayons et les jolis mots calligraphiés qu’il veut partager avec ces villageois qui ne mangent que des lentilles. Puis fut la lecture de Rosa, un conte flamboyant, un pastiche de roman historique sur cette fameuse Rosa dans le sexe de laquelle, comme par la bouche d’un tunnel, étaient entrés – et jamais ressortis – troufions, canonniers, artificiers, fantassins, cavaliers, chevaux et même un certain capitaine Malard, Rosa à qui je rendrais hommage dans mon premier roman. Puis fut La Passion de Sébastien N., rebaptisée Le Festin de Sébastien, en 2000, qui narre l’amour de ce Sébastien pour son automobile, qu’il va manger, pièce par pièce. Et enfin ce texte court, que l’on m’a offert lors d’un passage à Lille, où Maurice Pons assagi ( ?) nous raconte ce tableau de Paul Klee, L’Île engloutie, une aquarelle de 1923, et nous entraine avec lui au plus profond, non plus de la noirceur cette fois, mais de l’insondable. C’est à-dire la poésie.
Maurice Pons

*Les Saisons, de Maurice Pons. Julliard, 1965. Christian Bourgois, 1971 et 1992. Disponible en 10/18. **Rosa, Chronique fidèle des événements survenus au siècle dernier dans la Principauté de Wasquelham comprenant des révélations sur l’étrange pouvoir d’une certaine Rosa qui faisait à son insu le bonheur des plus malheureux des hommes. Denoël, 1967. Disponible en Folio.***La Festin de Sébastien. Le Dilettante, 2000.****Paul Klee/ Maurice Pons. Invenit Éditions, Collection Ekphrasis, Lille 2011.

Un né crivain. (Oh, le vilain jeu de mots).

On pourrait, en le voyant, penser à un personnage de BD. Tout en longueur. Longs bras. Longues mains. Immense sourire. Et yeux qui s’émerveillent encore, qui font des O majuscules devant une belle phrase, un beau texte, la joie d’un autre. Frédéric Launay est journaliste littéraire (il a mené les rencontres du Goncourt des Lycéens 2014, où j’ai eu le plaisir de le connaître) mais, avant d’être journaliste (donc d’avoir la posture de dézinguer à tout va, pour faire genre), il est un homme d’une sensibilité, d’une intégrité et d’une capacité d’émerveillement hors pair. J’ai toujours pensé, depuis que nous nous connaissons, qu’il ferait un bel écrivain. L’autre jour, dans le train, alors que nous allions ensemble à Reims pour une rencontre à la Fnac, je lui demandais pourquoi il n’écrivait pas. Il a alors, un peu timide, un peu fier aussi, sorti cet opuscule* de sa mallette de prof. Une nouvelle, Quelques gouttes de silence avant la nuit, écrite en 2014 et qui remporta le Prix Pégase. Un texte puissant, un sujet parfait, une histoire intelligente, un vrai climat. Je ne sais pas où l’on peut trouver ce texte aujourd’hui, (essayez le service culturel de la mairie de Maisons-Laffitte, 01 34 93 12 82), mais ne ratez pas l’éclosion d’un véritable écrivain.

Frédéric Launay

*Quelques gouttes de silence avant la nuit, de Frédéric Launay, Prix Pégase de la Nouvelle 2014 de la Ville de Maisons-Laffitte.

Les mots entre les gouttes.

En six lettres. Peu en lisent, beaucoup en écrivent. A son sujet, on entend parfois : « oh non, pas ça, par pitié ! » Et pourtant, on y trouve souvent de nouvelles combinaisons de mots, de nouvelles notes. Réponse : Poésie. (Apparemment, je ne serais jamais un très bon auteur de mots croisés). Ce recueil* m’a été offert par son auteur trithois lors de mon passage à Valenciennes, au Furet du Nord, il y a quelques jours. J’ai trouvé le titre joli, alors j’ai regardé à l’intérieur du pébroc. Il y avait d’élégantes perles, à la Follain, comme : Le vent taille la plume/Et le fruit te ressemble. À la Prévert, comme le bref poème intitulé Le Clochard : Ni lieu. Ni mètre. Et des choses comme je les aime : Je fatigue/Et le temps repose. Voilà. Il y avait des mots parfaits entre les gouttes. Un poète les a attrapés.

Yves Durlin

*Il ne pleut jamais entre les gouttes, de Yves Durlin. Bayard Service Éditions. En librairie depuis septembre 2014.

Mireille d’Aquitaine.

Mireille Calmel

Voici la dernière saison d’Aliénor*. « Saison », oui, comme pour une série télé. Parce que ce chant du cygne arthurien n’a rien à envier aux séries en vogue comme Games of Thrones (par exemple).
Voici 489 pages furieuses comme un cheval au galop, où l’on croise des nains, des fées, des licornes, des traîtres, des héros, des lâches, de la magie, de la désespérance humaine, Caliburnus, Durandal et Marmiadoise – les trois épées mythiques –, Richard Cœur de Lion (non, non, pas le camembert dont j’avais, à l’époque, fait le lancement publicitaire) ; on y croise Aliénor, Saladin, Merlin, tant d’autres choses, tant d’autres personnes qui font de ce livre une flamboyante épopée sur le plus terrifiant des poisons.
La haine.
Mireille est une femme qui ne s’écrit pas dans ses livres. C’est quelque chose qu’elle refuse, qu’elle ne peut pas même envisager. Mais je sais, pour la connaître depuis plus de deux ans maintenant, qu’il y a toujours des bribes d’elle dans ses romans. Avec celui-ci, elle nous dresse le beau portrait d’une femme entière, sincère : une maman qui met l’amour de sa famille au panthéon du cœur. Et là, elle parle d’elle.

*Aliénor, Un dernier baiser avant le silence, de Mireille Calmel. Editions XO. En librairie depuis le 8 octobre 2015.

Un vide.

Je me souviens. J’avais dix-huit ans. Je venais de l’entendre à la radio et je m’étais précipité à la librairie Giard, à Valenciennes, pour acheter son livre Des choses cachées depuis la fondation du monde*. Cela avait été une lecture fascinante qui m’avait valu la même note que mon âge à l’épreuve de philo au bac. Plus tard, bien qu’il l’écrivît plus tôt, il y avait eu Mensonge romantique et vérité romanesque** et là aussi, j’avais eu un choc. Un beau. Merci pour les chemins tracés, René Girard.

*Grasset, 1978 et **1961.

Une vie, une !

David GrossmanRentrée littéraire 2015. On ne connaîtra finalement jamais la blague du cheval qui entre dans un bar*. Page 164, on apprend toutefois qu’il est entré dans le bar, qu’il y commande une bière pression, qu’il la boit, un whisky, qu’il boit aussi, puis de l’arak, puis de la vodka, puis à nouveau une bière. Ce qu’on va connaître par contre, c’est la vie d’un certain Dovalé, 57 ans, qui fait un one man show sur une scène triste à Netanya (Israël), alternant le comique et le tragique, en passant par le pathétique – à la manière d’un Lenny Bruce**. Ce soir-là, la salle est pleine et parmi les spectateurs il y a un ami d’enfance qu’il n’avait jamais revu. Très vite le spectacle dérape, Dovalé se met à nu, et le livre devient bouleversant comme une autopsie qui découvrirait que l’arme du crime est le chagrin.

*Un cheval entre dans un bar, de David Grossman. Éditions du seuil. En librairie depuis le 20 août 2015.
** Revoir, à ce sujet, le magnifique film de Bob Fosse, Lenny, avec le grand (1,68 m) Dustin Hoffman.